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Classicisme et Lumières

Chapitre II : Histoire de la littérature fantastique

2.4 Classicisme et Lumières

Le point culminant de cette entreprise réside dans les bouleversements profonds du mode de vie et de penser survenus à l'époque des Lumières. En effet, il apparaît que les Lumières (c'est-à-dire la période qui se situe entre la fin du XVIIe siècle et celle du XVIIIe) ont non seulement transformé durablement les mentalités mais également toute la structure physique et métaphysique du monde. L'Europe connaît un changement sans précédent, autant dans sa vision du monde que dans la manière même d'élaborer les grandes questions existentielles. Le point central ou, à tout le moins, parmi les plus notables, se concentre autour du philosophe anglais John Locke (1632-1704) qui, à travers la philosophie empiriste empreinte

de libéralisme qu'il a abondamment diffusée, peut se poser, si ce n'est comme maître à penser, à tout le moins comme principal instigateur des Lumières. Le point central de sa philosophie est le retour au sensualisme et à l'empirisme comme constat philosophique a priori. Selon ses principes, l'être humain est une pâte vierge sur laquelle s'inscrivent les empreintes du monde qu'il perçoit à travers ses sens. Locke ne fait donc plus appel à la transcendance ou à des facteurs innéistes (comme Descartes par exemple, pour qui les idées et la raison appartenaient à l'individu avant toute activité sensitive) comme principe explicatif de l'esprit humain. H ramène les principales activités de l'être humain au domaine empirique et immanent. De cette manière, la transcendance perd le prestige philosophique qu'elle possédait depuis l'Antiquité pour faire graduellement place à une vision du monde qui se veut d'abord et avant tout axée sur les sensations et la réalité concrète. La métaphysique, qui avait régné si longtemps sur l'univers de la philosophie, perdait ses assises au profit des constats empiristes. Les théories de Locke ont eu une influence majeure sur le développement des idées au siècle des Lumières. Ainsi !'expérimentation, !'observation et la valeur accordée aux sens accentuent les critères de validité des recherches scientifiques. Une affirmation, pour avoir valeur de vérité, ne doit pas seulement s'établir théoriquement mais également reposer sur une logique immanente. La lourdeur et l'impérialisme des nombreux dogmes religieux aident grandement la diffusion de telles pensées. Car, si la philosophie se sent concernée par Dieu, ce n'est pas tant pour tenter d'en comprendre l'essence que pour le remettre en question. On s'intéresse tout d'abord aux individus et aux sociétés, plus qu'aux spéculations sur les idées générales et l'univers divin. Par le développement des diverses sciences, le cosmos, le monde et l'être humain deviennent des objets d'étude. Le voile de la connaissance peut être percé à présent qu'il est débarrassé de son caractère sacré et intouchable. Par l'importance qu'il accorde aux sens, Locke rétablit en quelque sorte les pouvoirs de l'être humain sur la nature et sur le monde à travers les capacités de sa raison. Pensons également à la contestation du droit divin du

philosophe dans son Traité du gouvernement emit, qui établit les nouvelles bases d'une philosophie politique se rapportant à un contrat entre les individus et non plus avec une quelconque transcendance. Par conséquent, il est non seulement permis d'aller au-delà des présupposés religieux, mais cela apparaît de plus en plus comme une nécessité. Croyance dans le progrès amplifiée par la prolifération des machines-outils qui révolutionnent les savoir-faire, les Lumières ont fait naître une toute nouvelle idéologie dont le credo pourrait être : perfectibilité humaine à travers le primat de la raison et de la science (et de la technologie) qui permettent une liberté et un bonheur retrouvés, dans une vision immanente de l'existence.

Le fantastique «traditionnel» survient à cette époque où les remises en question radicales percutent des systèmes de valeurs jusque-là inébranlables. Bien qu'il soit difficile d'identifier les premières tentatives de textes fantastiques avant la fin du XVIIIe siècle (Le château d'Otrante de Walpole paraît en 1764), nous trouvons tout de même ses origines, ses premiers germes, à la fin du XVIIe siècle allemand. En effet, cette époque connaît une prolifération sans précédent d'histoires de revenants et de spectres qui appartenaient traditionnellement au récit à caractère merveilleux mais qui prennent ici une place autonome au sein d'une littérature sombre et effrayante (pensons entre autres au Monde enchanté de Bekker, 1694). Nous retrouvons également, au même moment, la publication de nombreux ouvrages qui relatent les faits et méfaits des procès de sorcellerie et du surnaturel en général. Citons, en guise d'exemple, les Dissertations sur les apparitions des anges, des démons et des esprits, et sur les revenants et vampires de Hongrie, de Bohème, de Moravie et de Silésie de Don Calmet (1746), qui traitent de la manifestation d'éléments surnaturels dans un monde où ces derniers tendent lentement à disparaître. Cet engouement pour les spectres et le surnaturel trouvera d'ailleurs une répercussion, vers la fin du siècle, dans l'attrait généralisé pour les contes merveilleux. Une bonne partie de l'Europe (France et Allemagne en particulier) redécouvre avec délice les récits légendaires mettant en scène des éléments et des

personnages fabuleux. Les mille et une nuits (traduit en français en 1704) sera d'ailleurs parmi les lectures les plus populaires auprès d'un public avide de nouveautés, d'exotisme et de merveilleux. L'Angleterre, pour sa part, n'est pas en reste avec la prolifération de poètes tournés vers une expression noire et angoissante de l'existence humaine (Edward Young, Thomas War ton). Ces premiers mouvements axés vers d'autres formes d'écriture laissent entrevoir de nouvelles avenues pour le roman, d'autres thèmes et d'autres manières de «dire» à travers l'expression littéraire. Mais ce n'est qu'à travers le renouveau romantique que le fantastique «traditionnel» trouve une manière de se manifester pleinement.

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