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Littérature et genre littéraire

Chapitre I : Littérature et genre littéraire

1.2 Littérature et genre littéraire

Il convient à présent de définir ce que nous entendrons par la notion de genre littéraire13. Tout d'abord, il nous faut distinguer trois niveaux d'appréciation de l'œuvre :

1- Le type : le narratif, le descriptif, l'explicatif, l'argumentatif et le dialogal.

2- Le mode : le ficüonnel (c'est-à-dire lorsque l'action est racontée indirectement), le dramatique (lorsque l'action est racontée directement) et le lyrique (ou poétique).

3- Le genre : les genres policier, fantastique, comique, etc.

Si la dernière catégorie est limitée à quelques exemples, c'est qu'il aurait été trop long d'extrapoler sur les nombreuses variétés qu'elle peut comporter. Néanmoins, ce schéma aura permis de comprendre que des différences importantes existent entre ces trois niveaux d'abstraction et que les confondre ne mènerait qu'à un chaos argumentatif. H nous a donc semblé vain de nous attarder à définir de long en large la notion de «type» puisque, comme il a été signalé, cette étude se concentrera d'abord et avant tout sur le narratif. Deuxièmement, inutile aussi d'élaborer sur le mode, puisque nous nous concentrerons sur le mode fictionnel sans recourir aux deux autres. Ce que nous appelons récit correspond donc au type narratif fictionnel. Nous nous concentrerons donc sur la définition des genres littéraires de «narration fictionnelle» : ce qu'ils sont, à quoi ils servent et quelles distinctions il est possible de faire entre les nombreux éléments qui s'y rencontrent.

L'un des problèmes majeurs qui surgissent quant à la définition d'un genre particulier ou d'une catégorie et ce, en littérature comme en d'autres domaines, est

la spécificité du genre. Comment définir celui-ci sans y inclure trop d'éléments et, d'un autre côté, comment éviter une trop grande particularisation ? Sans vouloir revenir à la querelle des universaux, il apparaît qu'une catégorie (à tout le moins dans l'étude qui nous intéresse) ne pourra jamais être dénuée de tout facteur subjectif. Borges a résumé de façon humoristique ce dilemme dans son encyclopédie chinoise lorsqu'il divise les animaux selon les catégories suivantes :

a) appartenant à l'Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens, h) inclus dans la présente classification, i) innombrables, k) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau, 1) et caetera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches14.

Malgré la note sarcastique qui enveloppe cette description farfelue, il n'en demeure pas moins que les genres littéraires ne se comprennent pas aussi aisément qu'on voudrait bien le croire. Certains textes peuvent parfois apparaître difficilement classables. Π est nécessaire, en effet, de souligner la diversité et l'ambivalence des différentes œuvres à l'origine de la richesse de l'univers littéraire :

Il est visible en effet que les sciences de la littérature actuelle reposent chacune sur un postulat propre qui exprime un des contenus contradictoires du mot littérature. Il y a une science esthétique, une science idéologique, une science sociologique de la littérature. Sans doute est-il possible de jeter entre elles des ponts, d'ouvrir des portes, mais on peut redouter que le mot littérature ne survive pas à l'opération. C'est une série d'ambiguïtés qui a fait sa fortune. Il est possible qu'un effort de clarification le perde à jamais15.

Une autre problématique de la définition d'un genre est !'établissement de critères pertinents afin de déterminer l'appartenance ou non d'un texte à une catégorie donnée. Il est ici question d'un but prédéterminé qui serait, en quelque sorte, le

propre du genre littéraire, son aboutissement et sa finalité. Cette manière de procéder impliquerait que nous aurions connaissance de données immuables, qui existeraient de manière indépendante du jugement subjectif. C'est ce présupposé qui est difficilement défendable à l'intérieur d'une théorie qui ne se veut pas métaphysique. D'ailleurs, si la littérature possédait réellement une essence invariable, il n'existerait pas plusieurs théories littéraires s'évertuant à définir tel ou tel genre. Force est de constater que ce dernier est une construction qui s'élabore selon certains facteurs et principes indissociables du jugement, du milieu culturel, etc. Le genre littéraire n'est pas quelque chose à découvrir quelque part dans les méandres des a priori de l'esprit : il est plutôt une fabrication et une construction.

Cependant, cela ne signifie pas pour autant que notre étude relève de la pure subjectivité. À tout le moins est-il possible d'affirmer ce qu'une théorie ne peut pas faire :

[...] elle ne peut pas décomposer la littérature en classes de textes mutuellement exclusives, dont chacune posséderait son essence, donc sa nature interne propre d'après laquelle elle se développerait selon un programme interne et selon des relations systématiques avec une totalité appelée littérature ou poésie, totalité qui elle-même serait une sorte de super-organisme dont les différents genres seraient les organes16.

Comme on le constate, on ne peut le définir en ce qu'il pourrait avoir d'absolu, de définitif et d'extérieur aux conceptions humaines. Le genre littéraire, tout comme la littérature, se définit dans le temps et à travers un milieu social qui le détermine dans une large part. Et c'est justement par ce fait que l'étude et la description du genre revêtent de l'intérêt, car il permet de situer et d'appréhender certaines formes littéraires dans leur mouvance, dans leur inéluctable transformation.

En fait, l'étude des genres permet principalement de situer et de rassembler un ensemble de textes de prime abord épars en les classant selon certains critères définis et en les opposant à d'autres classes de textes. C'est donc non seulement par la classification mais également par la comparaison qu'il deviendra possible de ranger différents textes selon différentes approches. Mais à quoi cela mène-t-il ? En fait, un classement adéquat des textes aide à comprendre un récit dans un contexte familier en l'appréhendant à travers un type particulier permettant une appréciation basée sur certains points de repère. Il est en ce sens inexact d'affirmer qu'une œuvre naît isolément et sans référence à son milieu, aux critiques, au lectorat, etc. L'étude des genres permet à ce titre de comprendre en quoi se démarque une création artistique :

Mais la notion de genre n'est pas seulement utile dans la lecture des textes paralittéraires ou classiques. Elle permet aussi de lire plus facilement les productions originales, réputées difficiles. C'est le cas des textes qui rompent avec les lois du genre et les renouvellent. C'est aussi le cas des textes qui exploitent le mieux les composantes du genre et leurs virtualités ou encore des textes qui explorent des pistes appartenant au genre, mais non encore exploitées. C'est encore le cas des productions d'avant-garde, qui poussent jusqu'à leurs limites les possibilités des genres. C'est enfin le cas des textes parodiques, qui se moquent d'un original tout en lui rendant hommage17.

Π serait incorrect de réduire l'étude du genre littéraire à une simple expression de la subjectivité ou à un reclassement étemel selon l'arbitraire d'une époque et d'un Meu. L'intérêt de la classification et de la compréhension d'un genre porte avant tout sur la connaissance de la littérature et du plaisir que l'on peut en retirer :

Du point de vue des lecteurs, la reconnaissance, dans un premier temps, de certains invariants génériques, c'est-à-dire de propriétés communes et relativement durables, repérables dans des textes relevant d'un même genre, permet d'identifier les pratiques génériques jusque dans leurs manifestations les plus marginales ; dans un second temps, la reconnaissance de l'appartenance d'un

texte à un genre permet de programmer le mode de lecture, de mettre en œuvre une compétence, une connaissance implicite des règles du genre, probablement préalables à la réception du texte, sinon une compétence d'accommodation en cours de lecture18.

En résumé, ce qui constitue Γintérêt de la compréhension et de !,élaboration d'un genre littéraire repose sur les facteurs suivants :

1) le genre littéraire permet de mieux apprécier une œuvre en donnant certains points de repère par rapport à !,ensemble des créations qui lui sont apparentées :

Ce qui fait que la littérature est la littérature, sa «littérarité», ne se définit pas seulement en synchronie, par !,opposition du langage poétique et du langage pratique, mais aussi en diachronie, par !,opposition formelle toujours renouvelée des œuvres nouvelles à celles qui les ont précédées dans la «série littéraire» ainsi qu'au canon préétabli de leur genre19. ;

2) le genre littéraire permet de mieux «lire» une œuvre, c'est-à-dire de la comprendre dans ses particularités, ses exigences, ses «buts» (au sens de ce que l'auteur tente de faire ressentir au lecteur) ;

3) le genre littéraire permet de comprendre !,originalité d'une œuvre, son caractère innovateur par rapport à !,ensemble de la production :

L'écart entre l'horizon d'attente et l'œuvre, entre ce que l'expérience esthétique antérieure offre de familier et le «changement d'horizon» (Horizontwandel) requis par l'accueil de la nouvelle œuvre détermine, pour l'esthétique de la réception, le caractère proprement artistique d'une œuvre littéraire : lorsque cette distance diminue et que la conscience réceptrice n'est plus contrainte à se réorienter vers l'horizon d'une expérience encore inconnue, l'œuvre se rapproche du domaine de l'art «culinaire», du simple divertissement20.

Voilà les bases sur lesquelles s'appuiera notre étude du genre littéraire.

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