• Aucun résultat trouvé

A. Les drogues adressées à Féret par les sœurs Duplessis

1. Les rognons de castor

Le premier produit demandé par l’apothicaire était le rognon de castor (annexe XXVI). L’animal en question correspondait au castor du Canada, Castoreum canadensis, et non le castor européen, Castoreum fiber.

Ce castor, mâle ou femelle, possédait quatre glandes situées dans l’aine. Deux de ces glandes étaient nommées « rognons huileux », qui sécrétaient un liquide musqué. Les deux autres glandes s’appelaient « rognons tondreux » d’où était extrait le Castoreum.

Les « rognons huileux » s’utilisaient par les chasseurs, le liquide musqué servant d’appât. Ils en imprégnaient leurs pièges. Les « rognons tondreux » pouvaient s’utiliser sous forme d’emplâtre pour les contusions et sous forme d’infusions pour les affections des bronches ou de l’estomac.

D’après Jean Marius dans son livre Traité du castor, dans lequel on explique la nature, les

propriétés, et l’usage médico-chymique du Castoreum dans la médecine, de 1746,

le « Castoreum est un remède universel qui guérit tous les maux ». Il était bon pour un grand nombre de pathologies, n’ayant pas de liens les unes avec les autres. Il guérissait la goutte, l’épilepsie, les maux de tête, le mal de dent, la surdité, la fièvre, la pleurésie, la tuberculose, les abcès, les coliques, les insomnies et la folie. Dans son ouvrage, chaque maladie possédait une ou plusieurs formules thérapeutiques comprenant le Castoreum.

32 Il avait été mis en évidence que cette huile contenait de l’acide salicylique, expliquant peut- être quelques unes des propriétés qui lui étaient attribuées par Marius.

Il causait également l’avortement, semblait bon pour les chutes « de fondement », les gonorrhées, ramollissait la dureté du foie, il apaisait les douleurs sciatiques, guérissait les obstructions des reins, les parasites du cuir chevelu comme la teigne ou les poux, était un très bon stomachique, luttait contre les vertiges et les tremblements, fortifiait la vue, apaisait les coliques néphrétiques.

La formule suivante était extraite de l’œuvre de Jean Marius :

« La composition suivante, comme un préservatif contre l’épilepsie : Prenez Huile de Rue

de Vers de terre de Lauriers de Castoreum

Mêlez toutes ces drogues, avec quelque peu d’eau de vie. »

Cette formule n’en était qu’une parmi tant d’autres, chaque affection ayant plusieurs remèdes. Le Castoreum était aussi inclus dans la Pharmacopée universelle contenant toutes les

compositions de pharmacie qui sont en usage dans la médecine, tant en France que par toute l’Europe ; leurs Vertus, leur Doses, les manières d’opérer les plus simples et les meilleurs, de

Nicolas Lémery, de 1697. Dans sa Pharmacopée universelle le Castoreum, cité de nombreuses fois, s’utilisait soit en principal composant soit en composant complémentaire.

Le Castoreum était, en outre un constituant parmi tant d’autres de nombreux autres médicaments :

- Huile de Castoreum simple :

Cette huile se faisait à partir de Castoreum, d’huile vieille et de vin. Il se pulvérisait grossièrement, puis se recouvrait d’huile et de vin. Le tout était placé dans le fumier chaud ou au soleil pendant six jours, pour « laisser digérer la matière ». Après cette étape, un passage au bain-marie bouillant durant six à huit heures était nécessaire.

Les différentes indications de cette Huile comprenaient les maladies du cerveau « qui viennent d’une pituite crasse », pituite étant un synonyme de phlegme. Elles possédaient des vertus pour la paralysie, les convulsions, la léthargie, les frissonnements, « on en frotte les épaules et l’épine du dos », et pour les maladies de la matrice, désignant les maladies de l’utérus.

33 Il existait d’autres manières de préparer l’huile de Castoreum dont une où il n’y avait pas besoin de feu. Trois onces de teinture de castor mêlées à une livre d’huile d’olive suffisaient. L’autre était une distillation chimique directe à feu doux puis fort sur la fin. On extrayait une huile fétide, dite excellente pour les pathologies citées.

- Huile de Castoreum composée, reformée :

La base de cette formule était celle de Jacques Manle, Huile de Castoreum composée. Nicolas Lémery ne semblait pas d’accord concernant la trop petite quantité de Castoreum utilisée, et d’un trop grand nombre de plantes présentes mais inutiles d’après lui.

Elle était estimée plus efficace que la première pour les mêmes indications. Elle s’utilisait pour la surdité et le bruissement des oreilles où quelques gouttes y étaient instillées.

Ces deux préparations correspondaient à celles où le Castoreum était le composant principal. L’huile de castor figurait dans de nombreuses préparations, de formes galéniques et d’indications différentes, tout au long de cette Pharmacopée :

- Eau d’Hirondelle :

Elle était préconisée pour l’épilepsie, l’apoplexie, la paralysie et les vertiges.

- Philonium Persique :

Il permettait l’arrêt d’hémorragies. Il pouvait être bon pour les douleurs abdominales dites « cours du ventre » et pour empêcher l’avortement.

- Grande Athanasia d’Avicienne :

Cela calmait « les vapeurs », apaisait les douleurs et adoucissait « les férocités âcres qui descendent sur la poitrine », excitait le sommeil, résistait à la malignité des humeurs et luttait contre les coliques.

- Confection Archigène :

Elle était indiquée pour « abattre et apaiser les vapeurs hystériques », calmer la toux, arrêter l’hémoptysie, les cours du ventre, « résister à la corruption » et exciter le sommeil.

- Confection Anacardine :

Elle se préparait pour les coliques venteuses, pour calmer les vapeurs, purifier le sang et fortifier le cerveau.

34 - Electuaire d’Ail :

L’Electuaire d’Ail agissait sur les coliques néphrétiques et venteuses, résistait à la malignité des humeurs, on s’en servait dans le temps de pertes.

- Elixir épileptique, de Crollius (Oswald Croll) :

Oswald Croll était professeur de médecine à l’Université de Marbourg et alchimiste allemand.

Cet élixir s’utilisait pour combattre l’épilepsie et les autres maladies du cerveau. La formule contenait aussi de l’ongle d’élan (les propriétés thérapeutiques du pied d’élan seront développées dans le paragraphe suivant).

- Elixir, ou Essence anti hystérique, de la mort :

Il se donnait contre les maladies de la matrice, pour exciter les mois ou l’accouchement, abattre les vapeurs, la paralysie, l’épilepsie, exciter la sueur, pour la fièvre maligne et la peste.

- Huile contre la surdité :

Cette Huile était résolutive, adoucissante, atténuante pour la surdité acquise.

- Baume de Guidon (à base de suc de Castoreum) :

Ce baume s’utilisait dans les ulcères de la matrice et de la vessie, et pour abattre les chaleurs.

- Emplâtre épileptique :

Il fortifiait le cerveau, préservait de l’épilepsie. Il était à appliquer sur la suture coronale (la suture coronale ou suture fronto-pariétale correspondait à la jointure transversale entre l’os frontal et les os pariétaux). Dans cette formule, le pied d’élan se retrouvait également.

- Le Grand Philonium :

Il calmait la douleur, le rhume, les nausées, abattait les vapeurs, excitait le sommeil, calmait les coliques. Il permettait également de résister aux venins.

- Musa Enea :

35 - Thériaque reformée de M. d’Aquin :

Cette Thériaque avait les mêmes vertus que celle d’Andromaque mais agissait avec plus de force. Cette dernière sera plus explicitée dans la partie des médicaments envoyés par Féret.

- Pilule utérine, de Mynsicht : Elle excitait les mois aux femmes.

- Pilule anti-épileptique : Elle était indiquée pour l’épilepsie.

Le Castoreum s’appliquait également localement pour fortifier les nerfs (d’après le Traité des

drogues simples, de Lémery).

On retrouvait, dans la Pharmacopée universelle de Nicolas Lémery, de nombreuses propriétés thérapeutiques du Castoreum énoncées par Jean Marius. Néanmoins toutes n’y figuraient pas. Un siècle plus tard, on retrouvait, en 1835, dans L’Encyclographie des sciences médicales publiée par La société encyclographique des sciences médicales, Montagne-aux-herbes- potagères, 55, une utilisation du Castoreum moindre mais présente. Il était utilisé pour ces facultés « à modifier l’état actuel du cerveau et du système nerveux, facultés spéciales, admises par un grand nombre de praticiens distingués, depuis Aetios et Alexandre de Tralles jusqu'à nos jours ». Aetios et Alexandre de Tralles étant des médecins Grecs de l’Antiquité. Il se donnait notamment pour les convulsions, les palpitations du cœur, les hoquets convulsifs, l’hystérie, l’hypochondrie, l’épilepsie, l’asthme nerveux. Il déclenchait les menstruations par une action antispasmodique au niveau de l’utérus, l’aménorrhée étant causée par un état de spasme important. Il était également préconisé dans les maladies aiguës du poumon, « dont la solution par les sueurs ou les crachats est empêchée par un état de spasme, que fait reconnaître l’état du pouls et la gêne des mouvements de la respiration ».

Au niveau local, il faisait cesser le bourdonnement d’oreille et s’il était placé sous les narines, ses vapeurs calmaient les vertiges.

Le Castoreum se retrouvait également au XXème siècle. Il faisait parti des substances présentes dans le Formulaire de Thérapeutique et de Pharmacologie, de M. Loeper et A. Lesure, trente cinquième Edition 1945. Ses propriétés thérapeutiques étaient réduites à antispasmodique et emménagogue.

Aujourd’hui, dans la Pharmacopée Française, onzième Edition, le Castoreum n’est plus présent dans les monographies.

36 Au fil des années, son utilisation a diminué, en partie par le fait que cette substance ne possédait pas toutes ces propriétés diverses et variées mais également par la progressive disparition du castor, en Amérique du Nord et en Europe. Elle était due au commerce de sa fourrure et de sa viande, mais également à l’usage du Castoreum en thérapeutique.

Néanmoins, il reste toujours présent en parfumerie.