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Le cycle machine - matière - modèle

La robotique créative s’intéresse à l’usage et aux potentiels des techniques de fabrication robotique dans le contexte des disciplines de la création que sont l’architecture, l’art et le design. Nous envisageons ces expérimentations dans une perspective de réinterprétation des savoir-faire, de renouvellement des procédés de

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matérialisation, de détournement et d’appropriation de ces systèmes techniques. L’expérimentation représente une modalité privilégiée d’acquisition et de constitution de connaissance dans le domaine. Les interrelations entre les réalités physiques et numériques caractérisent le système computationnel que la robotique créative explore. Ces interactions se constituent à l’aide d’un flux informationnel bidirectionnel allant du modèle de conception à la matière. Les définitions précédentes autour de la fabrication adaptative ou en temps réel, de la modélisation informée par la matière ou des systèmes matériels agrégeant computation physique et numérique, constituent des approches en prise avec cette thématique de la robotique créative. L’ensemble de ces travaux met en relation trois composantes principales au sein d’une boucle d’interactions que nous nommons cycle machine-matière-modèle (Figure 55).

Figure 55. Cycle Machine-Matière-Modèle

Machine : une diversité des systèmes

Elle est la composante qui opère des actions ou des mesures à l’aide d’actionneurs et de capteurs. Le bras industriel constitue un outil privilégié et polyvalent pour ces démarches, il permet de réaliser diverses tâches qui vont du dépôt de matière, à l’empilement de modules, en passant par l’usinage. Le bras industriel peut être installé sur une plateforme mobile, éventuellement autonome, pour élargir les zones possibles d’intervention. D’autres machines sont utilisées, elles sont de type et de taille variés. Dans le domaine de la construction additive, et pour répondre à des contraintes de

dimensions des objets à réaliser, 3 autres typologies de machines ont été identifiées (Labonnote et al. 2016). Les portiques sont parmi les premiers systèmes expérimentés, ils reproduisent une imprimante 3D classique à une taille supérieure. L’outil, porté par un système d’axes, peut se déplacer dans les trois directions d’un repère cartésien. Cependant le dispositif devient particulièrement encombrant, difficile à installer et à déplacer dès que les questions portent sur des objets en grandeur. Le système par câbles facilite le déploiement à grande échelle, il est plus léger et plus économique à mettre en œuvre. L’outil est fixé à l’extrémité de trois câbles qui permettent de contrôler sa position dans l’espace. La fabrication à l’aide d’essaims de petits robots représente une troisième stratégie. Ces robots peuvent être des drones, comme dans le projet Flight

assembled architecture présenté au FRAC Centre (Gramazio Kohler Architects 2011),

ou une série de petits robots, dédiés à la réalisation de tâches spécifiques, à la manière du projet Minibuilders réalisé par Sasa Jokic and Petr Novikov (Institute of Advanced Architecture of Catalunya, s. d.). D’autres expériences combinent plusieurs machines et mettent en place des procédures de collaboration entre robots. Le pavillon ICD/ITKE 2016-2017 révèle une structure en porte à faux réalisée par tressage de fibres de carbone et mise en œuvre à l’aide de deux bras industriels associés à un drone. Les robots sont installés aux extrémités de la structure et le drone assure le transfert du ruban de carbone d’une machine à la seconde (Felbrich et al. 2017).

Certaines approches s’inscrivent dans une démarche de modification et transformation de systèmes existants avec une coloration « bricologique ». Ainsi le projet FAB Bots, conduit par Marta Malé-Alemany, de 2009 à 2011 au sein de différentes écoles d’architecture, a abouti à la réalisation de plusieurs systèmes de matérialisation, adossés à des stratégies de fabrication par dépôt de matière ou par tissage (Malé Alemany 2009; Malé Alemany et Portel 2014). L’objectif des recherches portait notamment sur la conception et le détournement de machines robotisées, il nécessitait une familiarisation avec les techniques du « physical computing » et de la mécatronique. Les recherches ont permis de mettre au point divers procédés. Fluid cast est une technique d’impression 3D d’un matériau à changement de phase par pulvérisation dans un liquide, Dreamweaver détourne une machine à tricoter pour réaliser les structures tissées habitables, ou encore NGPS (Non Gravitational Printing System) s’inspire de la gastronomie moléculaire pour solidifier des dépôts de matière molle dans un mélange

d’eau et d’alginate. Un dernier exemple est le Solar Sinter Project129, réalisé par Markus Kayser. La machine est autonome, elle fonctionne à l’aide de l’énergie solaire captée par des panneaux photovoltaïques, elle est capable de solidifier la silice du sable à l’aide de la concentration du rayon solaire traversant une lentille de Fresnel. Au cours du processus le rayon lumineux est concentré et déplacé à la surface d’un lit de sable. Couches après couches, la silice du sable se cristallise pour donner forme à un objet.

Matière : variété des typologies et enjeux écologiques

Une grande variété de matériaux sont mis en œuvre à l’aide des procédés numériques. Avec les techniques soustractives, ce sont le bois, la pierre, le marbre ou diverses mousses qui sont usinés, fraisés ou poncés par des centres d’usinage ou des bras industriels équipés d’outils de coupe ou de taille. Les logiques de construction par stéréotomie sont revisitées avec l’usage de la robotique (Feringa et Søndergaard 2014). A l’occasion de plusieurs rencontres, le principe de construction d’une arche funiculaire par empilement de voussoirs en mousse, découpés à l’aide d’un fil chaud installé sur un bras industriel, a été expérimenté au sein de notre laboratoire (Figure 56). Avec les méthodes additives, c’est une multitude de matériaux qui sont mis en œuvre. Leurs états avant dépôt peuvent être solides, c’est la réalisation de structures par empilement, tissage ou assemblage de modules de différentes natures. Ils peuvent être visqueux, avec des principes de dépôt par extrusion de la matière et solidification au contact d’adjuvants ou du milieu ambiant, ces extrusions à froid sont réalisées en béton, en argile ou en sable. La matière peut être sous forme de poudre, c’est l’impression par frittage et fusion, ou liquide avec solidification par la lumière.

Les enjeux de recyclage, l’incorporation de matière recyclée, de mise en œuvre de matériaux respectueux de l’environnement ainsi que les questions d’optimisation et d’économie de matière, sont au centre de ces travaux. Le projet Architectural Hypar

System (AHS), soutenu par le programme Printarch130, porté par la société SNBR et conduit par Giuseppe Fallacara, visait la fabrication additive de modules de pierre reconstituée à partir des boues issues du sciage des blocs de marbre (Marin, Furet, et Fallacara 2019). Ainsi le projet instaure un cycle de production respectueux en utilisant dans son processus de fabrication une matière première secondaire.

129 https://vimeo.com/25401444 consulté le 27 janvier 2020

Figure 56. Arche funiculaire, construction par stéréotomie, Les Grands Ateliers, ENSAG, travaux de l’auteur, octobre 2019

Modèle : Généralisation des technologies numériques et continuum informationnel

Ces approches s’appuient sur une instrumentation numérique qui inscrit une forme de continuum entre les moments de la conception et ceux de la fabrication. Une modélisation intégrée est mise en place, elle permet la définition géométrique, elle inclut des algorithmes de simulation et d’optimisation, elle génère plus ou moins directement le langage de programmation des machines. Le modèle peut également se trouver informé des conditions de fabrication et peut ainsi modifier les opérations de production. Le modèle constitue la description mathématique et géométrique, il traite

le flux informationnel à la fois pour définir la morphologie à réaliser, pour programmer la machine et adapter son comportement en fonction des réalités de prise de forme de la matière. Ces modélisations sont réalisées à l’aide des outils paramétriques qui intègrent des fonctionnalités de simulation et de génération du code de pilotage des machines. L’identification des conditions de fabrication peut se faire à l’aide de capteurs variés, reconnaissance d’image, mesures de distance ou de température, retour d’effort. Ces équipements, installés au sein de la cellule de production, envoient des informations au système. Elles sont traitées, parfois directement dans l’environnement de modélisation, pour adapter une vitesse ou redéfinir une trajectoire. Il apparait essentiel de déterminer ce flux informationnel, sa structure et son contenu, pour mettre en place son traitement. Les questions numériques ne portent plus sur une interopérabilité des formats de description, mais plutôt sur la mise en place d’un flux informationnel. Celui-ci est composé de valeurs et d’instructions, qui sont traitées, interprétées ou captées par le dispositif cyber-physique de fabrication. Ces modélisations et programmations peuvent aujourd’hui être réalisées directement au sein des outils de modélisation des architectes et des designers.