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2.2 Les dangers de la forêt : l’or qui attire le danger

2.2.2 Une rivière très longue à traverser : les terres Noir Marrons

Les personnes interviewées à Paramaribo, qui travaillaient au garimpo, étaient toujours contentes malgré les difficultés, le mal du pays du Brésil, et des conditions d’habitation et de travail précaires ; Ils parlaient de lui comme d’une aventure « glorieuse » en endroit facile pour y arriver et y travailler. Et y retourner était nécessaire pour interviewer les personnes sur leurs propres lieux de travail, pour comprendre d’où surgissait cette joie de vivre, cette force pour travailler de douze à vingt heures par jour, du lundi à samedi, sans aucun droit du travail assuré. Le fait motivant est le rêve de trouver le métal précieux et celui-ci est une véritable boite à surprise : en fin de journée, un garimpeiro peut devenir millionnaire ou constater qu’il n’a gagné même pas un gramme d’or. Une fois que j’avais déjà fait mes recherches en ville c’était l’heure de connaître la « brousse » où il y avait des Brésiliens et pour comprendre cet univers migratoire.

Et dans la perspective de gagner beaucoup d’argent pour réaliser leurs rêves et désirs pour lesquels les Brésiliens circulent à la recherche de l’or, les principales sont une maison et une affaire à soi, une éducation de qualité pour les enfants (toujours lié à de bonnes conditions financières pour les mettre dans une école privée) : « c’est d’ici que je fais vivre ma famille, mes enfants et que je paie la faculté, [...] je paie pour les deux et je paie l’école particulière pour le plus jeune. On ne peut pas attendre que cela tombe du ciel » (Cleonice333, 42 ans, propriétaire

d’un cabaré, trois enfants, interviewée en 2012 au Suriname).

Alex334, originaire du Maranhão, 40 ans, garimpeiro, un fils, analphabète (il savait

seulement écrire son nom) travailla une année sur des garimpos en Guyane Française dans les débuts des années 1990 et retourna au Brésil — mais il avait le rêve de construire un château dans sa ville natale, et pour cela, il a émigré au Suriname en 1996, à 26 ans. Depuis lors il travailla sur les garimpos comme piupiuzeiro335 motard, et dans la plupart des cas, comme garimpeiro de baixão ou de moinho336, toujours en poursuivant son grand objectif : construire

un château — difficile à concrétiser car cela demandait beaucoup d’or. Il me dit que même s’il n’arrivait pas à habiter dans son château, il en construirait un pour son fils (à cette époque, d’un

333 Cleonice sera présentée plus tard.

334 Interviewé en 2012 au Suriname ; il avait un permis de séjour renouvelable chaque deux ans.

335 Nom qui est donné à ceux qui travaillent à la recherche de l’or en utilisant une machine à détecter le métal

(appareil qui se nomme piu-piu) pour localiser l’or dans le sol.

336 Les garimpos de moinho ou de filon utilisent la méthode de broyage de pierres pour en extraire l’or. Selon les

149 an et huit mois), qui vivait avec sa mère337 à Paramaribo, et où il pourrait habiter : « je vais

trouver beaucoup d’or avec le pui-pui, parce que j’ai encore un château à faire. [...] construire un château, je vais le construire si ! Je vais faire un château. [...] Beaucoup d’argent pour faire un château, il faut beaucoup d’argent, beaucoup d’or, tu vois. [...] C’est beau » — Maintenant son principal objectif était la construction de quelque chose de grandiose, ce qu’il cherchait c’était sa maison, comme la plupart des Brésiliens qui étaient dans les régions de garimpo des Guyanes.

En 2012, en raison de contacts avec les interviewés, les associations et les Églises, il y eut l’opportunité d’aller en sécurité au garimpo de Macu, exploité par des Brésiliens — en sécurité dans le sens d’avoir de la compagnie pendant le voyage et un endroit où rester. Là, il fut possible de continuer la recherche dans la corrutela de Macu et de Cláudia, sur l’exploitation minière appelée Maconha (garimpo da Maconha), sur l’exploitation minière Filão do Macu338,

et au port de Stokampo.

Le voyage au garimpo de Macu fut long, durant le mois d’août. Je sortis de l’endroit où j’étais hébergée à Paramaribo aux environs de 6h40 du matin dans un vieux pick-up remplis de marchandises. En plus du chauffeur, il y avait son aide, une habitante de la corrutela de Macu, et un pasteur de l’Église Assemblée de Dieu Ministério de Madureira que j’accompagnai. Macu est situé sur les terres des Noirs Marrons Saramaka, au milieu de la forêt. Pour y avoir accès il est nécessaire de traverser le lac artificiel Brokopondo339 (Figure 16) formé par l’inondation des

337 Même si le fils d’Alex vivait avec sa mère à Paramaribo, il y a beaucoup d’histoires d’enfants qui naissent ou

vivent sur les garimpos, et quand ils arrivent à cinq ou six ans, la mère va habiter à Paramaribo où ils sont envoyés au Brésil pour rester avec des parents, pour pouvoir étudier. Il y a aussi le cas d’enfants qui vivent à Paramaribo avec une personne contractée par les parents, et c’est très commun que ce soit une femme surinamaise, car la garde n’est pas chère et ils considèrent qu’ils vont apprendre le hollandais plus rapidement et même le Sranantongo. Sur quelques garimpos, les petits villages possèdent un endroit où les enfants peuvent être alphabétisés en portugais, mais selon les rapports, ils ne fonctionnent pas très bien, car les professeurs sont Brésiliens avec peu de scolarité. Une autre situation qui arrive est que beaucoup d’enfants naissent dans ses petits villages et ne sont pas suivis médicalement. Quelques-uns ont des problèmes de santé du fait du manque d’hygiène adéquate et d’assainissement approprié sur place.

338 Le garimpo de Macu englobe un grand domaine, avec de nombreux petits villages et beaucoup d’endroits pour

l’exploitation de l’or.

339 Le lac est considéré comme un des réservoirs d’eau le plus grand au monde avec une superficie de 1560 km²,

et de lui sont retirés du bois pour l’exportation (les troncs submergés). En 2013, il y avait une réclamation travailliste à la chambre du tribunal du travail de Tucuruí, dans l’État du Pará, au Brésil par des travailleurs brésiliens qui avaient été contractés par l’entreprise Brokopondo Watra Wood International N.V. (qui a son siège à Paramaribo) pour retirer le bois, et qui eurent leurs droits du travail non respecté : ils travaillaient sans équipement de protection, 56 heures par semaine, sans droit aux congés, etc. (ASSOCIAÇÃO DE UNIVERSIDADES AMAZÔNICAS. Dossiê trabalhadores brasileiros em Suriname: condições de trabalho e reivindicações trabalhistas. Belém : AUA, 2013).

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terres de ce groupe dans les années 60, pour la construction de l’usine Hydroélectrique de Afobaka340.

Nous continuâmes pour le port de la petite ville de Afobaka (Figure 17), sur le lac Brokopondo, d’où part, quotidiennement, plusieurs pirogues motorisées en direction des petits ports des villages de Noirs Marrons, d’où partent les routes pour les garimpos. Généralement les pirogues transportent des passagers, du combustible, des animaux, du matériel de construction, des équipements, de l’alimentation etc., dont ont besoin les garimpos (Figure 18).

Figure 16 : Lac artificiel Brokopondo, Suriname (2012).

Figure 17 : Port de Afobaka, Suriname (2012).

340 A l’époque, les six mille habitants de cet endroit furent obligés d’abandonner leurs maisons, le lac inonda 43

villages, des animaux, la forêt, sur une superficie qui correspond à la moitié des terres traditionnellement occupées par les Noirs Marrons. Voir, de Richard Price : Peuple Saramaka contre État du Suriname : combat pour la forêt

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Figure 18 : Pirogues chargées de marchandises au port de Afobaka

(2012).

Tout ce qui est transporté dans les pirogues est emballé dans des sacs plastiques, pour ne pas être mouillé par la pluie ou par l’eau qui est aspergée par les autres pirogues quand elles se croisent sur le lac, et aussi pour protéger de la boue des pistes, pendant le trajet en moto 4x4, qui arrivent dans un deuxième temps. Les personnes emballent les affaires rapidement, et au début, je ne compris pas ce que je devais faire quand une femme qui avait fait le voyage avec nous en voiture me donna un grand sac poubelle, en plastique, pour emballer mon sac. Sans beaucoup d’explications, elle me dit de mettre mes affaires à l’intérieur et de donner le tout au piroguier.

Au milieu de tant de sacs identiques, à la moitié du parcours, à un des arrêts de la pirogue, un des passagers qui descendait, prit par erreur, le sac d’une autre personne, dans lequel se trouvait son passeport et objets personnels, et il resta sans être sûr de pouvoir le retrouver, un exemple courant de perte de passeport (d’autres les perdirent dans des accidents de pirogues).

Durant la traversée du lac par la pirogue, parfois il pleuvait, parfois il faisait soleil. En plus des marchandises, nous étions dix personnes, dix passagers, et nous nous protégions comme nous pouvions : quelques-uns avec des parapluies, d’autres avec des vêtements de manches longues, des blousons à capuche. Le voyage dura environ 2h30, et nous arrivâmes au port du petit village de Stokampo, où nous prîmes une moto 4x4 pour faire le reste du voyage jusqu’à corrutela de Macu.

Le voyage, depuis le port de Afobaka, demanda de l’organisation et de la solidarité entre les passagers, principalement entre ceux qui transportaient de la marchandise, car son transfert est constant, et il faut l’arranger de manière à ce que tout tienne (Figure 19). Durant les longs voyages, ceux qui aident à l’organisation gagnent, parfois, comme récompense, la gratuité du transport (en pirogue ou en moto).

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Figure 19 : Marchandises en train d’être arrangées sur

les motos 4x4 (le moyen de transport des passagers et des marchandises utilisées sur les garimpos) au port de Stokampo, Suriname (2012).

Je cherchai à montrer mon calme et ma disponibilité dans l’organisation et le transfert des marchandises de la pirogue à la moto (je ne dis pas, par exemple, que la moto n’offrait pas de sécurité en raison de toutes ces choses et personnes qu’elle allait transporter), tentant de ne pas perturber la routine de ce voyage jusqu’au garimpo, afin que je puisse observer comment les choses se passaient, et en même temps, de ne pas être un paquet supplémentaire qu’ils avaient besoin de transporter.

Sur le garimpo, il existe un sentiment de méfiance en relation à la protection de l’or qui est gagné, et par les personnes qui sont incommodées par l’insécurité du transport, mais si quelqu’un arrive « brefado » (sans argent), se montrant disposé à coopérer, que ce soit comme aide cuisinier à transporter de l’eau, il ne lui manquera ni abri ni nourriture. A me montrer disponible, cela me facilita le contact avec les interlocuteurs durant le parcours jusqu’au

garimpo, car, comme ils m'ont dit plus tard, qui se trouve incommodé par l’insécurité du

transport, par le travail pénible et les conditions de vie, n’a aucune raison d’aller au garimpo : c’est une personne « inutile ».

Sur la moto, emballés dans des sacs, voyageaient nos objets personnels, la nourriture (viandes, poulet, légumes, assaisonnement), vêtements, parfums, bibles, accessoires (Figure 20) — en plus du chauffeur, devant et trois passagers derrière (moi, la femme et le pasteur pratiquement assises sur les paquets ; moi en vérité assise derrière le conducteur (divisant son espace), durant un voyage qui dura approximativement 2h30 sur une piste pratiquement inexistante, avec des nids de poule et « pentes » et comme il avait plu, les nids de poule étaient

153 plein d’eau, couvrant nos pieds de boues341. Dans ces conditions, le quadricycle est le seul

véhicule capable de gravir les « pentes » et traverser la boue ; donc il ne sert à rien de parler de l’insécurité de ce type de transport, seulement espérer arriver entier — l’excès de bagages et de passagers, étant une réalité journalière à laquelle tout le monde est habitué.

Figure 20 : Les marchandises arrangées sur la moto 4x4

(2012).

Depuis le port de Afobaka, le danger principal ne fût pas les animaux de la forêt amazonienne, mais les moyens de transport utilisés, la surcharge de passagers et de marchandises et pour finir, la piste. Nous arrivâmes à la corrutela de Macu fatigués, affamés, assoiffés, couvert de boue, avec des tennis inutilisables — et enfin il fut possible de comprendre l’importance des sacs plastiques. Mais nous n’arrivâmes pas « rodados » comme les

garimpeiros désignent les personnes qui arrivent sans un contact, sans le nom d’une personne

qui pouvait procurer un abri, qui arrive « rodado » met du temps pour arriver à sa destination finale et pour réussir « une bonne place »342 en plus de tout cela, tous pensent qu’une femme

inconnue qui arrive tout seule à un garimpo est une travailleuse du sexe, une ploc, ce qui pouvait compliquer la collecte des données343.

341 En chemin, de voir tant de motos passer, il y a des nids de poule, qui, quand il pleut se remplissent d’eau ; et

en relation avec l’état de la piste, le trajet est une constante montagne russe.

342 Un garimpo qui a une bonne production d’or, une bonne alimentation, et qui ne requière pas beaucoup de main-

d’œuvre, comme les endroits où s’utilisent un nombre plus important de machines et ou l’effort physique est moindre. Dans le cas des cuisinières la « bonne place »est celle qui, sur les garimpos, possède une gazinière et où il n’est pas difficile de se procurer de l’eau, et le plus important, quand le propriétaire de la machine paie tous les jours (en or), car beaucoup avaient déjà travaillé dans des « place mauvaise » pour quelques temps sans rien recevoir.

343 C’est pour cette raison que j’attendis d’avoir de la compagnie pour aller au garimpo — en plus de ne pas être

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Je fus logée dans la maison du pasteur de l’Église de l’Assemblée de Dieu Ministério de Madureira qui habitait la corrutela, qui était en face du temple, une maison en bois simple, avec une terrasse, un salon (qui servait de chambre pour le couple), une cuisine, une salle d’eau seulement pour prendre un bain car il n’y avait pas de toilettes344 (la forêt ou un petit sac

plastique jeté ensuite dans la forêt était le destin pour les nécessités physiologiques). Dans le couloir qui reliait le salon à la cuisine, j’attachai mon hamac.

Le seul endroit observé sur le terrain des garimpos, identifié comme toilettes, fut un petit espace entouré d’une clôture dans la corrutela de Cláudia, au Garimpo do Macu (Figure 21), probablement construit pour la réalisation d’un événement (un bingo, par exemple, qui réunit un nombre très grand de personnes).

Figure 21 : Toilettes improvisées de la corrutela de

Cláudia, garimpo du Macu, Suriname (2012).

La Maison se trouvait au bout de la corrutela, devant l’église et à quelques pas du cabaré le plus actif à ce moment345, et c’est pour cela qu’il était inévitable de connaître l’heure à

laquelle il commençait à fonctionner et celle à laquelle il fermait : la musique forte commençait en fin de matinée pour se poursuivre toute la nuit.

Durant les deux nuits que je passai dans ce corrutela, j’assistai au culte évangélique : assise au fond du temple, observant les personnes arrivant à pied, avec une torche à la main, après une longue marche. C’était des membres officiels de l’Église, mais dans leur majorité, ils fréquentaient le temple épisodiquement, de la même manière que la propriétaire du cabaré

344 Dans aucune des maisons dans lesquelles j’entrai, il n’y avait de toilettes, Les seules qui en possédaient étaient

les cabarés, qui payaient une taxe de fonctionnement plus importante que la plupart des établissements commerciaux pour le leader Noir Marron local.

345 Dans la même rue (la seule de la corrutela) il y avait deux grands cabarés et quelques-uns petits (ces derniers

fonctionnant avec une ou deux professionnelles du sexe, et attendaient une fréquentation plus importante pour se structurer.

155 voisin venait assister au culte de temps en temps — ceux auxquels j’assistai, il était présent en compagnie de sa fille. Je commençai les entretiens le jour suivant mon arrivée, tôt, quand je sortis pour connaître la corrutela : à chaque porte où il y avait une personne, je m’arrêtai pour demander des informations, converser, et si possible, réaliser une interview. Au garimpo, ce n’est pas possible de marquer des rendez-vous, j’avais peu de temps et il fallait agir rapidement, c’est pour cela que les entretiens furent réalisés avec ceux qui se montraient disponibles et sensible à ma recherche, sans que soit marqué le local ou l’heure : ils furent fait dans les

cabarés, les bars, les baraquements collectifs de garimpeiros, les cuisines, durant le voyage sur

la moto et durant les repas.