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6. L'intervention dans les maisons d'hébergement communautaires en contexte

6.5 Modèle de pratique et interculturalité

6.5.3 Risques de discrimination et d’exclusion

Nous pouvons entrevoir que le maintien d’une position ferme sur l’une ou l’autre dimension peut entraîner des formes d’exigence qui peuvent, dans l’excès, devenir des formes de discrimination ou d’exclusion nouvelles ou anciennes.

Par exemple, une position fortement a-culturelle-critique ne fera pas la différence, dans un cas d’actes délinquants, quant à l’appartenance ethnoculturelle, même s’il est démontré que l’appartenance à certains groupes ethnoculturels entraîne plus de pauvreté et des conditions de vie favorables à un plus fort taux de criminalité. Nous pouvons aussi constater des effets pervers de discrimination dans l’exagération de la “ rectitude politique ” : ignorer les différences ethniques entraîne l’affirmation de la loi du plus fort.

Par exemple aussi, une position fortement interculturelle condamnera tour à tour l’ethnocentrisme caché du professionnel a-culturel ou intégratif, de l’intervenant communautaire - ou intégratif et même le critique a-culturel ou intégratif. Dans tous ces cas, sera dénoncée la prédominance d’une culture sur une autre. En même temps, et paradoxalement, on exclut ainsi les personnes qui ne sont pas pour une société pluraliste égalitaire, devenant intolérant devant une perspective intégrative ou a-culturelle.

Chaque position type tenue avec excès semblerait donc entraîner des effets discriminatoires. Ceci est fondé sur le fait que la situation sociale de départ est celle d’une diversité ethnique inégalitaire dans le pays, et que toute position trop rigide ne peut se heurter qu’aux contradictions liées à cette situation. La souplesse des positions et le souci de justice sont encore ici les meilleurs guides.

C ollectif de R echerche sur l'I t i n é r a n c e Tableau 6.1

Approches de l’intervention et ethnoculturalité

Approches d’intervention Positions face à l’Ethnoculturalité Approche Professionnelle Approche Communautaire Approche Critique A-culturelle

Les différences culturelles sont secondaires, non pertinentes.

Expertise universelle

Elle repose sur une base scientifique, commune.

Participation égale

Tous ont un statut égalitaire dans la communauté.

Citoyenneté: égalité de droit et non-

discrimination

Tous sont citoyens égaux en droit.

Intégrative

Il y a des minorités culturelles qu’il faut respecter et intégrer à la majorité.

Adaptations nécessaires

Il faut adapter son approche professionnelle à certains aspects de la culture pour être efficace.

Intégration à la majorité culturelle

L’unité de la

communauté implique des ajustements pour prendre en compte la diversité ethnique.

Défense des droits

Il faut défendre les droits des minorités ethniques pour garantir un accès égal aux services.

Interculturelle

Toutes les cultures sont égales entre elles (relativisme culturel).

Approche interculturelle

Une approche spécialisée qui se fonde sur

l’identité culturelle de chacun des partenaires.

Communauté interethnique et pluraliste

Construire une

communauté fondée sur la diversité culturelle et l’égalité.

Émancipation des minorités

Faire reconnaître la

différence est une condition pour assurer des droits égaux (ex. la discrimination positive).

Si nous appliquons cette grille aux éléments de notre enquête, et tout en sachant qu’il s’agit d’un contexte partiel qui peut être fort différent dans la pratique quotidienne, nous pouvons dégager les positions suivantes : les intervenants se réfèrent principalement à une approche professionnelle suivant deux variantes, l’expertise universelle ou l’adaptation nécessaire, et secondairement, une approche communautaire, suivant également deux variantes, de participation égale ou d’intégration à la majorité culturelle.

En effet, que ce soit la définition des problèmes qu’ont vécu les jeunes et les ont conduits à la maison d’hébergement, que ce soit l’application du code de vie, que ce soit la stratégie d’intervention, la position le plus souvent rencontrée chez les intervenants est celle d’une similarité en profondeur du type de problèmes, des références normatives à respecter, du cheminement à assurer : c’est la posture a-culturelle. Un certain nombre d’intervenants vont cependant citer de multiples exemples où joue une certaine différence ethnoculturelle : conflits intergénérationnels plus intenses, référence à des normes et des valeurs de conduites différences, attitudes différentes à l’égard de l’autorité, problème de communication plus profond. Mais dans tous ces cas, il s’agit d’adaptation afin d’arriver finalement à une intégration aux mêmes normes que celles de la majorité : c’est la posture intégrative.

Comme nous l’avons esquissé plus haut (section 6.4), plusieurs intervenants sont proches de certaines caractéristiques professionnelles : référence à une formation spécialisée, des méthodes d’intervention d’aide spécifiques, une valorisation de l’aide personnalisée. C’est pourquoi nous les avons situés comme “ professionnels ”, ne faisant pas allusion ici au statut formel, mais aux caractéristiques de la pratique telle que présentée. D’autres intervenants nous apparaissaient insister davantage sur la vie du groupe, leur rôle dans une équipe, l’importance d’une socialisation des jeunes dans la vie collective, un climat harmonieux dans la maison d’hébergement : nous les avons situés dans l’approche communautaire. En fait, les intervenants seraient mieux décrits encore comme se situant dans l’entre deux par rapport à ces deux figures d’intervention.

Nous disons “entre ces deux figures” dans la mesure où les intervenants ne se situent pas pleinement comme intervenants professionnels, ni non plus pleinement comme intervenants communautaires étant donné le contexte organisationnel et institutionnel en cause. Les intervenants adoptent, pour la plupart, une position universalisante, autour d’un modèle normatif commun de l’intervention. Par ailleurs, plusieurs intervenants font état de la nécessité de s’adapter à des différences ethnoculturelles, sans pour autant mettre en cause le modèle normatif global qu’ils partagent.

C ollectif de R echerche sur l'I t i n é r a n c e Nous n’avons pas relevé d’indications significatives, dans les discours des intervenants, d’une approche de type interculturelle, au sens du relativisme culturel; nous ne voyons pas non plus de traces importantes pouvant supporter une approche critique. En effet, les intervenants abordent peu la question des rapports sociaux inégalitaires fondés sur l’identité ethnoculturelle.