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L’intervenant : ni professionnel, ni aidant naturel

6. L'intervention dans les maisons d'hébergement communautaires en contexte

6.3 Conception de l’intervention en maison d’hébergement

6.3.4 L’intervenant : ni professionnel, ni aidant naturel

Les personnes interviewées se disent “ intervenantes ”, avec tout le flou que cette expression comporte. Les intervenants se définissent souvent en disant ce qu’ils ne sont pas. Ils ne font pas un travail de professionnel de la santé : psychologue, travailleur social, sexologue, thérapeute, ce qui ne les empêche pas, de faire une certaine forme de relation d’aide individuelle ou d’animation de groupe et de respecter une éthique de base. Ils ne sont pas, par ailleurs, de simples “ surveillants de dortoir ” ou des travailleurs d’hôtellerie : ils font souvent certains travaux d’entretien et de surveillance, mais ils sont là pour encadrer et aider les jeunes dans leur expérience d’hébergement et leur démarche de développement psychosocial. Ils sont en quelque sorte des “ éducateurs ”, mais pas comme ceux des centres d’accueil ou des foyers de groupe. Ils sont proches d’intervenants communautaires, sans le titre ni les mêmes stratégies. En effet, ils contribuent à faire vivre une “ ressource communautaire ”. Ils ne sont pas par ailleurs des “ aidants naturels ”, des pairs aidants ou des membres d’une même communauté d’appartenance. Ils vont aussi se distinguer, à titre d’intervenant salarié, des bénévoles ou des “ animateurs ” d’activités qui interviennent dans certaines maisons d’hébergement.

Leur identité “ professionnelle ” positive est complexe. Ils ont une expertise certaine, mais peu codifiée ou reconnue au sens habituel des “ professions ” du réseau qui sert ici de point de référence : ce sont des intervenants “ généralistes ” qui ont développé, le plus souvent à travers l’expérience terrain, un savoir-faire important, très proche de compétences professionnelles qu’on peut retrouver dans le réseau de la santé et des services sociaux. Mais il n’y a pas que ce savoir pratique : dans le groupe étudié, un seul des vingt intervenants ne détient pas un diplôme collégial ou universitaire. Cinq possèdent des DEC, dont quatre professionnels : techniques de travail social (2);

techniques d’éducation spécialisée (2). Les seize autres avaient un diplôme universitaire : un certificat en animation culturelle; treize baccalauréats (travail social (4), sexologie (4), psychologie (1), animation culturelle (1), criminologie (1), autres (2), enfin, un autre intervenant détient une maîtrise en psycho-éducation.

Cette diplômation est comparable aux expertises formelles qu’on pourrait retrouver dans des centres d’accueil ou d’autres services du réseau. Mais d’autres facteurs, que nous examinons plus loin, liés aux conditions organisationnelles peuvent expliquer cette préférence d’un titre plus large comme celui d’être intervenant ou éducateur. Mais abordons le travail plus directement relié au travail d’aide aux personnes.

a) Une intervention planifiée

L’intervention auprès d’un jeune et auprès du groupe de jeunes hébergés se fonde sur une démarche planifiée, mais le degré de planification explicite varie grandement selon les maisons d’hébergement et selon les intervenants. En plus des repères généraux de la Règle de vie en groupe, il y a habituellement, et dans la plupart des cas, un plan d’intervention personnalisé pour chaque jeune. On reconnaît partout les trois étapes suivantes : l’entrée et l’établissement d’un contrat; un plan d’intervention personnalisé pour la durée du séjour; une sortie assistée.

-Le contrat

Le point de départ de l’intervention se fait autour de la demande du jeune. Que celui-ci ou celle-là s’adresse à la maison d’hébergement sur référence institutionnelle ou communautaire (famille, autre maison, etc.), il s’agit d’une démarche volontaire, d’un choix. La démarche au moment du premier téléphone ou de la première visite du jeune sera d’établir les conditions optimales de ce choix. Un contrat psychologique, plus ou moins explicite, est défini entre le jeune et la direction de la maison d’hébergement. Il peut inclure des informations écrites ou non sur les conditions du séjour, l’établissement d’objectifs, une entrevue d’évaluation. Il se fait au moment de l’entrée dans la maison. Plusieurs maisons prévoient des conditions quant aux situations de crise ou d’urgence (fuite précipitée d’un jeune de la maison familiale, moment difficile) où la maison peut accueillir le jeune provisoirement en attente d’une appréciation plus complète permettant de décider d'un séjour.

C ollectif de R echerche sur l'I t i n é r a n c e Selon les intervenants, le caractère volontaire d’acceptation des conditions d’hébergement fait la différence avec un placement institutionnel requis par la Cour ou l’équivalent. Conséquemment, le bris des conditions de ce contrat volontaire est aussi la fin possible de l’hébergement. Notons que dans certaines maisons d’hébergement (AMBCAL et L’Envolée par exemple), ce contrat initial nécessite directement l’accord des parents ou de la famille du jeune. Mais de façon plus fréquente, ce lien avec la famille passe par d’autres intermédiaires : travailleurs sociaux de CLSC ou de CPEJ.

-Un programme personnalisé

La vie quotidienne dans la maison d’hébergement, la participation aux activités collectives, l’apprentissage du “ code de vie ” constituent déjà un cadre d’intervention, comme on l’a vu plus haut. Mais chaque jeune fait aussi l’objet d’un plan d’intervention plus ou moins formalisé, plus ou moins détaillé. Ainsi, chaque intervenant se voit confier la responsabilité de quelques jeunes qu’il est amené à superviser de plus près (ce fonctionnement par attribution de dossiers semble être généralisé).

Plusieurs intervenants, et ceci est supporté par la philosophie d’approche de certaines maisons d’hébergement établissent un suivi par objectifs : au début du séjour, à intervalles réguliers, hebdomadaires ou même journaliers, le jeune est appelé à formuler des objectifs à atteindre, à réaliser des activités, à accomplir des démarches. Il s’agit alors, pour l’intervenant, d’assurer un rôle de supervision de ces engagements. Pour d’autres intervenants, et dans d’autres maisons, la supervision est beaucoup plus informelle, mais tous partagent une conception pragmatique de l’intervention d’aide : centrer le jeune sur des choses précises à faire, veiller à ce qu'il respecte ses engagements.

Dans certaines maisons, certaines approches ou méthodes d’intervention sont privilégiées, comme l’approche systémique familiale (AMBCAL) ou la thérapie de la réalité (Hébergement St- Denis), pour prendre ces deux exemples.

-Des rôles multiples

Il est frappant de voir la variété des rôles et des activités des intervenants auprès des jeunes. Mentionnons les plus fréquemment évoqués.

- À l’intérieur de la maison : faire de la surveillance, participer voire “ animer ” des activités collectives, intervenir en cas de conflits ou de comportements perturbateurs.

- Au niveau individuel : aider le jeune dont on est particulièrement responsable à travers des rencontres informelles au quotidien ou par des entrevues (hebdomadaires, ou plus fréquentes); intervenir auprès de lui dans les moments difficiles, l’aider à parler, à dire ce qui ne va pas, à explorer des voies de solutions et le recentrer sur ses engagements, ses objectifs, ses projets.

- Certains intervenants font aussi état d’activités externes : accompagner le jeune dans certaines démarches (recherche d’emploi, procédures administratives) ou tout simplement dans des sorties de loisirs. C’est aussi assurer des suivis avec d’autres intervenants externes : parents, travailleurs sociaux, enseignants, amis externes du jeune, etc.

Il est important de noter que l’intervention individuelle auprès des jeunes est indissociable d’un travail d’équipe. Selon les horaires de travail, les intervenants sont appelés à se relayer auprès de jeunes à travers des procédures de suivi quotidiennes. L’attribution des dossiers se fait aussi en fonction de l’expérience ou de la compétence spécifique des intervenants, voire des sexes ou de l’origine ethnique dans certains cas. Pour sa part, le coordonnateur sera davantage impliqué dans les suivis avec les intervenants externes (famille, école, CLSC, etc.) et la gestion administrative de la maison.

Plusieurs maisons développent également un programme d’activités collectives à l’interne, en dehors du cadre quotidien routinier (jeux, ateliers d’art, cinéma, corvées) ou à l’externe (sports, sorties de groupe etc.). Les soirées et les week-ends sont des moments privilégiés pour ces activités. Les intervenants sont appelés à y jouer divers rôles, de la simple participation à l’animation ou l’organisation. Quelques intervenants soulignent leur implication régulière dans ces activités de jeu et de création “ à cause de leur compétence ou de leur intérêt ”.

Cette simple énumération, non exhaustive, des activités des intervenants montre ce que nous entendons par un profil “ généraliste ” où se mêlent des compétences en relation d’aide, en organisation, en animation, en supervision. En même temps, l’intervention se fait dans une équipe de travail et dans un contexte variant d’une maison à l’autre. Nous pouvons noter aussi, et malgré l’impression première que laissent certaines entrevues d’un mode d’intervention plus ou moins direct ou planifié, qu’il y a au contraire un plan d’action et une programmation importants, même s’ils peuvent varier beaucoup d’une maison à l’autre.

C ollectif de R echerche sur l'I t i n é r a n c e b) Une expérience communicationnelle

Un aspect de l’intervention très valorisé par les intervenants est celui de la communication qui s’établit avec les jeunes. Plusieurs mentionnent que c’est non seulement une condition pour que la vie en hébergement se fasse bien, que les jeunes puissent vivre un développement personnel plus sain, mais que c’est aussi un indice du succès de la démarche. Quand “ le lien ” s’est établi, que le jeune peut communiquer avec confiance et qu’une ouverture réciproque est possible, nous serions en présence de conditions optimales de développement.

Plusieurs intervenants font état des difficultés nombreuses à réaliser cette qualité communicationnelle. Tel jeune est trop retiré. Telle autre est trop changeante ou instable : elle prend des engagements qu’elle ne suit pas; elle s’ouvre, puis se ferme tout à coup; elle prend des risques malgré toutes les mises en garde fournies.

La qualité des communications est importante aussi dans la vie de groupe, où elle devient une condition d’intégration sociale et aussi de valorisation de soi et de reconnaissance.

De façon générale, cet accent mis sur la communication repose en fait sur une conception psychologique plus ou moins implicite, proche du courant “ existentiel-humaniste ” : authenticité, auto-contrôle et autonomie, confiance en soi, ouverture, responsabilité personnelle...