• Aucun résultat trouvé

6. L'intervention dans les maisons d'hébergement communautaires en contexte

6.3 Conception de l’intervention en maison d’hébergement

6.3.3 La vie quotidienne : au centre de l’intervention

Le travail d’intervention comporte une partie importante de présence active dans des activités quotidiennes largement déterminées par l’horaire de vie de la maison et les règles de fonctionnement définies dans la Règle de la maison. Les moments forts sont la soirée, y compris le repas du soir, et le lever : la grande majorité des jeunes allant à l’extérieur durant le jour, soit à l’école, soit ils effectuent diverses activités (recherche d’emploi, démarches diverses ou loisirs). Le programme du week-end est davantage centré sur les loisirs, les sports, et... les travaux domestiques. Rappelons que dans un cas (AMBCAL), les jeunes retournent dans leur famille le week-end, pratique très rare dans les autres maisons.

Les repas, mais surtout le repas du soir, sont une occasion de socialisation : temps pour faire connaissance, pour s’exprimer et discuter, pour aborder des questions plus ou moins sérieuses. L’intervenant est là comme responsable, animateur informel ou tout simplement participant attentif. Il est là aussi pour s'assurer que le partage des tâches se fait bien, et il supervise leur exécution. Les services directement reliés au repas (cuisine et vaisselle) s'organisent selon des modalités différentes en fonction de chaque maison d'hébergement puisque certaines ont une cuisinière ou un cuisinier, d'autres non. Six des huit maisons font état de tels services de soutien logistique.

La soirée est l’occasion de plusieurs activités mettant en cause le choix et la responsabilité des jeunes : devoirs, leçons, sorties, loisirs. Ces activités sont individuelles et collectives. La soirée est souvent le temps choisi pour la supervision individuelle ou la relation d’aide ou, dans certaines maisons, c’est l’occasion d’activités de formation en groupe ou de croissance personnelle.

Le coucher et l’heure de rentrée sont des moments privilégiés pour l’application des règles : respecter l’horaire, ne pas déranger l’autre, respecter les frontières gars-filles (sections séparées dans les résidences). L’intervenant joue ici un rôle de surveillance et de discipline au besoin. Plusieurs font état de la nécessité d’assouplir certaines règles ou les interprètent en fonction de situations particulières, selon chaque cas : heures de rentrée flexibles à l'occasion, léger état d'intoxication toléré provisoirement, bruit et dispute admis avec plus d'indulgence lorsqu'ils sont vus comme une expression de la “ vitalité ” adolescente.

C’est à travers ce fonctionnement quotidien et collectif que se joue une grande partie de l’efficacité de l’hébergement communautaire comme moment de “ resocialisation ” fondée sur l’expérience d’un cadre, d’une Règle, soutenue par la présence des intervenants.

C ollectif de R echerche sur l'I t i n é r a n c e a) Une Règle forte et souple

Les maisons d’hébergement ont toutes un “ code de vie ” ou une règle de vie qui fait partie intégrante des conditions d’hébergement pour le jeune et, très explicitement, des conditions d’accueil. Nous nous attardons sur ce point qui nous apparaît majeur dans l’intervention.

Cette Règle touche plusieurs points. Voici ceux que relèvent le plus fortement les intervenants :

- Réglementation des rapports entre les sexes. Dans les maisons mixtes, les rapports sexuels ou la présence de couples explicites (comportements d’intimité ou d’exclusivité dans la maison) ne sont pas permis malgré, dira telle intervenante, qu’“ on ne puisse pas empêcher d’aimer et que nous ne contrôlons pas ce qui se passe à l’extérieur; nous sommes en milieu ouvert ”. Par ailleurs, les maisons mixtes ont des chambres distinctes de coucher pour les “ garçons ” et pour les “ filles ”. Notons que dans le cas de maisons pour filles seulement (Passages et Transit-Jeunesse), il n’est pas permis non plus d’avoir des relations d’intimité dans la maison avec son ami vivant à l’extérieur. Cette réglementation s’applique de toute évidence aux relations entre le personnel et les jeunes et ceci fait partie des règles éthiques de l’intervention.

- Réglementation des conflits et des actes de violence verbale ou physique. Les comportements de violence ne sont pas tolérés. Il peut se produire des “ chicanes ” ou des manifestations émotives, mais elles doivent être vite maîtrisées “ raisonnablement ” dans le “ respect ” des autres. L’intervenant est souvent appelé à exercer son autorité ou mieux, à jouer un rôle de médiation, à séparer les belligérants, à faciliter la verbalisation positive, à accompagner le jeune.

- Réglementation sur l’usage de drogues. L’alcool et les autres drogues sont interdits dans la maison. Si une certaine tolérance peut être exercée en cas de consommation externe, c’est là aussi un motif de renvoi, s’il y a abus.

- Réglementation sur le vol ou le bris d’équipements. Ces points font l’objet de sanctions et peuvent exiger des “ explications ” à l’occasion de réunions de tout le groupe des résidents.

- Réglementation des heures de sortie. Dans la plupart des cas, on prévoit des heures de sortie et rentrée différentes selon les âges et les maisons, pour les jours de semaine et ceux de week-end. Par exemple, les “ 12-14 ans vont entrer à 9h00 la semaine, 9h30 la fin de semaine; les 15-16 ans 10h00 et 10h30 ”. Mais dans d’autres maisons, cela pourra être 11h00 ou 11h30 la fin de semaine. - Autres règlements. Un certain nombre d’autres exigences sont plus ou moins explicites, selon les maisons : nécessité de participer à des repas collectifs (le souper); de faire un certain nombre de

tâches domestiques (vaisselle, ménage, lavage, etc.); de faire un temps d’étude précis si l’on va à l’école (trois heures semaine, par exemple); de faire approuver ses téléphones à l’extérieur (usage limité du téléphone), etc. Certains équipements (loisirs, sports) nécessitent des permissions (ils sont rangés sous cadenas).

La plupart des intervenants tiennent toutefois à souligner que pour eux, l’application de ces règlements doit être flexible et sur mesure, selon les cas. Plusieurs indiquent qu’il ne s’agit pas de reproduire la Règle d’un centre d’accueil, imposée au jeune de l’extérieur (alors qu’elle fait partie d’un contrat volontaire dans leur maison d’hébergement) et appliquée de façon très sévère et autoritaire.

Nous serions ainsi en présence d’un cadre d’intervention qui se situe entre le groupe primaire “ naturel ” comme une famille ou un groupe d’amis et l’institution cœrcitive comme un centre d’accueil. Il y a des règles explicites, écrites et convenues entre les parties (ce qu’on retrouve peu dans la famille) dont la légitimité n’est pas questionnée. Mais ces règles seraient moins contraignantes et imposées que dans une institution sous l’égide la Protection de la jeunesse. La maison d’hébergement n’est ni une famille ni une maison de rééducation ou d’internement. Ceci dit, la Règle est importante : elle représente une forme d’autorité légitime à laquelle le jeune consent explicitement. Elle est un moyen de socialisation, une condition d’établissement d’un ordre symbolique dans le rapport aux autres, au-delà de l’arbitraire individuel. C’est donc là aussi une base de ré-éducation permettant aux jeunes de (re) faire l'apprentissage de l'élaboration de liens interpersonnels plus satisfaisants que ceux établis jusque là à travers la famille ou le milieu social (école, entourage). Notons également que ce travail de ré-éducation s’appuie sur un modèle répondant à des normes morales relativement classiques, à l’image d’une “ bonne ” famille : discipline, partage des tâches, respect interpersonnel, non violence, contrôle des désirs sexuels et non promiscuité, interaction harmonieuse, respect des autorités (ici, les intervenants).

b) Variations culturelles

La Règle d’une maison d’hébergement représente un cadre plus ou moins éloigné de l’expérience antérieure des jeunes immigrants. Un intervenant cite cet exemple d’un jeune “ latino ” pour qui telle heure de rentrée peut apparaître plus permissive que celle qu'il suivait chez ses parents, considérés plus sévères et restrictifs. Un autre exemple apporté est celui d'un jeune africain pour qui la participation aux travaux domestiques est nouvelle, puisqu'il ne “ foutait rien ” chez lui. Plusieurs intervenants ont relevé que l’appartenance ethnique jouait beaucoup à ce niveau,

C ollectif de R echerche sur l'I t i n é r a n c e même s’il est vrai qu’il y a de bonnes différences aussi dans les familles québécoises d’origine canadienne française ou anglaise. Le statut social et la classe sociale d’appartenance des familles d’origine peuvent jouer un grand rôle aussi.

Par ailleurs, le code de vie ne prévoit pas explicitement d’exceptions “ ethnoculturelles ” ou ethnoreligieuses. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas, en pratique des adaptations : permission pour de jeunes immigrants musulmans de se retirer de certaines activités comme un repas, respect de certains goûts culinaires reliés à des habitudes de vie autres. Mais en général, les intervenants ne font pas état de règles particulières. Dans deux maisons, il existe une règle de “ non-discrimination ethnique ” et de respect. Mais c’est le même code de vie.