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n Le risque de l’inaction : un scénario noir possible dès 2015

Analyse et projections des circulations automobiles selon trois catégories de mobilités

4 n Le risque de l’inaction : un scénario noir possible dès 2015

Déjà confrontés à l’éloignement des services essentiels, les territoires à faible densité vont devoir faire face dans les vingt prochaines années à une hausse inéluctable du prix des carburants, due à l’augmentation du prix du pétrole mais aussi à la mise en place d’une taxe carbone, quelle qu’en soit la forme. Dans le prolongement des tendances actuelles, un tel scénario pourrait conduire à appauvrir les habitants de ces territoires et à les marginaliser.

Le risque de l’inaction est réel : une hausse durable du prix des carburants (à 3 euros le litre, par exemple, voir l’analyse de l’AIE des tensions sur le marché mondial) mettrait en péril les budgets déjà tendus d’un nombre élevé de ménages dans les territoires à faible densité. Elle entraînerait localement une spirale d’appauvrissement des valeurs immobilières, de l’offre de services de proximité et des conditions de vie quotidienne. Elle accentuerait la « relégation » sociale d’une grande partie de ces territoires, avec une triple peine : éloignement des services, accès plus difficile à l’emploi, dépenses accrues d’énergie pour l’habitat et le transport.

En outre, ces territoires accueilleront dans le futur une population de plus en plus âgée − d’après les chiffres de l’INSEE, une personne sur trois aura en France plus de 60 ans en 2050, alors qu’aujourd’hui cette tranche d’âge ne représente que 22 % de la population – qui aura besoin de services de transport particuliers sous peine d’être de plus en plus isolée (voir encadré).

Les mécanismes possibles d’un scénario noir

Une proportion élevée de ménages résidant dans les territoires à faible

densité ne peut plus faire face à l’augmentation brutale des dépenses obligatoires d’habitat et de transport liée aux coûts de l’énergie ;

les prix immobiliers s’effondrent dans les zones périurbaines et rurales

éloignées des emplois et des services ;

les services – publics et privés − se replient vers les villes et centres denses,

• afin de garder une clientèle suffisante ;

les « nouveaux pauvres » (classes moyennes inférieures), chassés des

villes denses par la hausse des prix immobiliers, se réfugient dans ces espaces délaissés où ils vivent à moindres coûts, à l’écart des services quotidiens assurés dans les territoires denses ;

le gouvernement arrête un projet national de traitement social des territoires

périurbains et ruraux (personnes âgées isolées, familles en difficulté).

Afin d’évaluer ces risques, il est important d’identifier les territoires les plus fragiles, voire les ménages les plus dépendants de l’automobile pour lesquels une intervention préventive serait opportune, en croisant les paramètres du lieux d’habitation, du lieux de travail, des solutions de mobilité alternatives à l’automobile et du budget disponible.

Une mesure concrète consisterait à proposer un test de résistance (ou crash-test) aux ménages, aux entreprises et aux territoires pour apprécier leur capacité de résistance aux facteurs de risques (tels que le prix de l’énergie) liés aux déséquilibrés territoriaux qui s’accentueraient entre les budgets, la disponibilité des services de proximité, les prix immobiliers et les conditions de mobilité.

Ce type d’outil très puissant à destination des ménages, des collectivités et des industries existe aux États-Unis. Un site Internet1 permet d’avoir une vue cartographique de l’impact des prix du foncier, de l’énergie, de la localisation domicile/travail. Ce pourrait être une inspiration pour les pouvoirs publics : un tel outil permettrait d’identifier les plus bas prix et aiderait les ménages à choisir un lieu d’habitation.

On trouve également sur Internet des cartes de Londres2 interactives qui per-mettent aux ménages de jauger simultanément les temps de transport et le coût du foncier. Plus les usagers utiliseront les technologies d’information numérique pour se déplacer, plus il sera possible de mettre en œuvre des bases de données permettant de construire des outils d’aide à la décision.

Par ailleurs, des mesures visant à prévenir ou pallier ces situations de fragilité ont été prises dans un certain nombre de territoires, telles que le traitement social des mobilités d’accès aux lieux de travail ou les regroupements de services permettant leur maintien sur le territoire.

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Trois enjeux pour une mobilité durable dans les territoires à faible densité

Dans une perspective à vingt ans, les politiques d’aménagement urbain ne modifieront que partiellement la consistance et l’organisation des territoires

(1) http://htaindex.cnt.org.

(2) http://www.mysociety.org/2007/more-travel-maps/morehousing.

à faible densité. Une action vigoureuse sur les mobilités et l’accessibilité aux emplois et services de proximité est donc nécessaire à la fois pour :

limiter la dépendance automobile, notamment celle des populations fragiles

ou à risque ;

diminuer les consommations d’énergie et les émissions de CO

2 ;

valoriser, dans la durée, les potentialités économiques et sociales de ces

territoires.

Le devenir des territoires périurbains et ruraux

Les évolutions à long terme des territoires périurbains et ruraux en matière de densité et d’organisation de l’espace font l’objet de longs débats, souvent polémiques, au nom de la lutte contre l’étalement périurbain. Les scénarios de prospective réalisés par la DATAR montrent la variété des dynamiques à l’œuvre sur ces territoires, depuis le périurbain qui se densifie jusqu’au rural qui se désertifie : la vraie question n’est pas celle de l’étalement urbain mais des dynamiques économiques de croissance différenciées selon les régions.

La mission du Centre d’analyse stratégique part du constat que l’organisation des territoires à faible densité, qui rassemblent aujourd’hui plus de 40 % de la population métropolitaine, ne sera pas fondamentalement modifiée dans les vingt ans à venir, compte tenu de la forte inertie en matière d’implantation d’habitats et d’activités.

On peut néanmoins noter une certaine évolution des idées, que Marc Wiel résume ainsi : « Avec les crises environnementales et énergétiques probables, les controverses sur les vertus respectives de la ville compacte ou étalée apparaissent de plus en plus dépassées. Il devient de moins en moins pertinent de savoir quelle est la ville idéale à terme, et de plus en plus pertinent de rendre vivable celle qui existe, compte tenu des choix des politiques publiques passées et des préférences manifestées dans le passé par les ménages en matière de localisation. Contrarier les mécanismes de formation de la rente immobilière suppose des politiques publiques très coûteuses (et donc longues à mettre en œuvre pour avoir une efficacité suffisante) pour densifier la ville compacte (dans l’hypothèse où elle retrouve un marché qui le désire). Les ménages périurbains actuels, en cas de crise énergétique, verront leur bien se dévaloriser et la plupart ne disposeront plus de ce fait des ressources utiles pour un déménagement les rapprochant des stations

de transports collectifs. Cette double contrainte fait qu’en tout état de cause il est nécessaire de concevoir, du côté des moyens de déplacements, des solutions dont l’histoire dira si elles restent ou non transitoires. La controverse devrait donc plus se resserrer à l’avenir sur l’intérêt ou non d’anticiper sur les contraintes d’usage de l’automobile (taxe carbone, modération des vitesses, extension des péages). »

Le graphique ci-contre, également emprunté à Marc Wiel, illustre cette dynamique urbaine en cours : densifier la ville est un processus à la fois long et coûteux, qui ne sera efficace que sur la durée.

En revanche, dans les vingt prochaines années, des transformations substan-tielles de l’organisation des mobilités pourraient être mises en œuvre, avec pour objectif de répondre aux attentes économiques et sociales des populations et d’éviter la mise à l’écart de ces territoires trop dépendants de l’automobile en y assurant une qualité de vie par l’accès à l’emploi et aux services quotidiens.

Limiter la dépendance automobile

Dans les territoires à faible densité, la dépendance automobile a des consé-quences lourdes pour les personnes qui ne peuvent pas utiliser ce mode de transport : personnes âgées ou handicapées, enfants et ménages aux revenus modestes.

Les inégalités dans l’accès à la mobilité automobile se sont fortement rédui-tes au cours des cinquante dernières années. Cependant, selon Marie-Hélène Massot (INRETS), le changement de contexte spatial provoqué par la géné-ralisation de « l’automobilité » a engendré de nouvelles formes d’inégalités, notamment dans une perspective d’augmentation du coût de la mobilité. Dans le cadre d’un accès à la mobilité pour tous, la question sociale concerne une minorité de ménages sans accès à la voiture et des ménages, plus nombreux, qui rationalisent fortement leur usage de la voiture pour des raisons écono-miques. Avec la hausse du prix de l’énergie et des charges liées à l’habitat (notamment le chauffage), la dépendance automobile pourrait fragiliser un nombre considérablement plus élevé de ménages.

Il faudra donc développer, dans toute la mesure du possible, des services de mobilité à un prix raisonnable, moins sensibles aux crises, accessibles au plus grand nombre. Sont notamment concernés :

les personnes aux revenus insuffisants pour utiliser quotidiennement une

voiture particulière ;

Relations entre transport et urbanisme induisant, à prix des logements/confort et à conditions de mobilité identiques, des coûts publics et des profits privés majorés VT : versement transport. Source : Marc Wiel

Motivations des acteurs : pour les investisseurs, majorer ou sauvegarder la valeur patrimoniale et la productivité ; pour les autres, s’adapter aux contraintes pour minimiser temps de transport et coûts immobiliers Insuffisance des politiques fiscales influençant la localisation des acteurs, en leur répercutant le coût des politiques aval et en finançant des politiques plus interventionnistes des collectivités en amont des localisations : foncier, déficit d’aménagement Besoins plus élevés des politiques publiques correctrices en aval des choix de localisation : logement social, aide aux accédants, politique de la ville

Désolvabilisation des accédants à la propriété sauf périurbanisation lointaine (moins efficace dans les grandes agglomérations) Consolidation ou majoration de la rente immobilière Augmentation des longueurs et des temps de trajets qui intensifient les trafics et majorent la rente immobilière

Effet amplificateur mais momentané de la bulle immobilière Motivation des institutions locales : attirer l’emploi valorisant ; garder le profil social existant ou l’améliorer ; investir prioritairement pour ce dont les contribuables tirent bénéfice

Insuffisance des politiques de gestion des infrastructures en amont des localisations (vitesse, péage, tarifs, VT) qui tempèrent les dynamiques de localisation. Nécessité de proportionner les investissements transport et aménagement L’absence de lien entre VT et coûts publics liés aux localisations, et les niveaux de service (vitesse, péage, tarification) inadaptés aux logiques de regroupement des investisseurs (proximité, agglomération, métropole) accentuent les dynamiques de relocalisation Besoins plus élevés d’investissements en politiques publiques de déplacements en aval des localisations

Relocalisation des ménages et des entreprises : concentration ou éparpillement, ségrégation

les enfants, adolescents, personnes âgées en perte d’autonomie, personnes

en situation de handicap ou d’exclusion qui ne peuvent se déplacer de façon autonome. Ces personnes représentent aujourd’hui 20 % à 30 % de la population selon les modalités d’appréciation ;

les touristes qui souhaitent sortir de la dépendance automobile durant leur

séjour ;

les personnes qui ne peuvent acquérir le permis de conduire

(méconnais-•

sance ou maîtrise insuffisante de la langue française, difficultés à lire, etc.).

Si les difficultés de fonctionnement des grandes villes denses sont bien identifiées (congestion, ségrégations entre quartiers, etc.), celles des espaces périurbains et ruraux restent en gestation (dévalorisation foncière, paupérisation, part croissante de la population âgée, etc.). Il ne faudrait pas que demain ces territoires deviennent les « nouveaux quartiers en difficulté » comme le sont aujourd’hui certaines cités périphériques des grandes villes. L’amélioration de la qualité de vie et de l’accès aux services quotidiens est déjà et sera de plus en plus la condition pour maintenir la population et accueillir de nouveaux habitants dans ces territoires.

La mobilité, nouvelle question sociale ?