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Richesse et diversité des processus d’analogie/catégorisation sonore

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 181-200)

1. Catégorisation, perception acoustique et expérience sonore

1.1 Enjeux cognitifs de l’activité perceptive

Comme toute expression du perçu, l‟entendu prend sens du connu, phénomène dont les enjeux sont mis en évidence par D. Hofstadter et E. Sander :

Sans ses expériences passées, un être humain est incapable de voir, de distinguer, ou de

comprendre quoi que ce soit. [...] Prolongement intrinsèque de nos sens physiologiques, le connu est indispensable à la perception. (Hofstadter, Sander, op. cit. : 380 ; 381).

Si les événements sonores inscrits en mémoire ont, à cet égard, été objets en contexte d‟un encodage sémantique (Hofstadter, D., Sander, E., op. cit. : 214), le sens de l‟expérience reste en permanence à construire, toute actualisation de l‟activité perceptive reposant, ce faisant, sur l‟évocation :

Pour que le souvenir et le moment présent se rencontrent, chacun doit “faire un bout de chemin“, c‟est-à dire qu‟il faut que certaines dimensions d‟encodage rapprochent suffisamment ces situations. [...] Les évocations dépendent de la présence conjointe de plusieurs fragments partagés entre les situations concernées, qui se renforcent. (Hofstadter, Sander, op. cit. : 215).

Dans son ancrage sensible même, l‟activité perceptive est ainsi indissociable des processus cognitifs, quiconfèrent à l‟expérience sa pertinence :

Nous percevons [...] à l‟aide de nos organes, mais aussi avec nos concepts, c‟est-à-dire non seulement physiologiquement mais aussi intellectuellement. Ainsi existe-t-il un lien indissociable entre percevoir et concevoir. D‟un côté, nos conceptions dépendent de nos sens, car nos concepts seraient différents si notre appareil sensoriel était différent; d‟un autre côté, nos perceptions dépendent de nos concepts, car ceux-ci constituent autant de filtres à travers lesquels n‟importe quel stimulus issu de notre environnement aboutit à notre conscience.

(Hofstadter, Sander, op. cit. : 213).

Ouverte à l‟activité conceptuelle228, la perception repose ainsi de façon essentielle sur les

phénomènes d‟analogie/catégorisation et est en cela partie prenante de notre expérience du monde :

Les catégories guident nos perceptions : elles prolongent nos sens physiologiques et nous permettent ainsi de “palper“ le monde extérieur d‟une façon plus abstraite, au moyen de nos concepts. [...] Nos catégories nous informent à chaque instant et nous permettent de dépasser l‟observation directe. [...] Pour percevoir le monde, nous dépendons autant de nos catégories/analogies que de nos yeux et de nos oreilles. (Hofstadter, Sander, op. cit. : 317 ; 30).

228 Les travaux conduits en psychologie expérimentale mettent, par exemple, en évidence le fait que le traitement des perceptions visuelles s‟effectue pour 80% à partir d‟informations provenant du cortex. (Varela, 1989).

181 1.2 Catégorisation et écoute

1.2.1 Richesse et diversité des liens tissés avec l’événement acoustique

En “prolongeant nos sens physiologiques“, ainsi que l‟analysent D. Hofstadter et E. Sander, nos catégories auditives participent du perçu et du sens que nous donnons aux situations du

quotidien, comme l‟illustre la description faite par P. Schaeffer du phénomène d‟“écoute naturelle“ :

L‟écoute naturelle donne un sens à ce qu‟elle saisit [...] Un cheval possède un timbre bien facile à repérer. Remarquons qu‟il consiste aussi bien en divers hennissements qu‟en bruits de sabots.

Un amateur de voitures reconnaît, à la fois, le régime du moteur et la marque de la voiture [...].

C‟est le résultat de toute une expérience d‟écoute. (Schaeffer, P., 1966. : 335-336).

Les phénomènes de catégorisation acoustique s‟inscrivent ainsi au cœur de la vie, situation dont l‟étude “ des quatre écoutes “ (cf. supra) propose une analyse de référence : si ouïr y renvoie aux diverses modalités de présence sonore au monde, écouter, supposant l‟ouverture d‟une visée, introduit un mouvement de tension vers l‟autre, entendre, expression plus spécifique de l‟inscription contextuelle du perçu, prenant sens de la diversité des repérages opérés par l‟oreille, tandis que comprendre, ouvrant l‟axe perceptivo-cognitif, marque l‟engagement du procès signifiant.229

229 « Ouïr n‟est pas “être frappé de sons“ qui parviendraient à mon oreille sans atteindre ma conscience. C‟est bien par rapport à celle-ci que le fond sonore a une réalité. Je my adapte dinstinct, élevant la voix sans même men rendre compte, quand son niveau sélève. Il sassocie pour moi au spectacle, aux pensées, aux actions quil accompagnait à mon insu et parfois suffira seul pour me les évoquer. » (Schaeffer, P., 1966 : 106.)

« Écouter [...] n‟est pas forcément s‟intéresser à un son. Ce n‟est même qu‟exceptionnellement s‟intéresser à lui, mais, par son intermédiaire, viser autre chose [...] J‟écoute une voiture. Je la situe, estime sa distance, en reconnais éventuellement la marque. Que sais-je du bruit qui m‟a fourni cet ensemble de renseignements ? La description que jen ferais, si on me la demandait, sera dautant plus pauvre quil maura renseigné plus sûrement et plus rapidement. Par contre, c‟est bien précisément au bruit de la voiture que je prête l‟oreille si cette voiture est la mienne et s‟il me semble que la voiture “fait un drôle de bruit“.

Enfin je peux écouter [...] sans autre but que de mieux entendre [...] Écouter est ici encore viser, à travers le son instantané lui-même, une autre chose que lui : une sorte de “nature sonore“ qui se donne dans l‟entier de ma perception. ». (op. cit. : 106-107).

Entendre : « si je reste immobile, les yeux fermés, lesprit vacant, il est bien probable que je ne maintiendrai pas plus d‟un instant d‟écoute impartiale. Je situe les bruits, je les sépare par exemple en bruits proches ou lointains, provenant du dehors ou de l‟intérieur de la pièce, et fatalement, je commence à privilégier les uns par rapport aux autres. [...] À présent, pour ce que j‟en sais, la pièce où je me trouve pourrait bien être un îlot de silence battu par les rumeurs du dehors. Mais jentends frapper à la porte ; et lensemble de ces organisations changeantes senfonce dun seul coup dans le fond sonore, tandis que jouvre les yeux et me lève pour aller ouvrir. »

Comprendre : « je peux comprendre la cause exacte de ce que jai entendu en le mettant en rapport avec dautres perceptions, ou par un ensemble plus ou moins complexe de déductions. Ou encore, je peux comprendre, par l‟intermédiaire de mon écoute, quelque chose qui n‟a, avec ce que j‟entends, qu‟un rapport indirect : je constate à la fois que les oiseaux se taisent, que le ciel est bas, que la chaleur est oppressante, et je comprends qu‟il va faire

182 1.2.2 Développement de l’intérêt pour les processus de catégorisation sonore

Ouverte aujourd‟hui à l‟analyse cognitive des processus d‟analogie/catégorisation du perçu, l‟activité auditive suscite, depuis la fin du dix-neuvième siècle (Helmholtz, 1863) - et plus particulièrement depuis les années soixante -, un intérêt spécifique, que celui-ci s‟exprime dans les domaines de la psycho-acoustique230, de la psychologie et des neurosciences cognitives, de la psycho-sociologie ou de la sémantique musicale.

Utilisant des dispositifs expérimentaux de nature diverse - eux-mêmes objets de remises en question et d‟ajustements constants -, ces études ouvrent des

perspectives multiples selon qu‟elles s‟attachent :

- (a) aux modalités de différenciation et d‟organisation des événements acoustiques, comme c‟est le cas, par exemple, de “l‟analyse des scènes auditives“ conduite par A.S. Bregman

(1990), qui questionne les processus de groupement auditif conférant leur pertinence aux situations sonores 231, ou des travaux sur les “unités sémiotiques temporelles“

(cf. supra), qui, mettant en évidence l‟articulation de l‟écoute musicale à un certain nombre

de figures sonométriques de base, interrogent les modalités de structuration processuelle

du perçu (Delalande, F, 1966, Delalande, F. et Gobin, P, 1998, Frey, A, 2009, Frey, A et al., 2009, 2010)

- (b) aux enjeux sémantiques et culturels des processus de catégorisation sonore, dont les situations d‟archivage et d‟indexation de données enregistrées font, par exemple, apparaître la richesse et la complexité (Chandès, G., 2010)

de l‟orage. Je comprends à l‟issue d‟un travail, d‟une activité consciente de l‟esprit qui ne se contente plus d‟accueillir une signification, mais abstrait, compare, déduit, met en rapport des informations de source et de

nature diverse ; il sagit de préciser la signification initiale ou de dégager une signification supplémentaire. » (op. cit. : 107-108 ; 110).

230 S‟attachant, à la différence de l‟acoustique qui s‟intéresse aux caractéristiques physiques des phénomènes, à la sensibilité des sujets aux événements sonores, la psycho-acoustique a pour objet “l‟étude expérimentale des relations qualitatives entre les stimulus mesurables physiquement et les réponses de l‟ensemble du système auditif : sensations et perceptions auditives.“ (Sorin, C. et Botte, M-C, Encyclopedia Universalis).

231 Dans le prolongement des travaux concernant la “scène visuelle“, lanalyse de la scène auditive sintéresse aux phénomènes d‟intégration et de discrimination inhérents à la saisie de l‟information sonore. S‟attachant tant au champ de l‟écoute quotidienne qu‟aux paradigmes de l‟activité musicale et de la parole, elle met en évidence le rôle majeur des processus d‟intégration séquentielle (sequential integration) - inhérents au phénomène de flux auditif (streaming phenomenon) - et de saisie simultanée (simultaneous integration) - qui contribuent à la distinction dunités sonores pertinentes au sein du perçu -. Interrogeant les modalités dexpression de lactivité auditive, elle pose, en même temps que la question de lancrage originaire des processus attentionnels, celle de la participation des phénomènes d‟organisation perceptive à la structuration de l‟activité musicale et aux usages signifiants du sonore en langue. (Bregman, A. S., 1990, Auditory Scene Analysis : The Perceptual Organization of sound, Cambridge, Massachusetts, The MIT Press).

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- (c) à la participation des phénomènes d‟analogie/catégorisation du sonore aux grands axes de structuration de la pensée humaine (Osgood et al., 1957, Solomon, L.N., 1957 : 421 - 425, cf. supra)

- (d) à l‟ancrage contextuel des processus catégoriels, mis par exemple en évidence par l‟expérience de Wedin et Goude sur les diverses modalités de groupement des instruments de musique (1972 : 228-240) 232

- (e) aux liens unissant le sonore au non -spécifiquement- sonore, question au cœur des recherches conduites sur les phénomènes de correspondances transmodales et le symbolisme phonétique (Ramachandran et Hubbard, 2001, Spence, 2015, Hinton, Nichols et Ohala, 1994)

- (f) aux relations entre processus d‟analogie/catégorisation perceptive et parole, que celles-ci renvoient aux corrélats verbaux des perceptions sonores ou à l‟ancrage

acoustique des descripteurs langagiers, comme c‟est le cas, par exemple dans “l‟Étude de la catégorisation d‟un corpus de bruits domestiques“ conduite par F. Guyot, M. Castellengo, et B. Fabre (Dubois, D., 1997 : 41-58)

232 Lexpérience fait ainsi apparaître la façon dont un classement dinstruments de musique savère prendre des formes différentes selon qu‟il se base sur des connaissances - auquel cas il est réalisé par

“familles d‟instruments“- ou s‟effectue par jugement de similarité, en situation d‟écoute, à partir d‟échantillons sonores - contexte dans lequel il se base sur des critères de nature spectrale -.

En situation de classification spontanée, les neuf sons - égalisés sur le plan de la fréquence et lintensité -proposés aux participants (soit, par ordre alphabétique, basson, clarinette, cor anglais, flûte, hautbois, trombone, trompette, violon, violoncelle) sont ainsi groupés par “familles d‟instruments“ : (i) bois → basson, hautbois, clarinette, flûte, (ii) cuivres → cor, trompette, trombone, (iii) cordes → violon, violoncelle.

En contexte de jugement de similarité, les instruments sont groupés par “liens acoustiques“, établis en fonction

de la présence et de l‟intensité des sons harmoniques partiels, soit : (i) violon, violoncelle, clarinette, (ii) trombone, cor, flûte, (iii) trompette, hautbois, basson :

« On peut voir clairement que ce qu‟on appelle “structure perceptive“ ne correspond à aucun classification commune des instruments. [...] la classification traditionnelle des instruments de musique, basée sur des critères de fonctionnement, de matière et autres choses semblables ne correspond pas nécessairement à la perception du timbre. [...] on peut voir qu‟il y a une relation claire entre la structure perceptive et les intensités relatives des

partiels harmoniques. [...] la similarité perceptive -pour quelques uns des instruments symphoniques les plus courants- peut sexpliquer en termes de modèle tridimensionnel. Le corrélat le plus important de ces facteurs perceptifs se trouve dans la force relative des sons harmoniques partiels.»

(Wedin and Goude, 1972 : 234- 235 ; 238-239).

Original : “It can be clearly seen […] that the so-called “perceptual structure“ does not correspond to any common classification of instruments. […] the traditional classification of musical instruments based on functioning, material and the like does not necessarily correspond to the perception of timbre. […] it may be seen […] that there is a clear relation between the perceptual structure and the relative intensities of the harmonic partials. […] the perceptual similarity -for some of the most common symphonic instruments- may be explained in terms of a three-dimensional model. The most important correlates to these perceptual factors may be found in the relative strength of the harmonic partial tones. “

184 - (g) à l‟actualisation du continuum perceptivo-langagier, question centrale par exemple dans les travaux d‟A. Faure, qui mettent en évidence, en même temps que la nature multidimensionnelle des relations nouées, dans et par le dire, avec les phénomènes acoustiques, le lien essentiel unissant, dans la description du perçu, la parole à l‟expérience sonore (Faure, A, 2000 : 354).

2. Analogie/catégorisation perceptive et inscription langagière du sonore 2.1 De la perception au discours

2.1.1 L’activité de catégorisation au cœur de la situation langagière

Qu‟ils soient envisagés dans une perspective perceptive ou langagière, les phénomènes d‟analogie-catégorisation prennent sens, comme l‟analyse M. Merleau-Ponty, de leur inscription dans l‟expérience :

L‟acte catégoriel n‟est pas un fait dernier, il se constitue dans une certaine “attitude“

(Einstellung). C‟est sur cette attitude que la parole elle-aussi est fondée, de sorte qu‟il ne saurait être question de faire reposer le langage sur la pensée pure. (Merleau-Ponty, M., op. cit. : 880).

Centrale dans l‟approche phénoménologique de l‟activité langagière, la conscience du lien

unissant la parole à la relation au monde est aujourd‟hui au cœur de la réflexion ouverte par la linguistique cognitive :

Le langage participe intégralement de la cognition humaine. Le langage est partie prenante de la matrice psychologique générale. (Langacker, R., 1987 : 13).233

Remettant en question les conceptions isolationnistes du langage, la mise en évidence de l‟ancrage expérientiel du dire va ainsi de pair avec l‟affirmation de l‟unité profonde de l‟expérience humaine 234. Amenant à dépasser le clivage - traditionnel dans l‟analyse

linguistique -, entre saisie sémantico-lexicale d‟une part et grammatico-syntaxique de l‟autre235, l‟analyse cognitive de la parole porte ainsi l‟accent sur la cohérence interne

233 Original: « Language is an integral part of human cognition. […] Language is embedded in the general psychological matrix.» (Langacker, 1987 : 13).

234 « Et si la perception du monde syntaxique (ou bien grammatical) était faite du même bois que la perception du monde naturel ? » (Hofstadter, D. et Sander, E., 2013 : 89).

235 Clivage qui renvoie lui-même plus généralement à la dichotomie traditionnelle contenu/forme (“que dire ?“

vs. “comment le dire ?“) (cf. Hofstadter et Sander, 2013 : 89).

185 de l‟activité langagière, que les processus d‟analogie/catégorisation soient envisagés dans leurs enjeux contextuels ou, ainsi que l‟analysent D. Hofstadter et E. Sander, dans la richesse

et la diversité des phénomènes de “sédimentation culturelle“ inhérents à l‟histoire de la langue :

Chaque langue comporte une quantité phénoménale d‟étiquettes lexicales de catégories, fruit de millénaires d‟accumulations, liées au fait que ses locuteurs, à des diverses époques, ont trouvé ces catégories utiles. Chacun d‟entre nous, d‟abord lorsqu‟il grandit, puis à l‟âge adulte, absorbe, essentiellement par osmose, une part non négligeable, mais certainement loin d‟être complète, de cet héritage. (Hofstadter, Sander, 2013 : 99).

Partie prenante de l‟expérience, les phénomènes d‟analogie/catégorisation verbale du sonore procèdent ainsi, en même temps que de la spécificité de la situation afférente, de l‟ancrage culturel du dire.

2.1.2 Enjeux lexicaux des processus de catégorisation discursive

Mettant en évidence l‟aspect essentiellement dynamique des phénomènes en jeu, l‟analyse cognitive inscrit aujourd‟hui les phénomènes catégoriels au cœur même du procès langagier :

Les catégories [...] sont non seulement observables discursivement, mais encore structurées par des processus linguistiques, qui en font des “objets de discours“ (et non pas des objets de référence), c‟est-à-dire des objets qui sont construits dans et par le discours et ne lui préexistent pas. [...] le discours se construit progressivement, non pas en posant des objets et des configurations pré-élaborés, mais en les constituant. Ceci entraîne la prise en compte des catégories comme étant travaillées linguistiquement de l‟intérieur, décomposées et recomposées, associées et contrastées, constamment ajustées au contexte et à la dynamique communicationnelle. (Mondada, L., in Dubois, D. (1997) : 301).

Longtemps associée à une conception “taxinomique“ du lexique et à l‟idée d‟une langue-nomenclature, “répertoire d‟étiquettes“, l‟activité de catégorisation verbale voit ainsi

son champ élargi à l‟ensemble du procès de parole, envisagé lui-même comme ancré de façon

essentielle dans l‟expérience. Centrée sur les phénomènes discursifs, elle renouvelle en retour l‟approche même du lexique, perçu non plus comme un ensemble de “tiroirs“

dans lesquels les locuteurs puiseraient les éléments nécessaires à la réalisation des énoncés,

mais comme “matériau“ en perpétuelle construction, participant à part entière du procès langagier :

186 La dimension dynamique des catégories s‟inscrit dans leur configuration linguistique et se manifeste dans la transformation incessante de leur forme discursive. Rapportés au lexique, ces aspects concernent [...] la façon dont il est possible de le concevoir moins comme un donné contraignant de la langue que comme un matériau constamment retravaillé dans et par le discours. (Mondada, L., op. cit. : 301).

2.2 Axes de catégorisation langagière

Ouverts aux phénomènes de catégorisation du sonore, les processus sémantico-lexicaux jouent un rôle majeur dans la saisie en langue des phénomènes acoustiques. Si les mots du son se caractérisent à cet égard par la place qu‟y tient un petit noyau de termes usuels - dont le

“lexique témoin“ constitué pour l‟analyse présente un aperçu -, ils s‟étendent en situation à des registres experts relevant de domaines de spécialités multiples (acoustique, musique,

linguistique, médecine, audiobiologie, field recording, techniques d‟enregistrement et de traitement du son, etc.). Les descripteurs acoustiques s‟ouvrent d‟autre part de façon

récurrente à la dimension du non -spécifiquement- sonore, que la saisie verbale du champ

s‟élargisse aux phénomènes de correspondances transmodales, passe par les processus de glissement sémantique contextuel, ou fasse appel, dans des formes plus ou moins figées

par l‟usage, aux ressources de l‟iconicité, nombre de catégories du sonore ne faisant par ailleurs pas l‟objet de lexicalisation spécifique236.

2.2.1 Inscription sur l’axe écoute → production 2.2.1.1 Distinguer l’“entendre“ du “faire“

Ancré dans les modalités originaires de l‟expérience, le lien tissé entre le faire et l‟entendre occupe une place essentielle dans la saisie discursive du sonore et constitue un axe de catégorisation majeur dans la description acoustique. Le contexte de la production représente

ce faisant le pôle marqué dans la langue, comme le mettent en évidence la richesse

et la diversité des verbes renvoyant à l‟activité sonore face à la seule trilogie ouïr, entendre, écouter - elle-même réduite au couple entendre/écouter par la tombée

236 Lusage de catégories non lexicalisées relève, de fait, dun phénomène beaucoup plus large, propre à lactivité de catégorisation même, ainsi que l‟analysent D. Hofstadter et E. Sander : « Créer un mot est coûteux, et nos catégories sont si nombreuses et si mouvantes qu‟un répertoire gigantesque serait nécessaire si, à chacune d‟entre elles, il fallait attacher un mot. Pour cette raison, les humains doivent s‟arranger avec moins de mots que de catégories. [...] Nous nous appuyons sans cesse sur des multitudes de catégories dépourvues de nom. […] La distinction entre étiquette lexicale et catégorie est donc assez flagrante. Sil est vrai que les catégories évoquées par des situations sont souvent estampillées en étant associées à des mots, il arrive aussi fréquemment quaucune étiquette lexicale ne soit au rendez-vous pour décrire la catégorie, ce qui ne l‟empêche pas de faire son travail de catégorie aussi bien que si un mot ou une expression existait pour la nommer. » (Hofstadter, D. et Sander, E.

2013 : 111; 172).

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en désuétude d‟ouïr (cf. supra). Passant de façon privilégiée par la mention de la situation-source, la saisie du faire se caractérise par la façon dont s‟y actualise le lien

processus/produit (tonner, miauler, parler, chanter, crier, taper, jouer d‟un instrument), la mise en scène discursive de l‟entendre s‟attachant plutôt à la différenciation des attitudes

perceptives237, que l‟écoute soit envisagée comme active ou passive, attentive ou distraite, globale ou analytique (Siron, J., 2002 : 156238), naturelle ou culturelle, banale ou praticienne, causale, réduite ou sémantique (Schaeffer, P., 2002 :112-129), ou encore comme réflexive ou projective, intuitive ou structurelle, esthétique ou esthésique, hédoniste ou artiste (Kaltenecker, M., 2010 : 218-224 ; 238 ; 377), tous contextes faisant apparaître la multiplicité des relations nouées, dans et par la parole, avec le phénomène acoustique.

2.2.1.2 “Sonner“, “résonner“, “porter“… : en deçà des frontières de l’agir et du sentir Généralement distinguées dans le discours, les polarités de l‟écoute et de la production sonore s‟expriment également, le cas échéant, sur un continuum. En gardant la trace du caractère

2.2.1.2 “Sonner“, “résonner“, “porter“… : en deçà des frontières de l’agir et du sentir Généralement distinguées dans le discours, les polarités de l‟écoute et de la production sonore s‟expriment également, le cas échéant, sur un continuum. En gardant la trace du caractère

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