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Revue de la littérature portant sur la mesure de la dépendance alimentaire

Revue de la littérature portant sur la mesure de la

dépendance alimentaire

Études de validation du YFAS

Les résultats de la validation préliminaire du YFAS, réalisée auprès d’un échantillon d’étudiants présentant un IMC moyen de 22,58 kg/m2, ont révélé une structure à un facteur et une bonne cohérence interne (α = 0,86) (Gearhardt et al., 2009b). Considérant cette structure factorielle, il a été observé que tous les items présentaient des coefficients de saturation plus grands que 0,50, excepté l’item 24. Cet item, qui évalue la présence de tentatives échouées pour diminuer la consommation d’aliments riches en gras et en sucre, ne contribuait pas adéquatement à distinguer les individus qui souffrent de dépendance alimentaire de ceux qui n’en souffrent pas. Les résultats de cette étude ont également révélé une bonne validité convergente, tel que supporté par des corrélations statistiquement significatives entre le YFAS et des mesures liées au construit (p.ex. comportements alimentaires problématiques), et une bonne validité divergente, tel que supporté par des corrélations nulles entre le YFAS et des mesures indépendantes au construit (p.ex. consommation d’alcool). Enfin, une prévalence de dépendance alimentaire de 11,4 % a été trouvée au sein de cet échantillon (Gearhardt et al., 2009b).

Suite à l’élaboration du YFAS, le domaine de la dépendance alimentaire a connu une croissance exponentielle. En effet, selon différents moteurs de recherche fréquemment utilisés dans le domaine des sciences sociales, le nombre de publications en lien avec la dépendance alimentaire aurait été multiplié par un facteur de presque dix depuis 2009 (Davis, 2017). Considérant l’émergence impressionnante de ce domaine et l’intérêt porté au construit de la dépendance alimentaire, le YFAS s’est avéré un instrument de choix. Ainsi, la version originale a été adaptée et traduite dans différentes langues, afin d’étendre la possibilité d’étude du phénomène de la DA à un maximum d’échantillons autour du monde. Plus spécifiquement, des versions du YFAS existent maintenant en allemand (Meule, Heckel, & Kübler, 2012a, 2012b), en espagnol (Granero et al., 2014), en italien (Innamorati et al., 2015), en chinois (Chen, Tang, Guo, Liu, & Xiao, 2015), en malaisien (Nantha,

Patha, & Pillai, 2016) et en portugais (Torres et al., 2017). Enfin, une version française a également été élaborée et validée au sein d’un échantillon de la population générale (Brunault, Ballon, Gaillard, Réveillère, & Courtois, 2014).

En support aux résultats obtenus par Gearhardt et collègues (2009b), les résultats des études de validation subséquentes ont suggéré une structure à un facteur, représentant la symptomatologie de la DA, aussi bien dans des échantillons de la population générale (Brunault et al., 2014; Chen et al., 2015; Meule et al., 2012b) que dans des échantillons cliniques, c’est-à-dire des individus présentant diverses problématiques alimentaires (Granero et al., 2014), des individus souffrant d’obésité (Davis et al., 2011; Innamorati et al., 2015; Nantha et al., 2016) et des candidats à la chirurgie bariatrique (Meule et al., 2012a; Clark & Saules, 2013; Torres et al., 2017). Toutefois, divers items problématiques ont été identifiés, en plus de l’item 24, lorsque des échantillons cliniques étaient recrutés. Ainsi, dans le but d’augmenter la précision avec laquelle la DA est mesurée, le besoin de modifier ou même d’éliminer certains items lorsque des individus souffrant de problématiques pondérales plus sévères étaient impliqués a été mis de l’avant.

Items et critères diagnostiques de la DA mesurés par le YFAS

Parmi les critères diagnostiques de la dépendance aux substances, trois semblent s’appliquer plus facilement à la DA, soit la consommation de quantités plus grandes que prévu, l’impossibilité de diminuer la consommation et la poursuite de la consommation malgré des conséquences négatives sur la santé physique et mentale (Ziauddeen, Farooqi, & Fletcher, 2012). Cependant, d’autres critères peuvent s’avérer plus difficiles à évaluer lorsque l’objet de dépendance est la nourriture. Selon Ziauddeen et collègues (2012), une des raisons pour laquelle ces critères sont plus difficiles à évaluer est que dans la plupart des sociétés actuelles, la nourriture est facilement accessible et donc, il est moins difficile de s’en procurer comparativement à des substances psychoactives. De plus, la nourriture n’est pas considérée comme illégale et des attitudes plus positives y sont rattachées en comparaison aux substances psychoactives. Même si ces critères peuvent s’avérer plus difficiles à mesurer, il n’est pas impossible de le faire lorsque les questions servant à les mesurer sont clairement définis. Par exemple, le critère concernant l’abandon d’activités

pourrait référer à un individu qui choisirait de manger alors que la faim ne se fait pas ressentir, plutôt que de se rendre à une activité entre amis ou au travail (Meule & Kübler, 2012).

En support à ces idées, les taux d’endossement des différents critères de la DA laissent entrevoir que certains critères seraient davantage endossés que d’autres, et ce, au sein de différents échantillons. En particulier, il a été rapporté que le critère « désir persistant pour la nourriture et tentatives infructueuses de restreindre la quantité de nourriture consommée » était le plus souvent endossé dans les études s’intéressant à la DA, atteignant un taux d’endossement aussi élevé que 95 % parmi des candidats à la chirurgie bariatrique (Meule et al., 2012a), 96 % parmi des individus en traitement pour de l’obésité (Eichen, Lent, Goldbacher, & Foster, 2013) et 100 % parmi des individus souffrant d’hyperphagie boulimique (Gearhardt, White, Masheb, & Grilo, 2013) (Meule & Gearhardt, 2014; Pursey, Stanwell, Gearhardt, Collins, & Burrows, 2014). L’endossement massif de ce critère pourrait laisser entrevoir que les items qui le définissent sont trop sensibles lorsqu’ils sont utilisés au sein d’échantillons cliniques. Les items qui sous-tendent ce critère ont d’ailleurs presque tous été identifiés comme problématiques dans les études citées précédemment qui se sont intéressées à la validation de l’outil chez des individus souffrant d’obésité et d’obésité sévère (Meule et al., 2012a; Innamorati et al., 2015; Nantha et al., 2016; Torres et al., 2017). Ce constat appuie la pertinence de procéder à la validation du YFAS, tant au sein d’échantillons non-cliniques que cliniques. Ainsi, considérant que la version française du YFAS a seulement été validée au sein d’un échantillon non-clinique, il importe de procéder à sa validation au sein d’échantillons cliniques afin de s’assurer du comportement des items.

De plus, un critère diagnostique évaluant la présence d’une souffrance cliniquement significative et/ou d’une altération du fonctionnement a été ajouté aux autres critères plus spécifiquement reliés à la dépendance aux substances, malgré qu’aucune recherche n’ait documenté empiriquement la détresse ou le dysfonctionnement qui pourrait être engendré par la symptomatologie propre à la DA. En effet, Gearhardt et collègues (2009a) ont proposé cet ajout en se basant sur les recherches qui démontrent que la difficulté qu’ont les

gens qui présentent de l’obésité à contrôler leur alimentation et leur poids constitue une grande source de souffrance en soi. Ces auteurs citent en exemple une étude de Schwartz, Vartanian, Nosek et Brownell (2006), qui a révélé que presque la moitié des participants souffrant d’obésité seraient prêts à sacrifier une année de leur vie, le tiers préférerait être divorcé et le quart préférerait ne pas pouvoir avoir d’enfant pour devenir minces.

Bien que l’endossement de ce critère soit obligatoire pour établir un diagnostic, il n’a jamais fait l’objet d’une exploration approfondie dans le domaine de la DA. Les connaissances actuelles permettent toutefois de remarquer que jusqu’à 41 % des individus qui endossent suffisamment de critères pour remplir un diagnostic de DA ne rapporteraient pas de détresse cliniquement significative ou d’altération de leur fonctionnement et donc ne seraient pas identifiés comme souffrant de DA (Eichen et al., 2013; Gearhardt et al., 2011). Les connaissances actuelles permettent également de remarquer que les taux de prévalence de la DA diffèrent grandement, et ce, au sein d’échantillons présentant des caractéristiques similaires. Par exemple, des prévalences allant de 14 % (Koball et al., 2016) à 54 % (Clark & Saules, 2013) ont été trouvées auprès de candidats à la chirurgie bariatrique. L’endossement ou le non-endossement du critère de détresse/dysfonctionnement pourrait-il jouer un rôle dans la variation de ces taux de prévalence? Cette hypothèse demeure inexplorée. De même, les différences (symptomatologie alimentaire, symptômes dépressifs, etc.) entre les individus qui endossent le critère de la détresse/dysfonctionnement et ceux qui ne l’endossent pas demeurent inconnues (Pursey et al., 2014). La seule étude dans le domaine alimentaire s’étant intéressée à l’endossement du critère de détresse/dysfonctionnement a révélé que les individus présentant des compulsions alimentaires et remplissant ce critère rapportaient plus de symptomatologie alimentaire et plus de symptômes dépressifs que les individus présentant des compulsions alimentaires sans remplir ce critère (Grilo & White, 2011), ce qui sert d’appui à la pertinence de s’attarder à l’endossement de ce critère.

En somme, le volet portant sur l’évaluation de la DA propose de procéder à un examen approfondi du seul outil mesurant la DA, le YFAS, afin de permettre d’ajouter aux études de validation précédentes, de s’assurer que l’outil correspond bien à la clientèle qu’il évalue

et d’investiguer plus en profondeur son rôle dans l’établissement d’un diagnostic et donc dans l’étude de la DA. En premier lieu, la validation de la version française du YFAS auprès d’un échantillon clinique permettra de solidifier la base sur laquelle reposeront les données issues de cette version française. En deuxième lieu, l’examen approfondi du critère évaluant la présence d’une détresse cliniquement significative et/ou d’une altération du fonctionnement lorsque le YFAS est utilisé auprès d’échantillons cliniques permettra de mieux documenter l’efficacité et la spécificité de ce critère.

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