Analyse biomécanique du mouvement de pédalage
III- 2.1 Revue de littérature
Comme cité au début de ce chapitre, la tâche du cycliste est de produire des forces sur les pédales pour créer un couple moteur au pédalier. Pour générer ces forces, les muscles des membres inférieurs sont principalement sollicités, créant ainsi aux articulations hanches, genoux et chevilles des efforts nets induits par le mouvement de pédalage.
Un des objectifs fixé et précisé au chapitre II, est d’analyser les paramètres articulaires qui
caractérisent cette dynamique interne. Ces derniers représentent les forces nettes, moments
nets et puissances aux articulations. Il s’agit de valeurs évaluées globalement donc résultantes
aux articulations. La procédure de calcul de ces paramètres, initiée par la mesure des efforts
de contact pieds/pédales, associée à l’acquisition cinématique du mouvement de pédalage est
expliquée au paragraphe suivant (Cf. Partie III-2.2).
Dans la littérature, quelques auteurs analysent ces paramètres articulaires. Majoritairement,
c’est la puissance articulaire qui est décrite et utilisée pour mettre en évidence des comportements spécifiques des cyclistes. Peu d’études rapportent les données sur les forces et
moments nets articulaires (Ruby [1993], Bini [2012], Bini [2012a]).
L’identification des puissances articulaires, nous permet d’estimer la contribution de chacune
des articulations dans le mouvement de pédalage. La contribution correspond à la puissance
générée à l’articulation par rapport à la somme algébrique des puissances générées aux
articulations. Ainsi, pour une jambe considérée, la somme des contributions est égale à 100%. Une grande partie des études formule les résultats en fonction de cet indice de contribution
(Hoshikawa [2007], Elmer [2011]). Pour d’autres études, l’analyse des efforts et des
puissances articulaires est faite en fonction de la cadence de pédalage (Hoshikawa [2007], Ettama [2009]), de la puissance mécanique externe totale (Elmer [2011]), de la fatigue (Martin [2099]), des degrés de liberté des cales automatiques (Ruby [1993]), ou de la posture (Bini [2012], Bini [2012a]).
Ainsi, Ruby (Ruby [1993]) met en relation l’effet des degrés de liberté entre la pédale et le
pied du cycliste suivant deux axes sur les efforts articulaires au niveau du genou. Le système de cale offre la possibilité de laisser un mouvement de pronation/supination autour de l’axe
antéro-postérieur de la pédale, un mouvement de rotation interne/externe autour de l’axe
vertical et un mouvement de translation médio-latérale suivant ce même axe. Ainsi, il choisit
mouvements libérés par rapport à un mouvement de pédalage sans liberté à ce niveau.
L’estimation des efforts articulaires au niveau du genou est réalisée en 3D. Ruby demande au
cycliste de pédaler à une cadence et puissance mécanique externe totale fixes égales
respectivement à 90 rpm et à 250 W. La liberté autour de l’axe antéro-postérieur limite les
forces antérieures et latérales et les moments de valgus et de rotation interne. D’un autre côté,
la liberté en rotation diminue les forces postérieures et latérales et les moments de valgus. La liberté en translation ne modifie pas les efforts articulaires. Il est donc possible de limiter les efforts articulaires au genou en modifiant la position et les degrés de liberté que proposent les cales automatiques. Lors de son étude, Ruby constate que durant les essais avec la possibilité de mouvement en translation médio-latéral, les résultats obtenus correspondaient aux limites des possibilités de réglages de la cale. La détermination du déplacement des segments pied, jambe, cuisse et des vitesses angulaires inter-segmentaires est réalisée uniquement pour une
seule jambe. Cette étude trouve un intérêt particulier puisqu’elle est l’une des seules à
proposer la lecture des efforts articulaires au travers des forces et des moments nets évalués au genou.
Hoshikawa (Hoshikawa [2007]) rapporte qu’en 1986, Ericson a identifié des contributions de
puissance articulaire de 17%, 53% et 30% pour les chevilles, les genoux et les hanches respectivement. Hoshikawa met aussi en avant les travaux de Broker (1994) qui constate que ce pourcentage de contribution des articulations évoluait en fonction de la puissance mécanique externe à fournir. Pour compléter ces résultats, Hoshikawa évalue les contributions articulaires de cyclistes et de non cyclistes en fonction de la cadence pour une même puissance mécanique externe de 200 W développée au pédalier. Il constate que la contribution
du genou diminue avec l’augmentation de la cadence de pédalage. A l’inverse, la contribution
de la hanche augmente. Il fait la distinction en fonction du niveau de pratique ; ainsi, la contribution des articulations cheville et hanche est plus importante pour les non-cyclistes. La cadence de pédalage et le niveau de compétence en cyclisme ont une influence sur la
contribution en puissance des articulations dans la génération d’une puissance globale au
pédalier. Cette étude est réalisée en 2D ce qui peut représenter son principal inconvénient.
En 2009, Ettama (Ettama [2009]) évalue l’effet de la cadence de pédalage sur les différentes
phases du couple au pédalier, de la force utile et des puissances articulaires. Lors de ce protocole, il conserve une contrainte de pédalage identique à 260 W quelle que soit la cadence
de pédalage. Il initie le calcul des puissances articulaires à l’aide de capteur aux pédales
mesurant la force normale et de cisaillement dans le repère du capteur (mesures réalisées en
puissance articulaire quelle que soit l’articulation. De plus, plus la cadence est élevée, plus le pic de puissance apparait tardivement dans le cycle. Selon l’auteur, ces décalages sont liés à
une modification de la technique de pédalage entre les différentes cadences imposées. Ettama
explique la modification de la technique de pédalage par le timing d’activation musculaire en
fonction de la cadence de pédalage. Il ouvre sa discussion sur le lien possible entre
l’évaluation de la technique de pédalage au travers des puissances articulaires et le choix d’une cadence préférentielle.
En 2009, Bini (Bini [2009]) relève que les puissances articulaires estimées par dynamique inverse sont les plus importantes dans la phase de descente de la manivelle (0° à 180°). Ces puissances sont générées principalement par les hanches et les genoux. Il cite une étude de
Sanderson (2008) traitant de la contribution des articulations en fonction de l’augmentation de
la puissance mécanique externe totale. Aussi la cheville conserve le même pourcentage, tandis que la hanche contribue de façon plus importante au détriment du genou.
L’effet de la fatigue sur les puissances articulaires est mis en évidence par Martin (Martin
[2009]). Son étude, réalisée en 2D, évalue la production de puissance aux articulations au
cours d’un test maximal de 30 secondes à 120 rpm. Les mesures sont réalisées durant 3
secondes au début, au milieu et à la fin de ce test. Les diminutions qu’il observe entre les
prises de mesures sont liées à une fatigue musculaire. Il évalue une diminution globale de production de puissances articulaires (somme algébrique des trois articulations) de 36% et
58% respectivement pour l’acquisition intermédiaire et finale par rapport à l’acquisition
initiale. Un constat similaire est réalisé pour chaque articulation aussi bien en phase
d’extension que de flexion. Au cours de la phase d’extension de la cheville, cette articulation
présente une diminution importante de 49% dès l’acquisition intermédiaire. Martin, en ciblant
sur les plus grands écarts constatés au niveau de la cheville, soulève la possibilité de limiter la mobilité de celle-ci et/ou de changer de stratégie (contrôle moteur), donc de modifier la technique de pédalage. Une des limites de cette étude est la détermination des angles au niveau du genou. En effet, il détermine indirectement cet angle en fonction de la position de la
hanche, de l’orientation de la manivelle et de la longueur des segments qui composent la
jambe.
Les répercussions de l’augmentation de la puissance mécanique externe totale sur la
production de puissances articulaires et leurs contributions sont étudiées par Elmer (Elmer [2011]). Son protocole de recherche inclut un maintien de la cadence de pédalage fixe à 90
rpm. A la différence de Broker (1994), Elmer évalue les contributions des articulations en
fonction de leur mouvement, soit en extension, soit en flexion. Aussi, il montre qu’avec l’augmentation de puissance mécanique externe, la contribution du genou dans sa phase d’extension diminue tandis que la contribution du genou en flexion, et de la hanche en extension augmente. A l’inverse, pour des paliers de faible intensité, la phase de flexion du
genou est relativement passive ; la puissance articulaire produite reste faible. Cette fois encore
l’analyse des puissances articulaires est réalisée en 2D, malgré l’utilisation d’un capteur de force 3D à la pédale droite, la contrainte provenant de l’emploi d’une seule caméra vidéo. L’effet de la modification du recul du bec de selle sur les efforts articulaires a été évalué par Bini (Bini [2012]). L’objectif est de mettre en lumière les forces de compression et de
cisaillement (antéro-postérieure) au niveau de l’articulation patello-fémorale et tibio-fémorale.
L’évaluation en 2D de ces forces internes est initiée par les forces mesurées par une pédale instrumentée et l’acquisition de la cinématique à l’aide d’une caméra vidéo. Trois conditions
de posture sont testées : préférentielle, avancée et reculée. Lors de cette expertise, il ne constate pas de différence significative pour les forces de compression. Seule la force de cisaillement augmente dans la posture dite reculée par rapport aux deux autres postures. Cette différence est principalement due un à angle formé au genou différent entre les conditions, puisque en avançant la selle cela revient à diminuer la longueur entre les hanches et le centre du pédalier. Cette même année, Bini (Bini [2012a]) utilise un protocole et une instrumentation
identique lors de l’étude modifiant la hauteur de la selle. Encore une fois, les forces de
compression et de cisaillement (antéro-postérieure) au niveau de l’articulation patello-
fémorale et tibio-fémorale sont comparées. Quatre hauteurs de selle sont testées : préférentielle, basse (angle de flexion du genou augmenté de 10°, manivelle en bas), haute (- 10°) et optimale (angle de flexion de 25°). Bini montre que la modification de la hauteur de la
selle n’a pas d’effet significatif sur les forces de compression patello-fémorale et tibio-
fémorale. En revanche, la force de cisaillement tibio-fémorale diminue lorsque la selle est baissée. Cette fois-ci, la distance entre les hanches et centre du pédalier est aussi affectée par la hauteur de la selle.
Les deux articles de Bini (Bini [2012], Bini [2012a]) mettent en évidence que la hauteur et le
recul du bec de selle sont des éléments qui, lorsqu’ils sont modifiés, influencent la répartition
des efforts articulaires. Dans le second article, il préconise ce type d’étude pour limiter la
L’évaluation de la dynamique interne présente deux intérêts majeurs. Le premier
intérêt réside dans la compréhension du mouvement de pédalage et dans l’organisation du
cycliste pour réaliser cette gestuelle. Il s’agit d’appréhender la technique de pédalage. La
connaissance des puissances articulaires contribue à définir des stratégies en termes de hiérarchisation des articulations sollicitées et à travers elles, les groupes musculaires spécifiquement activés. Le deuxième intérêt découle du premier point. En effet, la connaissance des forces de compression et de cisaillement aux niveaux des articulations
apporte des éléments de réponse dans l’optique d’augmenter la performance mais aussi de
prévenir les traumatismes éventuels (Neptune [2000], Bini [2014]). Ruby (Ruby [1993]) rapporte en 1993 que 25% des traumatismes liés au cyclisme sont localisés au niveau des genoux. Comme expliqué précédemment son étude tente de réduire les efforts aux genoux par la modification du matériel utilisé.
Au regard des travaux réalisés, et pour répondre à la question initiale posée par
l’AFLD (Cf. avant-propos), nous proposons d’étudier le profil énergétique de coureur cycliste par l’évaluation des puissances aux articulations chevilles, genoux et hanches. En cela, notre
analyse se rapproche des travaux proposés par Elmer (2011). Préalablement à la présentation de ces expérimentations et des résultats obtenus développés au chapitre IV, nous rappelons,
succinctement au paragraphe suivant, le cadre théorique permettant d’évaluer la dynamique interne générée au cours d’un mouvement de pédalage.