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L’assistant médical

4. Discussion 1 Validité

4.2. Quelles sont les évolutions envisageables ?

4.2.2. Revoir les priorités du changement

Les conditions d’acceptation de l’assistant médical au sein du cabinet médical sont relativement comparables dans les deux groupes de personnes interrogées.

D’une part, il semble peu cohérent d’espérer gagner du temps en réduisant la durée de consultation. On envisagerait plutôt de limiter des consultations itératives pour un même motif grâce à l’éducation thérapeutique et à l’information, ou encore de gagner du temps sur la charge administrative, qui empiète trop largement sur le temps médical.

D’autre part, il ne faudrait pas que la présence de l’assistant médical altère la relation médecin-patient, qui doit pouvoir s’enrichir grâce à des moments d’échange privilégiés, dans une consultation intimiste.

4.2.2.1. Libérer du temps médical, un objectif inaccessible ?

L’arrivée de l’assistant médical en France devrait permettre d’augmenter la patientèle de chaque médecin généraliste, selon des objectifs précis, détaillés dans l’annexe 2. Cependant, cet effet de la réforme est largement remis en question par les personnes interrogées. L’assistant médical n’aurait, selon eux, que peu d’impact sur la durée de consultation, jugée « incompressible ».

Cette notion n’est pas nouvelle. Si plusieurs études ont démontré que le travail d’équipe en médecine générale pouvait permettre de gagner du temps dans le soin,

83 cela n’est possible que sous certaines conditions, qui ne semblent pas être toutes remplies dans le cas de l’assistant médical.

En effet, les missions de l’assistant médical restant sous la responsabilité du médecin, sa présence pourrait engendrer un supplément de travail. Chaque tâche, une fois accomplie, devrait être vérifiée et validée par le médecin. Ce point a été souligné à de nombreuses reprises par les personnes interrogées dans notre étude. Déléguer n’est pas aisé, et ce, particulièrement quand il s’agit de transférer la responsabilité d’un acte médical à des acteurs peu formés (12). Pourtant, dans le travail d’équipe, le gain de temps ne peut être réel que si les responsabilités sont véritablement partagées, et si l’assistant médical acquière une forme d’autonomie (7), ce qui n’a pour l’instant pas été prévu par les textes officiels.

Par ailleurs, d’après les médecins interrogés, pour soigner, il faut prendre le temps. C’est ce que suggère également S. M. Campell, dans une étude démontrant que la gestion de pathologies chroniques telles que le diabète ou l’asthme, est de meilleure qualité dans les cabinets médicaux proposant un temps de consultation de dix minutes, par rapport à ceux dont le temps est réduit à cinq minutes (21). La durée de consultation moyenne française étant de seize minutes (22), il n’est pas impossible d'imaginer la réduire, mais de façon mesurée, afin de ne pas dégrader sa qualité en termes de prévention et de suivi de pathologies chroniques.

Le constat est identique concernant l’importance de la prise en charge centrée patient, qui requière un temps consacré (23). Patients comme médecins se montrent sceptiques quant à la possibilité de réaliser des consultations de qualité, propices à l’écoute et à la confidence, en peu de temps. L’empathie, la réassurance et le temps d’explication, seraient d’ailleurs autant de variables nécessaires à l’« effet-médecin » et son impact thérapeutique en soin primaires décrit par A. Moreau (24).

4.2.2.2. Quels impacts sur la relation médecin-patient ?

Les médecins et les patients interrogés redoutent tout particulièrement une « robotisation » du soin. Ce terme est revenu à plusieurs reprises dans nos entretiens. Selon eux, la présence de l’assistant médical aboutirait à une systématisation des actes de soin qui influerait négativement sur le lien qu’ils ont créé. Le soin en médecine générale tel qu’ils le connaissent serait mis en péril et

84 perdrait de son sens. De fait, en fragmentant et en réduisant la durée de la consultation, cette réforme pourrait appauvrir les liens humains.

Pourtant, ce n’est pas l’avis de tous. Une partie des patients interrogés imagine un assistant plus accessible à leurs questions et plus à l’écoute que leur médecin, qui pourrait constituer un lien avec ce dernier.

Entre perte et gain de lien, les avis divergent. La littérature s’intéressant à ce thème est relativement pauvre. On retrouve cependant une étude qualitative menée auprès d’assistants médicaux en Californie du Nord, par S. Taché et L. Hill-Sakurai (25).Les assistants interrogés considèrent être en mesure d’améliorer la relation entre le médecin et le patient. Par leur présence, ils permettraient de lisser la hiérarchie, facilitant ainsi la communication et les rapports humains. Ils estiment donc que leur rôle est essentiel, et va au-delà d’un simple travail protocolisé. En effet, ils expliquent pouvoir vulgariser les données médicales et rassurer des patients souvent inquiets au sujet de leur santé, et parfois perdus dans une administration complexe. Cet encadrement et cet accompagnement représenteraient une valeur ajoutée pour ceux qui ne se sentent pas suffisamment écoutés, ou confrontés à des médecins débordés. Par ailleurs, les assistants médicaux interrogés dans cette étude soulignent avoir développé eux-mêmes une relation riche avec les patients qu’ils connaissent parfois depuis des années, et rapportent s’en sentir valorisés.

Quoiqu’il en soit, beaucoup de personnes ont précisé qu’un moment en tête à tête avec le médecin devait absolument être conservé. Cet instant intime, propre à la consultation médicale est essentiel pour laisser la place nécessaire à la confidence, notamment pour prendre en charge certains motifs de consultation sensibles.

En effet, d’après l’article de P.-Y. Rodondi et ses collaborateurs, certains motifs d’apparence anodine masquent parfois des plaintes bien plus graves (26). La « recherche de l’agenda caché » des patients, comprenant leurs doléances implicites apparaît donc comme essentielle et pourrait être entravée par la présence de l’assistant médical.