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Chapitre 4 : Discussion générale

4.2 Retour sur les objectifs spécifiques

4.2.1 Objectif 1 : Vérification du rôle prépondérant de la mémoire. Selon le

modèle MfG, la présentation d’un avertissement pré-interruption ne devrait pas faciliter la reprise d’une tâche dynamique. En effet, en raison de l’évolution de la situation, l’action qui était prévue avant l’interruption n’est probablement pas l’action la plus appropriée dans la nouvelle situation, et les indices ayant été encodés dans l’environnement pré-interruption sont possiblement modifiés ou même absents de la scène post-interruption. Dans le Chapitre 1, l’observation d’une reprise facilitée en présence d’un avertissement en contexte dynamique suggère donc que cet avertissement puisse être bénéfique au processus de reconstruction du contexte s’opérant lorsque les situations pré- et post-interruption diffèrent. Le devis de l’expérience présentée dans le Chapitre 1 ne permet toutefois pas de départager l’implication de la mémoire et celle de la reconstruction dans la reprise. L’expérience suivante, soit celle du Chapitre 2, vient pallier cette lacune. Cette expérience montre, d’une part, que l’avertissement permet d’appuyer le processus de reconstruction de la tâche primaire en facilitant l’extraction de l’information pertinente au retour de l’interruption. Toutefois, le Chapitre 2 révèle également que la mémoire joue bel et bien un rôle prépondérant dans la reprise d’une tâche dynamique. Les bénéfices de l’avertissement en contexte dynamique ne sont pas seulement attribuables à une facilitation du processus de reconstruction, et sont sans doute aussi attribuables à une meilleure représentation mnésique de la scène pré-interruption, comme en contexte statique. En effet, lorsque l’interruption est anticipée, une plus grande concordance est observée entre les positions pré- et post- interruption du regard des participants (voir aussi Gartenberg et coll., 2013), ce qui semble faciliter le traitement subséquent de l’information visuelle dans l’environnement.

Le Chapitre 3 montre lui aussi que la mémoire apporte une contribution unique au processus de recouvrement, du moins dans le cas de courtes interruptions. Ainsi, sans être la seule responsable d’une reprise efficace, la mémoire peut malgré tout jouer un rôle majeur dans la reprise d’une tâche dynamique. Son implication semble surtout importante lorsque les situations pré- et post-interruption sont semblables. La mémoire semble également appuyer davantage la reprise lorsque le contexte de la tâche primaire est riche. En effet, dans les Chapitres 1 et 2, une bonne représentation mnésique de la scène pré-interruption s’avère

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utile pour la reprise d’une tâche simulant un véritable environnement de travail dynamique, même si les interruptions sont plutôt longues. Dans ces deux chapitres, l’implication marquée de la mémoire dans la récupération malgré la durée importante des interruptions s’explique probablement aussi par le fait que ces interruptions étaient parfois anticipées. Ainsi, contrairement au Chapitre 3, les participants pouvaient dans certains cas mobiliser leurs ressources pour encoder la scène, facilitant la réactivation des informations pertinentes pour l’exécution de leur tâche principale après sa suspension.

4.2.2 Objectif 2 : Précision de la nature du processus de reconstruction. Le

Chapitre 2 constitue un premier pas vers une meilleure compréhension du processus de reconstruction d’une tâche dynamique en soulignant d’abord que ce processus puisse être accéléré par la possibilité d’encoder la scène pré-interruption. Tel que mentionné précédemment, l’examen des données oculaires révèle que la mémoire joue un rôle important dans la reprise, même lorsque la situation surveillée change pendant l’interruption. Le patron de mouvements oculaires constitue également un indice de la reconstruction plus efficace s’étant produite en présence d’un avertissement. En effet, les fixations plus courtes observées après une interruption anticipée suggèrent que la connaissance préalable de l’arrivée de cette interruption a permis de faciliter le traitement de l’information se rapportant au nouvel état de la situation, accélérant ainsi la prise de décision. Puisqu’une récupération facilitée se traduit par des fixations plus courtes, il semble possible d’affirmer que le processus de reconstruction est exigeant sur le plan cognitif, ce qui le distingue de la réactivation mnésique automatique des informations pré-interruptions considérée par le modèle MfG comme étant le seul mécanisme de recouvrement (voir Hodgetts et coll., 2014; Salvucci, 2010). Cette affirmation est conforme aux résultats de l’étude de Hodgetts et ses collaborateurs (2014), qui révèlent que la division des ressources attentionnelles engendrée par la présence de sons distracteurs peut nuire à la reprise d’une tâche dynamique interrompue.

Ainsi, les résultats du Chapitre 2 montrent que la reprise efficace d’une tâche dynamique dépendrait d’une interaction entre les processus mnésiques et la reconstruction délibérée du contexte à partir des informations disponibles dans l’environnement. La meilleure mémorisation de la scène apportée par la connaissance préalable de l’occurrence d’une interruption servirait de base au processus de reconstruction, qui en serait ainsi facilité.

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Le fait qu’une reprise plus rapide ne se traduise pas par un nombre moindre de fixations peut paraître surprenant considérant l’accent mis par le modèle TC sur l’importance du balayage visuel dans le processus de reconstruction. Étant donné que la situation évolue dans la même mesure pendant une interruption anticipée ou inattendue, il apparaît toutefois logique que le nombre de fixations soit similaire dans les deux conditions en raison du besoin de prendre connaissance du nouvel état de la situation.

4.2.3 Objectif 3 : Implication de facteurs négligés par les modèles. Puisque les

modèles ont principalement été élaborés pour rendre compte des effets des interruptions en contexte statique, il n’est pas étonnant que la conscience temporelle n’y soit pas abordée. En effet, cette habileté réfère à la qualité de la représentation mentale de la situation surveillée, tant en ce qui a trait aux événements récents qu’en ce qui concerne les potentiels événements futurs (Grosjean & Terrier, 1999). Ainsi, la capacité à prédire les prochains événements n’apparaît pas primordiale dans une situation qui n’évolue qu’en fonction des actions de l’individu qui la gère. En revanche, considérant que la conscience temporelle favorise la performance en contexte dynamique (p. ex., Tremblay, Vachon, Rousseau & Breton, 2012), il est possible de supposer qu’elle puisse contribuer à la reprise efficace d’une tâche évolutive. Les résultats du Chapitre 3 appuient cette hypothèse en montrant que la conscience temporelle est impliquée dans la récupération post-interruption. C’est toutefois l’habileté dont la contribution semble être la moins importante parmi celles ayant été ciblées dans la thèse. Malgré tout, le fait que la conscience temporelle soit reliée à la qualité et à la rapidité du recouvrement d’une tâche dynamique après une brève interruption suggère que les modèles théoriques actuels ne considèrent pas l’ensemble des facteurs pouvant contribuer à la reprise.

Dans le même ordre d’idées, il apparaît surprenant que la reconfiguration du schéma d’action n’ait pas été prise en compte par les modèles théoriques afin d’expliquer la reprise, tant en situation statique que dynamique. En effet, la reconfiguration du schéma d’action, qui est un concept clé dans les écrits sur l’alternance de tâches, constitue le processus par lequel un individu peut activer les éléments pertinents pour sa tâche en cours et inhiber les éléments relatifs à la tâche précédente, devenus non pertinents (Monsell, 2003). Le paradigme d’interruption requérant d’alterner rapidement de la tâche primaire à la tâche interruptive (et

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vice versa), il est possible de croire que l’efficacité avec laquelle un individu peut adopter la configuration mentale appropriée lors de la transition entre deux tâches puisse soutenir la récupération post-interruption. Les résultats du Chapitre 3 confirment cette hypothèse en montrant que la reconfiguration du schéma d’action contribue au processus de reprise d’une tâche dynamique interrompue, sans égard à la durée de l’interruption. Tel que montré par les analyses corrélationnelles, cette fonction cognitive représente même le facteur le plus fortement relié à la précision et au temps de réponse post-interruptions dans le cas des interruptions de 5 et de 15 s.

4.2.4 Objectif 4 : Évolution du rôle des différents mécanismes. En présence d’une

situation statique, la mémoire semble être le principal processus responsable d’une reprise efficace, peu importe la durée de l’interruption (p. ex., Foroughi, Werner et coll., 2016). En revanche, l’explication du recouvrement post-interruption n’apparaît pas aussi simple lorsque la tâche primaire est évolutive. En effet, les processus impliqués dans la reprise semblent plus nombreux, et leur importance relative semble dépendre du délai pendant lequel la tâche principale est suspendue. Plus précisément, il semble que la mémoire soit principalement utile pour la récupération lorsque les situations pré- et post-interruption sont encore hautement similaires. Cette observation s’explique probablement par le fait qu’en présence d’une interruption brève, la position post-interruption des stimuli est presque identique à leur position pré-interruption. La conscience temporelle semble également utile après de courtes interruptions seulement, possiblement parce que l’évolution de la situation devient trop difficile à prévoir dans le cas d’interruptions plus longues. La reconfiguration du schéma d’action contribue quant à elle à la reprise pour chacune des durées d’interruption. Le fait que le paradigme d’interruption implique des transitions entre les tâches primaire et interruptive indépendamment de la durée de l’interruption explique possiblement l’importance similaire de cette fonction dans chaque condition. Enfin, le balayage visuel contribue aussi à la reprise à chaque durée d’interruption, mais sa contribution semble augmenter pour les interruptions plus longues. Ce résultat s’explique possiblement par un besoin accru de reconstruire le contexte de la tâche primaire à partir de l’environnement à mesure que l’interruption s’allonge, et donc que la capacité de la mémoire et de la conscience temporelle à soutenir la récupération post-interruption diminue.

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