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Chapitre 4 : Discussion générale

4.3 Contributions théoriques de la thèse

4.3.3 Autres approches théoriques

mentionnés précédemment, d’autres approches théoriques ont été proposées par les chercheurs s’intéressant aux interruptions. Bien qu’elles n’aient pas nécessairement été développées dans l’optique d’expliquer les effets des interruptions, ces théories ont déjà

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permis d’expliquer comment différents facteurs pouvaient modérer leurs impacts. Par exemple, la théorie soft constraints hypothesis (SCH; Gray & Fu, 2004; Gray, Sims, Fu & Schoelles, 2006) a été utilisée pour rendre compte des bénéfices d’un avertissement pré- interruption en contexte statique (voir Morgan et coll., 2013). Cette théorie s’apparente au modèle TC en ce qu’elle affirme que la mémoire et les éléments de l’environnement puissent tous deux être impliqués dans la reprise d’une tâche. La SCH suggère que le choix d’effectuer des opérations cognitives (p. ex., mémoriser la scène) en comparaison à des opérations perceptivo-motrices (p. ex., faire un balayage visuel de la scène) pendant l’exécution d’une tâche soit basé sur une évaluation du temps requis par l’utilisation de chaque stratégie. La stratégie privilégiée par un individu serait celle qui entraîne le moins de coûts temporels (Gray et coll., 2006; voir aussi Borst, Buwalda, van Rijn & Taatgen, 2013). Il est possible d’inciter un individu à mémoriser davantage l’environnement de la tâche en augmentant le temps nécessaire pour accéder à l’information qui s’y trouve (p. ex., via l’augmentation du nombre d’opérations motrices nécessaires pour accéder à l’information convoitée ou l’ajout de délais dans l’apparition de cette information; voir Morgan & Patrick, 2013). En permettant une meilleure mémorisation de l’information pertinente pour l’exécution d’une tâche, cette technique faciliterait la reprise en cas d’interruption, surtout si elle est couplée avec un avertissement pré-interruption permettant de mieux encoder la scène (Morgan & Patrick, 2013; Morgan et coll., 2013).

En contexte dynamique, mémoriser l’information pré-interruption n’est sans doute pas la stratégie la plus efficace en termes de temps. En effet, la nature évolutive de la tâche rend le balayage visuel de l’environnement post-interruption inévitable afin de pouvoir prendre connaissance des changements qui se sont produits pendant l’interruption. Malgré tout, le Chapitre 2 montre que les participants tentaient d’encoder les éléments de la scène pré-interruption, et ce, même s’ils étaient conscients que la situation pouvait changer grandement pendant l’interruption. Ainsi, contrairement à ce que suggère la théorie SCH, le choix de s’appuyer sur la mémoire ou sur les éléments de l’environnement lors de l’exécution d’une tâche ne dépend probablement pas seulement d’une évaluation des coûts temporels associés à chaque stratégie, du moins pas en contexte dynamique. À cet égard, la tâche du micromonde S-CCS utilisée dans la présente thèse diffère des tâches utilisées pour le développement et la vérification des postulats de la théorie SCH (p. ex., Gray & Fu, 2004;

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Gray et coll., 2006, Morgan et coll., 2013). En effet, dans les études visant à tester cette théorie, l’évolution de la situation dépend strictement des actions des participants. Ainsi, alors que la théorie SCH a précédemment été utilisée pour rendre compte de l’efficacité d’un avertissement pré-interruption en contexte statique, ses prédictions ne semblent pas pouvoir être vérifiées clairement dans une situation où les participants n’ont pas le contrôle complet sur le fil des événements. Cette théorie ne semble donc pas pouvoir s’appliquer à la reprise d’une tâche en contexte dynamique.

L’arrivée d’un événement interruptif peut mener un individu à oublier d’exécuter une action nécessaire pour la réalisation de sa tâche principale (p. ex., National Transportation Safety Board, 1988; Wilson et coll., 2018). La survenue d’une interruption peut même carrément mener un individu à oublier de reprendre la tâche interrompue (p. ex., O’Conaill & Frohlich, 1995). Le concept de mémoire prospective, qui se rapporte à la formulation de l’intention d’effectuer une action ainsi qu’au fait de se rappeler d’exécuter cette action ultérieurement (voir Brandimonte, Einstein & McDaniel, 1996), a donc été utilisé dans certaines études se rapportant aux conséquences des interruptions (p. ex., Dodhia & Dismukes, 2009; McDaniel, Einstein, Graham & Rall, 2004; Wilson et coll., 2018). Bien qu’elle permette d’expliquer les facteurs influençant la probabilité qu’une tâche—ou une action s’y rapportant—soit reprise, une approche basée sur la mémoire prospective ne permet toutefois pas d’expliquer précisément comment se produit la récupération post-interruption. De plus, étant uniquement basée sur la mémoire, cette approche rencontre les mêmes problèmes que le modèle MfG, soit qu’elle est difficilement applicable dans une situation qui évolue constamment. Ainsi, elle ne permet pas de répondre aux objectifs de la présente thèse visant à documenter les mécanismes impliqués dans la reprise d’une tâche dynamique.

La théorie Long-term working memory (LTWM; Ericsson & Kintsch, 1995), qu’on retrouve également dans les écrits sur les interruptions, présente des difficultés similaires pour expliquer la reprise d’une tâche évolutive. Selon cette théorie, si un individu dispose de suffisamment de temps pour encoder l’information nécessaire pour l’exécution de sa tâche en cours, cette information sera emmagasinée en mémoire de travail à long terme. Ce type de mémoire permet de maintenir efficacement l’information pendant de longues périodes de temps, et même pendant l’exécution d’une tâche interruptive. La capacité d’une personne à

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encoder l’information en mémoire de travail à long terme variant en fonction de son degré d’expertise dans la tâche primaire, cette théorie a été utilisée pour expliquer pourquoi l’expertise permet de réduire et parfois même d’éliminer l’impact des interruptions. À cet égard, Oulasvirta et Saariluoma (2006) montrent que la performance à un test de reconnaissance de phrases présentées visuellement n’est pas affectée si les participants effectuent des vérifications mathématiques pendant 30 s entre la présentation des phrases et le test. Les auteurs attribuent ce résultat au fait que les participants adultes sont des experts en ce qui a trait à la lecture et la compréhension d’un texte (voir Ericsson & Kintsch, 1995). Ils sont donc en mesure d’encoder efficacement l’information lue en mémoire de travail à long terme, ce qui la protège contre l’effet des interruptions. Il serait toutefois surprenant que l’expertise mène à une abolition des conséquences des interruptions dans un contexte dynamique, à moins que l’interruption soit très brève ou que la situation évolue très lentement. En effet, contrairement à la reprise d’une tâche statique comme la lecture, le rappel des informations pré-interruptions n’est pas nécessairement le principal processus impliqué dans la reprise efficace d’une tâche évolutive, ce qui limite sans doute l’effet bénéfique de l’expertise sur l’encodage de ces informations.

À la lumière de la théorie LTWM, il est possible de croire que les bénéfices d’un avertissement pré-interruption observés dans les Chapitres 1 et 2 auraient pu être moindres si les participants avaient eu un plus grand niveau d’expertise avec le micromonde S-CCS (voir aussi Trafton et coll., 2003). En effet, les bénéfices de l’avertissement semblent attribuables au fait que la connaissance préalable de l’interruption favorise le rappel des informations pré-interruptions, ce qui diminue la charge cognitive et accélère le traitement de l’information au retour de l’interruption. Ainsi, si les experts sont en mesure d’encoder l’information pertinente pour l’exécution d’une tâche en mémoire de travail à long terme plus efficacement que les novices, il peut être supposé que la présence d’un intervalle temporel destiné à un tel encodage ne leur serait pas aussi utile. Malgré tout, comme la théorie SCH et l’approche basée sur la mémoire prospective, la théorie LTWM semble en mesure d’expliquer uniquement certains aspects spécifiques de la reprise d’une tâche interrompue à l’aide de concepts propres à la mémoire. Elle ne permet donc pas de rendre compte du processus de récupération post-interruption dans le cas particulier d’une tâche dynamique.

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