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Dire que l’impressionnisme littéraire possède une fonction médiatrice dans la littérature du XIXe siècle, englobant romantisme et modernisme, présente le risque de suggérer une présence vague et fantomatique, sans début ni fin. Au contraire, selon Michael Fried, la période impressionniste peut bien être délimitée, et il consacre un chapitre de son ouvrage « What Was Literary Impressionism ? » (2018), comme son utilisation du passé le suggère, à la fin du courant de l’impressionnisme littéraire. Pour mieux cerner les origines de l’impressionnisme littéraire en Europe du Nord, il faut replacer les auteurs de notre corpus dans leur contexte esthétique et philosophique : quelles sont les racines historiques de ce mouvement ?

Avant même d’être stylistique ou théorique, le lien entre les écrivains et la peinture relève de l’appartenance à un milieu social. Nombre d’écrivains des années 1890 entretenaient des relations, personnelles et professionnelles, dans le monde de l’art pictural. La prudence est certes de mise : Liliane Louvel met ainsi en garde contre l’assimilation trop facile d’un auteur à son milieu artistique, et cite en particulier la tentative, maladroite selon elle, de justifier une comparaison au seul motif que l’auteur serait « de son temps ».40 Cependant, si la contemporanéité en elle-même n’est pas un critère suffisant, on ne peut ignorer les très fortes interactions d’auteurs avec la communauté artistique, en particulier le mouvement impressionniste, et les nombreux échanges qui, pour difficilement quantifiables qu’ils soient, doivent être pris en compte pour comprendre le contexte du développement des esthétiques littéraires. En plus de sa rencontre si marquante avec Monet, Herman Bang a noué de multiples liens avec les cercles artistiques français pendant les années où il vécut à Paris. Sa collaboration avec des artistes fut au cœur de ses mises en scène de plusieurs pièces au Théâtre de l’œuvre, comme pour les décorations réalisées par Edouard Vuillard et les Nabis, groupe d’artistes qui, comme Cézanne, fut rattaché aux mouvements postimpressionnistes.41

Herman Bang n’était d’ailleurs pas le seul auteur scandinave à chercher l’inspiration à Paris. Il y rencontra Jonas Lie, Bjørnstjerne Bjørnson, Sophus Claussen, August Strindberg, Georg Brandes, Christian et Oda Krohg, Edvard Munch et Edvard Grieg.42 Claussen et Georg Brandes sont des figures clé de ce qui fut convenu d’appeler la « percée moderne », à laquelle Herman

40 Liliane Louvel, Karen Jacobs (ed.) & Laurence Petit (trad), Poetics of the Iconotext, Farnham, Ashgate, 2011, p. 17. Elle cite Viola Hopkins Winner, Henry James and the Visual Arts, University Press of Virginia, 1970.

41 Sylvain Briens, op. cit., p. 94.

Bang a également contribué, et qui était caractérisée par un désir de révolutionner les arts en les orientant dans le sens d’un plus grand engagement social et politique. Certains des peintres de Skagen faisaient également partie de ce mouvement, comme Anna et Michael Ancher et P.S. Krøyer (qui dessina un portrait de Herman Bang), et partageaient cette attirance pour la France. Comme Sylvain Briens l’a montré, Paris a été un lieu clef décisif dans le développement des modernités scandinaves, et ceci est également vrai en ce qui concerne le développement de l’impressionnisme littéraire, tant d’auteurs s’étant rendus à Paris pour y découvrir l’art impressionniste.

Si la notion d’impressionnisme littéraire a pu susciter quelques débats sur les plans historique et esthétique, ses origines géographiques en revanche semblent faire consensus, le terme étant fortement ancré dans l’art et la critique littéraire français. La plupart des auteurs scandinaves concernés ont vécu à Paris à un moment de leur vie, et pour les auteurs anglais le mouvement était clairement associé à un style dit « continental »43. Cependant, la notion d’impression, non seulement en art et en littérature, mais aussi en philosophie, précède largement l’utilisation courante du terme critique et n’est nullement spécifique à la culture française. Il semble essentiel de revenir sur le développement étymologique et analytique de l’impressionnisme littéraire afin d’en établir une cartographie plus générale. Y a-t-il une esthétique impressionniste en Europe du nord qui précède l’utilisation du terme dans les arts de la fin du XIXe siècle ?

Premièrement, il est nécessaire, pour comprendre ce que fut l’impressionnisme littéraire, de rappeler les racines picturales de ce mouvement, ou de son nom du moins, en commençant notamment par la peinture de Claude Monet. A travers le titre de son tableau « Impression, soleil levant » (1872), Monet baptisa involontairement un mouvement artistique, et lui-même appellera plus tard Herman Bang « le premier impressionniste littéraire », établissant ainsi une correspondance explicite entre sa propre démarche, visuelle, et celle de Herman Bang, langagière.

Les réalistes et l’école de Barbizon furent les prédécesseurs les plus directs de la peinture impressionniste, si l’on considère en particulier leur intérêt pour les scènes de la vie quotidienne et ordinaire et leur utilisation des effets de lumière. C’est Eugène Boudin qui initia Monet à la technique de la peinture en plein air, au point que Monet le considérait comme son maître. Son traitement de la lumière, notamment dans des marines représentant l’effet de

différents phénomènes météorologiques sur le ciel et la mer, permet de voir en lui un peintre « pré-impressionniste », ayant développé une conscience aiguë de la mutabilité des milieux naturels. Mais si la prédominance française dans l’impressionnisme pictural n’est guère contestable, au vu de l’importance non seulement des artistes mais aussi des marchands d’art français de l’époque, ses racines esthétiques dépassent les limites d’un seul pays. Ainsi, Monet puise aux sources de plusieurs influences, dont par exemple celle du Hollandais Jongkind. Celui-ci faisait partie de l’école de Barbizon, mais a aussi abondamment peint les moulins de son pays natal. Pour Monet, ses représentations de l’urbanisation et l’industrie, ainsi que ses marines et ses paysages en plein air, ont fait de Jongkind rien de moins que le responsable de « l’éducation définitive de (son) œil »44. Le voyage en Angleterre de Monet lui a également permis de s’intéresser à divers aspects de la modernité londonienne, en particulier à travers le travail de J.M.W. Turner. C’est à Londres que Monet rencontra le marchand d’art Paul Durand-Ruel, dont le rôle dans la carrière de nombre d’artistes impressionnistes allait être décisif. Bien involontairement, le journaliste Louis Leroy allait contribuer à la fortune critique du mot tiré du titre de Monet. En 1874, la première exposition de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs présentait des tableaux d’Auguste Renoir, Edgar Degas, Berthe Morisot et Alfred Sisley entre autres, et l’article de Leroy, au ton moqueur, rend compte de l’échec de ce groupe d’artistes rejetés par les salons officiels. Sous le titre « L’Ecole des impressionnistes », Leroy joue de manière sarcastique avec le caractère vague de l’impression : « puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans »45. Par réaction, les artistes reprirent le terme à leur compte, et en 1877 Zola notait dans un article du Sémaphore de Marseille : « ils ont alors ramassé comme un drapeau la qualification d'impressionnistes qu'on leur avait donnée »46. Le premier usage du terme dans la critique littéraire se trouve dans le travail de Ferdinand Brunetière sur Alphonse Daudet en 1879, « L’impressionnisme dans le roman », et est tout aussi négatif que chez Leroy. La technique est définie comme une « transposition systématique » des « moyens d’expression » impressionnistes en littérature. Ces moyens d’expression comptent sur le rejet de l’ordre logique au niveau syntactique, et Brunetière note la présence de phrases sans verbes ou conjunctions, l’utilisation de démonstratifs, et l’évocation forte de sensations.47 Bien qu’il place Daudet « parmi les jeunes

44 Cité dans Jacques-Sylvain Klein, La Normandie, berceau de l'impressionnisme : 1820-1900, Rennes, Editions Ouest-France, 1996, p. 73.

45 Cité dans Pascal Bonafoux, Monet, Paris, Perrin, 2007, p. 137.

46 Emile Zola, « Une exposition : les peintres impressionnistes », « Notes parisiennes », Sémaphore de Marseille, 19 avril 1877, p. 166.

romanciers contemporains…du très petit nombre de ceux qui seraient dignes de vouloir vivre, survivre, et durer », Brunetière trouve l’effet inconvenant (il « choque toutes nos habitudes ») et caractérisé par « l’incertitude et le tâtonnement » et un style « tourmenté ». Il suggère que ce n’est qu’une mode qui passera (nous reviendrons sur l’usage historiquement très marqué de ce mot dans les arts de la période).

L’anecdote du titre du tableau de Monet, repris par dérision dans l’article du critique Leroy, et qui allait donner son nom au mouvement, a parfois effacé le fait que le mot « impression » fut donné presque par hasard par le peintre, qui le choisit sans beaucoup de réflexion, répondant « mettez impression » à la demande d’un titre pour un catalogue48. En revanche, le mot « effet » (le même que Ford emploie au début de « On Impressionism ») est celui que l’on retrouve le plus souvent dans ses titres. Il apparaît notamment dans le titre d’un autre tableau du Havre, Port du Havre, effet de nuit. Cette œuvre pourrait sembler encore plus moderne, au moins dans sa thématique, qu’Impression, soleil levant en ce qu’elle représente les lumières du port dans le noir, mettant ainsi l’accent non seulement sur le paysage industriel mais aussi sur l’illumination artificielle, et donc sur des impressions visuelles précisément associées à une forme de modernité contemporaine. Ce tableau anticipe un style de représentation des villes largement diffusé depuis par la photographie, à travers notamment les feux des voitures en mouvement. Mais le mot « effet », tout aussi essentiel aux principes esthétiques du mouvement, en ce qu’il convoque les notions d’immédiateté, de spontanéité, de changement, ou encore de perspectives, connut pourtant une fortune bien plus limitée dans l’histoire de l’art et de la réflexion philosophique ayant concouru à l’émergence d’un impressionnisme littéraire. Une explication possible est qu’il ne porte pas toutes les connotations du mot « impression », mais la part de contingence historique reste toutefois importante. Quant à l’impression elle-même, en tant qu’approche dans l’art visuel, elle n’est pas propre au tableau de Monet ; avant le début des expositions impressionnistes, Daubigny, autant associé à l’Ecole de Barbizon qu’aux artistes impressionnistes, avait déjà été désigné « chef de file de l’école de l’impression »49.

Ferdinand Brunetière favorisa malgré lui le passage de la notion d’impressionnisme pictural à celle d’impressionnisme littéraire. Il posa qu’il n’y aurait pas eu d’impressionnisme en littérature sans l’art pictural. Dans leurs écrits théoriques, plusieurs auteurs que d’autres

48 Cité dans Bernard Bosredon, Les Titres de Tableaux : Une Pragmatique de L'Identification, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 220.

critiques qualifieront d’impressionnistes creusent également ce sillon du rapprochement avec la peinture. Ainsi Joseph Conrad met-il l’accent sur la représentation du visuel. Il manifeste le souhait de capturer des éléments qui pourraient aussi bien figurer dans un tableau, « sa vibration, sa couleur, sa forme » (« its vibration, its colour, its form »)50, et voit l’objectif artistique, littéraire ou pictural, comme une même recherche car « l’art dans son ensemble en appelle avant tout aux sens, et l’objectif d’un art qui s’exprime par les mots écrits doit également être d’en passer par les sens » (« all art, therefore, appeals primarily to the senses, and the artistic aim when expressing itself in written words must also make its appeal through the senses »51). Les écrits de Henry James et de Ford Madox Ford font également une large place à des termes empruntés à la peinture, ou à des notions visuelles plus générales. Herman Bang fait aussi référence à l’art pictural pour décrire le processus d’écriture : « maler », « billeder »52. Cependant, reprenant dans ce qui a été considéré comme le manifeste de l’impressionnisme littéraire, sa préface au Nègre du Narcisse, le mot tiré du célèbre titre de Claude Monet, Joseph Conrad insiste sur l’importance de l’impression comme facteur de la création littéraire, et moins sur la conscience d’un mouvement collectif qui s’ensuivrait. La notion, dans ses deux formes « impression » et « impressionnisme » revient souvent dans les écrits des auteurs du corpus. Il convient d’en établir les différents usages, pour ensuite rendre compte de leur fonction dans la théorisation et la métaréflexion des auteurs actifs au moment protomoderniste.

50 Joseph Conrad, The Nigger of the Narcissus, New York, Doubleday, 1914, p. 13.

51 Idem.

52 Herman Bang, « Impressionnisme. En Lille Replik » in Tilskueren, 1890, en ligne : http://runeberg.org/tilskueren/1890/

Des auteurs face aux tableaux : premières impressions

Un autre type de rapprochement sémantique s’est développé parallèlement, de manière moins directe que celui établi par Ferdinand Brunetière ou Herman Bang. A l’instar de Joseph Conrad, certains des auteurs de notre corpus ont en effet réagi à l’impressionnisme pictural dans leurs écrits théoriques, ou dans des critiques d’exposition, moins pour rapprocher directement les œuvres picturales de la production littéraire que pour développer une vision plus générale du rôle de l’impressionnisme dans la construction des esthétiques de la fin du siècle. Leur approche permet d’envisager le rapport complexe entre ce mouvement artistique et la littérature, en rappelant l’importance culturelle de l’impressionnisme pendant la période, ainsi que les échanges et débats qu’il suscitait sur des problématiques communes aux peintre et aux écrivains, comme les limites de la représentation.

La réaction d’August Strindberg montre comment le rejet de l’impressionnisme pictural, partagé par nombre de ses contemporains, a pu paradoxalement porter le germe d’un rapprochement fécond avec d’autres arts et avec la littérature. Dès 1876, Strindberg commentait l’impressionnisme pictural, le trouvant peu réussi. Dans une scène comique, il décrit son arrivée dans une petite pièce « secrète » à côté de la salle d’exposition qu’il visite, ne se rendant pas compte immédiatement que la pièce contient des tableaux. Quand il les remarque enfin, il n’est pas impressionné le moins du monde, décrivant les œuvres comme « six paysages maigres, rouge-bleus, misérables, tous pareils » (« sex landskap, tunna, rödblaa, eländiga, alla lika. »)53. Les reproches s’accumulent, non sans ironie féroce. Un tableau de Sisley, censé représenter l’été, lui évoque plutôt l’hiver. L’heure et les événements représentés sont incertains et confus ; il se dégage surtout une impression de froid. Strindberg trouve que les couleurs manquent de vigueur : elles sont « albinos », « anémique(s) » (« blodlös[a] »), et « faibles » (« matt ») 54.

Le compagnon de Strindberg, un jeune artiste, lui explique qu’il s’agit du travail des artistes rejetés par le Salon, mais que néanmoins certains peintres reconnus se trouvent parmi eux. Pour sa part, Strindberg trouve ces peintres « fous », et, tout en rejetant la notion d’ut pictura poesis, voire d’ekphrasis, qu’il déclare être une tâche « impossible », il tente de décrire le contenu du

53 August Strindberg, «« Från café de l’Ermitage till Marly le Roi och så vidare (1876) » in Samlade Skrifter :

Kulturhistoriska Studier (Vol IV), Stockholm, Albert Bonniers Förlag, 1919, p. 148. 54 Ibid. p. 149.

tableau de Sisley. Vreni Hockenjos rappelle qu’à la date de publication des réflexions de Strindberg, l’inclusion d’une illustration n’aurait pas été possible, car la similigravure et le halftoning, les techniques de reproduction d’image nécessaires au rendu impressionniste, n’ont été établis que dans les années 189055. Cette ekphrasis a une fonction pratique, de faire découvrir le nouvel impressionnisme si choquant au lecteur de Dagens Nyheter, qui ne l’aurait jamais vu lui-même. Il ne s’agit pourtant pas d’une simple énumération des éléments du tableau, mais plutôt une étude de l’effet qu’il produit sur le spectateur, et qui indique un potentiel narratif. Sa description, pour assassine qu’elle soit, porte en elle-même les prémices d’un parallèle fécond entre peinture et littérature dont Strindberg entrevoit immédiatement, et bien malgré lui, les possibilités :

Skall jag våga ett försök att beskriva Sisleys!

Det kan endast ske på följande sätt — märk noga temporalföljden, ty man målar — otroligt att säga — en handling i presens, perfektum och futurum, indicativus och konjunktivus. Se här tavlans sujet:

— Solen synes troligen ha gått upp en mycket kall sommarmorgon — middag eller — kväll och torde nu belysa den lilla kalkstensstaden, som kan vara Rouen, ehuru man icke ser katedralen, vilken man i verkligheten endast fixerar ett ögonblick från express-tåget, som avgick 3 och 19 från Havre och nu lämnar en ångsky efter sig, vilken insveper det blandade från Rheims…Nej, det är omöjligt!56

L’exercice est pour le moins paradoxal. Malgré le jugement sévère porté sur la qualité du tableau, Strindberg en extrait un récit (l’ekphrasis serait donc possible après tout ?) et transforme le tableau en écriture narrative. Surtout, ce qui frappe dans cette description est la correspondance établie entre les effets visuels du tableau et son traitement du temps, qui est exprimé à travers les temps grammaticaux. Le tableau fournit des détails qui nécessitent des expressions temporelles différentes, suggérant que, malgré la réticence de Strindberg, son contenu s’exprime aussi facilement, ou même plus facilement, à travers le langage que par les effets visuels. L’énumération des différents temps que le tableau évoque suggère l’impression d’immédiateté et la condensation du temps qu’Anne Surgers lie à l’utilisation de l’hypotypose dans la rhétorique : « Et ce n’est pas seulement ce qui s’est passé ou se passe, mais ce qui se passera ou aurait pu se passer que nous imaginons. »57

55 Vreni Hockenjos, « Money, Monney, Monet. Om rörelse, teknologi och perception i Strindbergs ‘Från café de l’Ermitage till Marly le Roi och så vidare’ » in Tidskrift för litteraturvetenskap, 33.1, 2004, p.7. En ligne : http://ojs.ub.gu.se/ojs/index.php/tfl/article/view/523/496.

56 Strindberg, op cit, p. 149. Je traduis : « Devrais-je essayer de décrire celui de Sisley ? Cela ne peut se faire que de la manière suivante : il faut faire attention à la séquence temporelle, quand on peint—c’est étrange de le dire !— une action dans le présent, le parfait et le futur, l’indicatif et le conjonctif. Voici le sujet du tableau : le soleil semble s’être levé –un matin, midi ou soir d’été—et il illumine maintenant une petite ville bâtie en calcaire, qui pourrait être Rouen, mais l’on ne voit pas la cathédrale, et que l’on ne regarde en réalité qu’un instant, depuis le train express, qui est parti à 3h19 du Havre et qui laisse un nuage de vapeur derrière lui, qui se mélange à celui du train de Reims… Non, c’est impossible ! »

L’hypotypose fait « voir » plusieurs moments, déjà passés ou potentiels, à travers un langage fortement visuel. La description de Strindberg transmet cette puissance visuelle à travers l’expression verbale indiquant, malgré sa réticence, la capacité de l’impressionnisme pictural ou littéraire à suggérer le mouvement et la continuité. Poursuivant sa description, Strindberg note encore que le tableau donne une impression de vitesse et d’action, et il souligne l’effet de perspective qui place le regardeur dans la scène, « comme si » (« as if ») 58 l’on était aussi dans un train :

Ett annat tåg går mitt över tavlan, ja går, ty det är målat så, med farten och hjulens rörelser och skakningar och passagerarnas uttittande genom fönstren; och landskapet målat alldeles som det synes från ett vaggonfönster när man åker genom en skärning eller ser det skymta genom en gles gärdsgård.59

C’est alors qu’intervient la comparaison avec la photographie. Dans la suite de sa description, Strindberg conclut que ce rendu de l’impression d’un moment en peinture ressemble à une photographie (certes, à une photographie manifestement ratée…). C’est justement cela qui le pousse à une concession décisive, puisqu’il reconnaît explicitement que l’impressionnisme pourrait avoir un potentiel plus intéressant si l’on envisage son rapport avec la photographie :

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