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J’ai relevé ci-dessus quelques éléments de controverse dans la détermination du statut de réfugié. La liste n’est pas exhaustive, mais elle montre déj{ bien les écarts d’interprétation entre les personnes qui demandent l’asile, celles qui le défendent, et celles qui l’octroient.

Les membres de la CNE m’ont montré leurs soucis d’attribuer l’asile { des personnes

« honnêtes », c’est-à-dire qui n’ont commis (et ne commettront) aucun crime, mais qui sont aussi totalement désintéressées d’améliorer leurs conditions de vie « économiques ». Avec cette conception du « réfugié politique » humble, les politiciens ne peuvent attribuer le label, en toute bonne foi, qu’{ un nombre toujours plus faible de candidats { l’asile. D’autant plus que ces derniers sont dorénavant soupçonnés d’être « en transit pour l’Europe ». Un des membres de la CNE m’a dit { ce sujet qu’il aimait bien la notion de « migrations mixtes » du HCR :

C’est bien que le HCR élargisse sa vision, car la frontière est très fine entre les clandestins73 et les réfugiés : ils sont dans la même situation de détresse. Le HCR est

73 Par « clandestins », mon interlocuteur fait référence ici aux personnes qui risquent leur vie pour atteindre l’Europe.

une agence humanitaire, elle devrait venir en aide aux victimes de guerre et de catastrophes et les clandestins sont parfois dans des situations plus difficile encore que les réfugiés. (Notes d’entretien, CNE I)

Si on en croit ce type de discours, l’utilisation restrictive du label de réfugié ne résulte pas d’un choix de la CNE mais d’une contrainte inhérente { la définition internationale du réfugié. Il faut faire attention au présupposé d’intentionnalité dans le processus de détermination du statut de réfugié. Au sein de la CNE, la distribution du label est conçue comme une décision

« neutre », basée sur les faits. Si le taux de reconnaissance est bas, c’est que les candidats actuels { l’asile « ne sont pas réfugiés ». Cependant ces refus ne veulent pas dire que la CNE ne reconnaisse aucuns besoins aux demandeurs d’asile. Ainsi un membre de la CNE, déplorant les lacunes de l’assistance humanitaire, m’a confié donner sa « monnaie » aux personnes qui viennent le voir car il sait qu’ils n’ont « rien » à Dakar. Il précisa que ce dénuement est un gros problème, car si les requérants d’asile doivent commettre des délits pour se nourrir, ils n’obtiendront pas la protection de « réfugiés ». Mon interlocuteur conclut que les « réfugiés des villes sont très vulnérables » (Notes d’entretien, CNE II). Pour la CNE, la « vulnérabilité » - synonyme de « pauvreté » - des requérants d’asile et des réfugiés résulte des lacunes du système de protection internationale et existe donc a posteriori, après l’arrivée { Dakar. La

« vulnérabilité » vue de cette manière ne devrait pas constituer un critère d’accès au statut de réfugié.

Les acteurs humanitaires que j’ai rencontrés { Dakar s’inquiètent de ce que l’itinéraire du demandeur d’asile et sa situation { Dakar prennent plus d’importance que les causes initiales du départ dans les jugements de la CNE. La « vulnérabilité » des requérants d’asile vient, d’après les travailleurs humanitaires, des menaces préalables { la fuite et qui pèsent sur le demandeur d’asile et l’empêchent de retrouver une situation sécuritaire. D’où l’importance du statut juridique de réfugié. La « vulnérabilité » provient cette fois de facteurs politiques et non économiques. En se concentrant sur les éléments économiques qui lui semblent les plus objectifs du parcours des requérants d’asile, la CNE s’éloigne de l’« esprit » de la Convention et applique la définition du « réfugié » de manière limitée. Mais les humanitaires n’ont pas forcément une vision plus large du label de « réfugié ». Le Waripnet, par exemple, se mobilise pour maintenir une définition étroite du « réfugié » et insiste (tout comme la CNE) sur la notion de « persécution ». Mon interlocuteur m’a bien précisé que : « les réfugiés ne sont pas des migrants comme les autres, il faut bien faire la différence afin de protéger les personnes menacées de persécutions » (enregistrement, Waripnet). De même, mon interlocuteur à la

RADDHO74 a insisté sur la nécessaire différenciation des individus « réellement menacés » des autres personnes qui se déplacent. Voici un extrait de mes notes :

Le réflexe en Afrique, c’est de demander l’asile pour obtenir un statut et une position juridique. La lenteur des procédures d’asile et de recours leur permet de se poser un moment et de planifier la suite de leur voyage. Il faut accélérer la procédure pour décourager les faux demandeurs et permettre aux vrais d’être dans une situation moins précaire pendant cette attente. Il faut aussi assister les organisations de la Société civile qui travaillent { l’assistance juridique et légale des réfugiés. C’est aussi un moyen de filtrer les demandes d’asile. Car un bon entretien permet d’identifier le but de la personne. Le migrant a aussi des droits, mais il y a d’autres structures pour lui.

[…] La distinction est très importante car elle préserve l’institution de l’asile et montre qu’il n’y a pas que des clandestins et que l’asile ne va pas s’estomper. Il faut renforcer la confiance. (Notes d’entretien, RADDHO)

Ces deux personnes doutaient des bénéfices de la notion de « migrations mixtes ». Pour eux, les causes de départ mixtes complexifient la procédure de détermination du statut de réfugié et risquent de se retourner contre les réfugiés qu’ils appellent « méritants », c’est-à-dire les personnes qui n’ont, pour des raisons de sécurité, pas eu le choix de partir. Les acteurs institutionnels doivent donc s’appliquer { montrer la différence afin de sauvegarder la dimension humanitaire de l’asile, d’où son appropriation des notions de « vrais » et de « faux » demandeurs d’asile. A ce sujet, le président de l’OFADEC penche pour un asile limité au pays limitrophes. En effet, il comprend les difficultés de la CNE à nommer les personnes venant de plus loin :

Si ceux qui ont peur des persécutions demandaient l’asile dans le premier pays, il n’y aurait pas de doute. Mais ils veulent aller plus loin, donc ils ne cherchent pas uniquement le statut. La CNE ne peut pas les reconnaître s’ils ne sont pas de pays limitrophes. (Notes d’entretien, OFADEC)

L’OFADEC, en tant que partenaire opérationnel du HCR, travaille en fonction des labels juridiques acquis par ses « clients ». De ce fait, ses employés préfèrent ne pas trop s’interroger sur le bien-fondé de la distribution du statut, car il serait difficile d’octroyer une aide sans être convaincu de son équité (discussion informelle, BOS). Les autres ONG, par contre, s’autorisent plus de réflexions quant au découpage légal. Le Waripnet et la RADDHO revendiquent une définition exclusivement « politique » du réfugié mais contestent pourtant fréquemment les décisions négatives de la CNE. En effet, les deux associations postulent l’aide aux « victimes de persécutions » quel que soit leur parcours depuis l’élément déclencheur du départ.

L’association Caritas par contre ne tient en aucun cas compte des définitions juridiques internationales, elle vient en aide à « toute personne vulnérable » issue de la migration à Dakar.

74 La RADDHO travaille sur des questions de « migrations forcées avec risque réel de persécutions ou de violations massives des droits humains » (notes d’entretien, RADDHO).

L’association ne s’interroge ni sur les causes de départ, ni sur l’itinéraire, mais sur la situation présente à Dakar. Caritas rattache donc la « vulnérabilité », tout comme la CNE, à la

« pauvreté », mais paradoxalement cette approche permet { l’ONG de s’adresser { un public large, alors qu’elle restreint, dans le cas de la CNE l’accès { la protection.

Le débat est complexe. Les approches « restrictives » ou « compréhensives » ne sont pas forcément ce qu’elles laissent croire au premier abord. La distribution du statut de réfugié ne semble pas toujours correspondre aux intentions politiques et humanitaires personnelles des membres de la CNE. De même, l’usage du label par les ONG n’est pas aussi large que leurs principes humanitaires.

Le statut « réfugié » est sélectif et attribué uniquement en cas de persécutions étatiques.

Parallèlement, toute une gamme d’individus sont reconnus « vulnérable ». Mais l’obstination des gouvernements à peser les motifs « économiques » et les causes « politiques » les laisse dans des situations précaires. Le droit des réfugiés qui s’est en pratique adapté plusieurs fois { de nouvelles situations (mondialisation, interventions d’urgence, « déplacés internes », etc.) semble cette fois coincé dans des structures trop étroites.