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Les motifs de départ des quatre personnes présentées ci-dessus sont sujets à caution. Holly a vécu la guerre. Il a fui pour sauver sa vie, mais les causes de son départ sont aujourd’hui résolues et Holly pourrait, s’il voulait et parvenait { rejoindre la Sierra Leone, retrouver la protection juridique de son Etat d’origine. Ses motifs de départ correspondent à la description de réfugié de la Convention de l’OUA, mais ne sont plus « actuels ». Alors que la guerre est encore présente { l’esprit de Holly et qu’il ne voit pas de possibilité de rentrer, le HCR et l’Etat du Ghana ne le perçoivent plus, vu les accords de paix en Sierra Leone, comme « en besoin de protection internationale ». Cette décision du GRB apparaît comme « illogique » à Holly puisqu’il a effectivement tout perdu et qu’il est aujourd’hui dans la même situation que son frère qui, lui, est reconnu.

Karim a subi des menaces et des persécutions individuelles et répond de ce fait aux critères de la Convention de Genève. Pourtant, lui-même ne s’imaginait pas alors être « réfugié ». Ce

n’était pas vraiment un manque d’information, car Karim m’a relaté qu’il connaissait le HCR et les camps de réfugiés du Soudan. Seulement, il ne lui était pas venu { l’esprit que lui-même pouvait en faire partie. Lorsqu’il a pris conscience de sa situation au Ghana, ce sont les droits civiques qu’il sollicitait mais pas une réelle « protection » qu’il conçoit comme un frein { son indépendance. Il ne perçoit de plus pas son exil comme une réelle « contrainte » car il se sent toujours libre de ses mouvements. Le GRB le perçoit par contre comme un « faiseur de troubles » et se réfère aux clauses d’exclusion des Conventions de Genève et de l’OUA pour lui refuser le statut de « réfugié ».

Joseph a quitté successivement ses deux pays d’origine du fait d’un fort sentiment d’insécurité. Il n’a jamais été menacé directement, mais s’attendait sans arrêt { être attaqué par surprise. En Côte d’Ivoire, il avait de « bonnes raisons » de douter de la protection étatique à son encontre puisque son père a été assassiné pour des raisons politiques. Au Ghana par contre, son sentiment d’insécurité n’est pas lié { l’Etat et il devrait, en théorie, pouvoir s’en remettre à la protection de ce pays. Mais il a préféré aller chercher une situation sûre dans un pays tiers.

Sewa enfin, a quitté la Sierra Leone pour des motifs doubles. La situation familiale entremêlée au contexte de guerre l’a poussée { partir. Il est, pour elle aussi, difficile de définir si elle correspond ou non à la définition du « réfugié ».

Ces récits montrent que les causes de départ son sujet à des interprétations différentes entre les personnes qui les vivent et les personnes qui déterminent le statut de « réfugié ». Les motifs sont souvent complexes et les définitions internationales du « réfugié » laissent des zones d’imprécisions qui peuvent être interprétées plus largement ou plus restrictivement selon le contexte politique et économique du pays d’accueil. Le concept de « migrations mixtes » en politique permet de prendre conscience de cette « marge » d’interprétation possible, et de s’interroger ainsi sur les facteurs qui influencent le jugement des comités d’éligibilité. En anthropologie ce concept pourrait amener de nouvelles pistes de réflexions quant aux rapports entre labels, dynamiques migratoires et statuts administratifs.

Les itinéraires

Mes quatre interlocuteurs ont des parcours complexes. Aucun n’a demandé l’asile dans un pays limitrophe de son lieu d’origine et ceci pour des raisons variées. Holly était un enfant lors de son étape en Côte d’Ivoire et n’était pas en mesure d’entreprendre des procédures de

lui-même. On peut remarquer cependant, qu’il a fui deux fois la guerre dans un pays voisin, mais il n’a demandé l’asile que la deuxième fois et cette demande est relative au contexte de son pays d’origine, elle ne tient pas compte des raisons de l’étape ivoirienne. Pour le GRB, l’intervalle de temps entre la première fuite et la demande d’asile ne permet pas de lui attribuer le statut de réfugié. S’il a pu vivre en tant que « migrant » pendant plusieurs années, le statut de « réfugié » n’est pas justifié.

Karim a effectué le parcours « typique » du « migrant irrégulier ». En effet, il s’est d’abord déplacé en Europe { l’aide de faux papiers et n’y a pas fait mine d’y rechercher l’asile. Même lorsqu’il s’est fait prendre par le service de l’immigration, Karim n’a pas plaidé la peur ou la vulnérabilité. Il a été renvoyé car il avait enfreint la loi du pays en question. Renvoyé en Afrique, il a de nouveau vécu les dangers réservés aux « clandestins du désert». De retour dans son pays, il a pu y vivre un moment avant de devoir « fuir pour de bon ». Mais { nouveau, il n’a pas demandé l’asile tout de suite. L’itinéraire de Karim ne correspond pas au parcours du

« réfugié » tel qu’envisagé par le GRB. En effet les membres du GRB lui ont indiqué qu’il avait perdu sa chance en traversant tant de pays et qu’il n’était de ce fait pas éligible au statut de réfugié.

Joseph est l’une des rares personnes que j’ai rencontrées qui ait reçu le statut de réfugié malgré son itinéraire non rectiligne. Quant { Sewa, elle a d’abord obtenu un asile prima facie avant de se déplacer plus loin. Dans ces cas-l{, il est très rare qu’une personne soit reconnue dans un autre pays sur des bases individuelles.

Durant leur voyage, ces quatre personnes ont dû faire face à des « risques de protection ». Le passage des frontières leur a à tous posé des difficultés et leurs différentes étapes ne leur ont pas permis de retrouver une situation « sûre ». Cependant, ces parcours « mixtes » n’entrent pas dans les critères de déterminations des « réfugiés ». Le concept de « flux migratoires mixtes » veut sensibiliser les Etats à la prise en compte des « réfugiés » parmi les « migrants irréguliers » mais ne devrait pas apporter de changement dans l’interprétation des critères de détermination. Cependant, nous voyons que ces personnes ne sont pas dans un état fixe. Au long de leur parcours, elles vivent un continuum de sécurité et d’insécurité (Van Hear, Brubaker, Bessa, 2009). De même les situations d’insécurité fluctuent entre causes politiques, sociales ou économiques. Dans ce sens, le concept de « migrations mixtes », s’il n’apporte pas encore de réponse politique concrète, pourrait être un tremplin pour repenser notre rapport aux typologies humaines.