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1- LA CONSCIENCE DE LA SITUATION

2.2 L A M EMOIRE O PERATIONNELLE

2.2.2 Reprises du concept de mémoire opérationnelle

Les méthodologies employées par Zintchenko mettent en jeu des tâches assez simples (recopie, ou rappel de chiffres inscrits sur des tableaux). Cependant le concept de mémoire opérationnelle a été repris par Bisseret (1970) alors qu’il étudiait la tâche centrale des contrôleurs aériens (ie : prise en charge des avions après le décollage pour assurer l’anticollision pendant tout leur trajet).

2.2.2.1 La mémoire opérationnelle avant que n’existe le concept de mémoire de travail

Lorsque Bisseret (1970) utilise le terme de mémoire opérationnelle les travaux de Zintchenko lui sont contemporains et le concept de mémoire de travail n’existe pas encore. De ce fait, pour Bisseret il semble évident que la mémoire immédiate (mémoire à court terme) ne peut correspondre qu’à des activités de stockage temporaire d’informations. C’est pourquoi, en suivant Zintchenko il distingue la mémoire opérationnelle de la mémoire immédiate et de la mémoire permanente. C’est en réaction à des travaux américains sur la mémoire à court

terme (running memory en particulier) que j’ai proposé « mémoire opérationnelle » pour le phénomène constaté d’une mémorisation sans commune mesure avec ce qui était admis pour la mémoire à court terme ; tout en le distinguant de la mémoire à long terme, parce que transitoire (Bisseret, 2004). A cette époque, Bisseret (1970) envisage que la mémoire

opérationnelle est constituée non pas d’une copie du réel, mais d’un ensemble d’informations pré-traitées, ou enregistrées sous une forme qui prépare et facilite le traitement de l’information.

2.2.2.2 La mémoire opérationnelle et la mémoire de travail

Au cours des années 1970, la notion de mémoire à court terme a été petit à petit abandonnée au profit de la mémoire de travail. La mémoire à court terme était considérée comme un système de stockage transitoire. En revanche, la mémoire de travail est pensée comme un système de stockage transitoire et de traitement de l’information. Richard (1990) discute le lien entre mémoire de travail (A. D. Baddeley & Hitch, 1974) et la mémoire opérationnelle (Bisseret, 1970). Pour Richard ces deux notions sont voisines. Il considère que la notion de mémoire opérationnelle vise à rendre compte du fait que dans la réalisation

d’une tâche significative la mémorisation est extrêmement dépendante des objectifs de la tâche et traduit l’idée que la mémoire est structurée par les exigences de la tâche à accomplir

(Richard, 1990, p35). Cependant, pour Richard, ces trois concepts (mémoire permanente, mémoire de travail et mémoire opérationnelle) ne se situent pas au même niveau. Il distingue d’une part un niveau structural de la mémoire humaine et un niveau fonctionnel. La mémoire permanente et la mémoire de travail permettraient de décrire les structures de la mémoire humaine, alors que la mémoire opérationnelle serait une notion purement fonctionnelle. Pour Richard (1990, p36) elle décrit des états de l’information mémorisée, ce n’est pas une

nouvelle structure de mémorisation avec ses mécanismes propres. Par ailleurs, pour Richard,

le contenu de la mémoire opérationnelle peut être considéré comme constitué de l’information contenue en mémoire de travail et la partie active de la mémoire à long terme. Le contenu de la mémoire opérationnelle serait la représentation mentale.

En 1995, lorsque Bisseret revient sur la notion de mémoire opérationnelle, il fait toujours référence au concept de Zintchenko, mais, également à Richard (1990). De ce fait, selon Bisseret (1995) il est vrai que ce que nous avions appelé mémoire opérationnelle à la

suite des auteurs soviétiques, est plutôt un concept fonctionnel et correspond en fait à la représentation (p124). Cependant Bisseret note une réserve à cette fusion sémantique. En

effet, pour l’auteur, la brièveté de la mémoire opérationnelle n’est pas de même nature que celle de la mémoire à court terme, elle est déterminée par le contenu, le degré de complexité

de l’activité qu’elle sert (1995 p75). C’est pourquoi Bisseret pense que la mémoire de travail

telle que la conçoit Richard, en référence à Baddeley, ne peut rendre compte des phénomènes

constatés sous le terme de « mémoire opérationnelle » (au point de vue capacité en particulier) (Bisseret, 2004). Par conséquent, Bisseret pense que la seule issue possible à ces

difficultés terminologiques et conceptuelles est la théorie de la mémoire de travail à long

terme (Ericsson & Kintsch, 1995).

2.2.2.3 La mémoire opérationnelle, une mémoire de travail à long terme ?

La théorie de la mémoire de travail à long terme est en fait l’intrication entre la mémoire de travail et la mémoire à long terme. En effet, selon Ericsson et Kintsch (1995) la mémoire de travail fait partie intégrante de la mémoire permanente. Comme dans le modèle Cowan (1988), auquel se réfère Endsley (2000), la mémoire de travail est envisagée comme la partie active de la mémoire permanente.

Ericsson et Kintsch (1995) soulignent que dans les tâches cognitives complexes une grande quantité d’information doit être maintenue active. Comme Bisseret le suggère, ils

pensent que cette quantité d’information est très supérieure à ce que laissent envisager les études de la mémoire de travail en laboratoire telle qu’elle est analysée par Baddeley (1986; 2000). En outre, les auteurs soulignent que dans de nombreuses situations, l’activité du sujet est ponctuée d’interruptions et de reprises. L’hypothèse centrale du modèle est que, dans des

conditions bien délimitées, les sujets peuvent élargir leur mémoire de travail traditionnelle au moyen d’un accès par indices aux informations stockées en mémoire à long terme (Gaonac'h

& Larigauderie, 2000, p250). Par ailleurs, pour les auteurs la MTLT est étroitement liée à l’expérience des sujets. Elle permettrait de récupérer, de manière hautement stratégique, des contenus stockés en mémoire à long terme et de les activer en mémoire de travail. La MTLT serait donc une partie de la MLT spécialisée dans le stockage d’indices de récupération des connaissances (retrieval cues) qui ont pu être utilisées lors de la réalisation d’une tâche antérieure. Ces indices sont envisagés comme des structures de récupération stratégiquement associées avec les unités de connaissances stockées en mémoire à long terme (ie : schémas). La simple activation de ces indices permettrait d’activer, de façon économique, toutes les connaissances requises pour une tâche donnée. En ce sens, l’instance de mémoire de travail à

long terme n’est pas générique et ne peut être utilisée que pour une activité donnée dont la réalisation est devenue experte (Chanquoy & Alamargot, 2002, p395).

2.2.2.4 Mémoire opérationnelle et charge de travail

Une autre position est envisagée par Spérandio (1975; 1984) qui se réfère aux travaux de Bisseret (1970). Lorsque l’on parle de mémoire « opérationnelle », on ne se réfère ni à une

théorie particulière des processus mnémoniques, ni à un certain découpage de la mémoire dans le temps (comme on parle de mémoire à court terme ou à long terme). Ce n’est pas non plus la mémoire telle qu’on l’étudie classiquement en laboratoire, ni non plus la mémoire de la vie courante (Spérandio, 1975 p41). Pour Spérandio, la mémoire opérationnelle est

totalement liée à l’activité de travail. Il la définie comme l’ensemble des informations dont

l’opérateur disposait au cours de la tâche (1984 p66). Par conséquent, l’auteur s’est

notamment intéressé aux effets de la charge de travail sur la mémoire opérationnelle des contrôleurs aériens. Dans ce but, il a étudié la mémoire opérationnelle des contrôleurs en fonction du nombre d’avions contrôlés.

Les résultats d’observations de contrôleur en cours d’activité réelle ont montré qu’en fonction du nombre d’avions à contrôler les sujets mettent en œuvre des stratégies différentes. En effet, tant que le nombre d’avions est faible les contrôleurs respectent les critères de sécurité mais aussi des critères secondaires (eg : trajectoire favorisant une économie de carburant). En revanche, plus le nombre d’avions augmente plus le nombre de critères respectés diminue (la sécurité étant toujours respectée). Lorsque le niveau d’exigence de la tâche est faible (peu d’avions) Spérandio montre que les stratégies alors mises en œuvre nécessitent des raisonnements plus fins, de nombreuses prises d’informations et de nombreux échanges verbaux. En revanche, lorsque le niveau d’exigence de la tâche est élevé (grand nombre d’avions) le temps de traitement accordé à chaque avion est minimal, et les procédures mises en œuvre sont stéréotypées.

Par ailleurs, une autre expérimentation a permis de comparer la quantité d’information contenue en mémoire opérationnelle toujours en fonction du nombre d’avions à contrôler mais également, en fonction du délai de rappel (Spérandio, 1975). Il en ressort qu’un effet d’oubli attribuable à l’augmentation du nombre d’avions à contrôler est augmenté par la durée du délai de rappel. Cependant, certains avions sont mieux rappelés que d’autres. Spérandio observe que ce résultat n’est pas lié au temps pendant lequel les informations sur ces avions étaient disponibles. En effet, les avions les mieux rappelés sont ceux qui ont été les plus manipulés par les contrôleurs : les plus opérationnels durant la séance de contrôle (avions en cours de contrôle lors de la prise de poste, ou en fin de vacation et avions impliqués dans des conflits lors de la vacation).

Ces études réalisées auprès de contrôleurs expérimentés mettent en évidence que les capacités de la mémoire opérationnelle sont fortement dépendantes de l’activité menée. Les

rappels ne se répartissent pas au hasard, mais au contraire touchent électivement certains avions et certaines informations caractéristiques des avions, en liaison explicite avec les caractéristiques opérationnelles de la tâche (Spérandio, 1975, p61).