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La reprise comme opérateur d’analyse des objets de discours 125

Chapitre 2 L’analyse des reprises de discours 121

IV.2.2. La reprise comme opérateur d’analyse des objets de discours 125

Dans son étude des rapports entre langue et discours, F. Sitri s’intéresse à la manière dont les objets de discours se constituent et se transforment. Elle met au jour les formes

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« Les exercices d'instruction à un sosie visent […] une transformation indirecte du travail des sujets grâce à un déplacement de leurs activités dans un nouveau contexte, d'où elles sortiront éventuellement "une tête au dessus d'elle-même" » (Clot, 2001, p.133).

linguistiques qui caractérisent la constitution des objets de discours. Elle-même caractérise le lien entre objet de discours et formes linguistiques comme lien de corrélation (2003, p.54). Aussi, elle s’intéresse aux marques d’émergence des objets de discours (p.55). Dans le travail de F. Sitri, la catégorie « objet de discours » a le double statut d’objet et de moyen. C’est une entité discursive, « et non pas psychologique ou cognitive » (p.39)69

, constituée de discours et construite dans et par le discours (p.10). Cette entité se déploie, et dans le discours, et dans l’interdiscours (p.54). Mais l’objet de discours a aussi un statut de moyen, moyen pour observer des discours et analyser des données. C’est « un mode d’entrée dans le discours » (p.9). F. Sitri précise avoir bâti ce modèle pour analyser en particulier une activité discursive spécifique : l’activité argumentative à l’oral, dans laquelle « discours et contre-discours s’affrontent devant un tiers » (p.9).

La reprise comme opérateur d’analyse

L’objet de discours n’est pas une notion directement opératoire. Aussi, F.Sitri mobilise- t-elle deux catégories de description syntaxique pour « accrocher » la matérialité de la langue (p.41) : la thématisation70 et la reprise.

Notre séquence contenant de nombreux discours rapportés, nous avons cherché à faire de son travail sur la reprise un instrument pour nos analyses de discours à visée d’analyse psychologique.

Par « discours rapporté » on entend les discours autres, attribués à autrui auquel le locuteur fait explicitement référence dans son propre discours. Les linguistes distinguent traditionnellement le discours rapporté direct dans lequel le locuteur « inscrit » l’énoncé d’un autre discours dans son propre discours, du discours rapporté indirect dans lequel la référence est explicite mais moins immédiate. Dans le cas du discours direct, le locuteur fait mention des mots utilisés par l’énonciateur cité comme dans : « Il m’a dit : "tu dois partir"» (Maingueneau, 2002 a). Dans le cas du discours indirect, le rapporteur

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L’approche par les objets de discours ne formule pas d’hypothèse a priori sur les intentions réelles ou cachées des locuteurs (p.26). Elle ne s’intéresse pas aux stratégies des sujets (ibid.).

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La thématisation consiste à détacher un élément du flux discursif. La reprise d’un segment discursif est une condition sine qua non pour qu’un tel segment devienne objet de discours. Sitri précise le caractère paradoxal de cette opération. La langue et le discours sont vivants. Du coup, il n’y a jamais de reprise qui serait une simple répétition. La reprise produit à la fois des effets de conservation et de changement (p.117).

fait usage de ses propres mots pour citer autrui comme dans « Il m’a demandé de m’en aller » (ibid.).

Nous l’avons déjà dit, la reprise est absolument nécessaire pour la constitution de discours. Mais il faut le préciser la reprise est toujours une transformation. Repris, l’objet de discours « est à la fois répété et modifié » (p.51).

Même rapporté directement, le discours est transformé : « La reprise d’un discours est fondamentalement le produit d’une interprétation et le discours direct ne peut être considéré comme la reproduction textuelle de propos effectivement tenus » (De Arruda, cité par Bournel Bosson, 2005, p. 109). Ces phénomènes de transformation peuvent être abordés avec d’autres concepts notamment celui d’altération (Peytard, 1993).

Ce sont ces phénomènes de reprise, de répétition et de modification que nous avons cherché d’abord à décrire. Ensuite, nous nous sommes interrogé sur les processus psychologiques qu’ils rendaient possibles et à la réalisation desquels ils participaient. Plus particulièrement, nous nous sommes intéressé à la manière dont la mobilisation des discours autres (discours des autres et autres discours du locuteur) renouvelait le discours de chacun.

La nécessité d’adapter la théorie de la reprise à notre horizon d’analyse psychologique

L’analyse du discours n’est pas une finalité mais un moyen pour accéder aux processus de pensée et les analyser. A la différence de Sitri, on ne s’intéresse pas aux reprises pour comprendre comment elles contribuent à la construction des objets de discours.

On s’intéresse aux reprises en tant qu’elles participent et soutiennent des phénomènes de développement de la pensée.

On cherche à s’approprier les théories et des techniques d’analyse du discours en les mettant au service de notre analyse des activités psychologiques.

Notre séquence principale ne répond pas à la définition de la structure argumentative chez Sitri, à savoir « une structure discursive tripartite dans laquelle deux discours divergents voire franchement opposés s’affrontent devant un tiers » (2003, p.15). Une telle structure comprend trois actants qui argumentent leur point de vue devant un tiers qui « garantit le caractère public ou plus précisément institutionnel de [la] situation argumentative » (p.17).

Nous nous sommes autorisé d’une remarque de Plantin, un autre linguiste71

pour « détourner » les travaux de F.Sitri et les mobiliser pour analyser une séquence argumentative qui ne répond pas à ces critères formels. Plantin précise : « chacun des actants ne correspond pas forcément à un acteur (sujet parlant) unique » et « le même acteur peut tenir plusieurs rôles actanciels » et « se situer du point de vue du Proposant, passer à celui de l’Opposant, et manifester les doutes d’un Tiers » (1996, p.12). Plantin signale que c’est le cas dans la délibération intérieure (ibid.).

La catégorisation de notre séquence princeps au plan langagier

Dans cette séquence, Mme A. fait part de ses réflexions au collectif (c’est à dire à ses pairs et à l’intervenant).

Avant de procéder au découpage de la séquence discursive en vue de l’analyser précisément, nous devons la qualifier. Comme nous l’avons précisé, cette séquence est d’abord, au plan chronologique et au plan fonctionnel, l’exposé d’une délibération intérieure. Mais la suite de la séquence montre que l’exposé de ses réflexions ne vise pas seulement à exprimer (rendre compte de) ses pensées mais aussi à prolonger cette activité réflexive et à envisager un devenir de cette réflexion dans l’action. L’exposé vise aussi à agir sur ses collègues et sur elle-même.

Nous considérons que la séquence que nous avons retenue relève d’une catégorie tierce. Ni situation argumentative classique à trois acteurs, ni situation de délibération intérieure, notre séquence peut être référée à ces deux situations.

En effet,

- cette énonciation peut être regardée comme extériorisation d’une délibération

intérieure. Comme on va le voir, la manager rapporte à ses pairs ce qu’elle s’est dit et se dit 72

. Cette délibération intérieure est rapportée, face à des tiers (les autres managers et

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Nous tenons pour compatibles les approches de Sitri et Plantin car c’est à lui qu’elle emprunte sa définition de la situation argumentative à trois actants. Il caractérise l’argumentation par présence de « deux ensembles discursifs antagonistes » qui « s’interpénètrent et [font] référence l’un à l’autre » (Plantin, 1996, p.11). « De cette contradiction naît une question qui organise l’interaction conflictuelle concrète » (ibid.).

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Et l’énonciation de ce qu’elle se dit lui permet de poursuivre son mouvement réflexif. Ce dernier point relève du volet psychologique des processus étudiés.

l’intervenant) comme confrontation de points de vue. Elle a donc la forme du trilogue argumentatif ;

- l’énonciation dans la séquence que nous avons retenue ne vise pas seulement à rendre compte d’une délibération intérieure73

. Elle vise aussi à « transformer par des moyens linguistiques le système de croyance et de représentation de son interlocuteur » (Garcia- Debanc, cité par Sitri, 2003, p. 17). L’énonciation est aussi réalisée dans « un contexte d’action, de décision à prendre » (Sitri, p.18) et elle est « avancée au nom d’un réel à transformer » (Plantin, cité par Sitri, p.18). A ce double titre (l’action et la transformation des représentations des interlocuteurs), l’énonciation peut être regardée comme argumentation.

Ce qui intéresse le psychologue, c’est que l’argumentation est à la fois tournée vers les autres et vers la locutrice elle-même. Ce ne sont pas seulement les représentations de ses interlocuteurs mais aussi ses propres représentations qui sont visées et transformées, même à son insu.

Dans le but de rendre compte de la spécificité de notre matériau, nous qualifions cette séquence de situation d’extériorisation à visée argumentative d’une délibération

intérieure ou encore de reproduction oralisée à visée argumentative d’une délibération intérieure déjà réalisée.

Nous allons montrer que le discours de la professionnelle est construit à partir d’extractions et de reprise de segments discursifs autres (reprise de ses propres discours et reprise du discours des autres).

Nous montrerons ensuite comment cette construction produit notamment un discours sur de nouveaux buts qui pourraient être poursuivis et comment ce discours soutient l’imagination de ces nouveaux buts.

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En la reproduisant dans un discours adressé à autrui, ce qui ne manque pas d’en transformer tant la forme que le contenu (Kostulski, à paraître)

IV.2.3. Présentation de la séquence principale et mise en