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Chapitre 1 Une recherche dans le cadre d’une coopération entre un service de santé et

III.1.2. Une recherche pilotée au niveau de la Direction du groupe 82

La création d’un steering commitee

Sur la base des résultats de cette première expérience et sur proposition du médecin responsable de la Direction santé au travail, la Direction de l’entreprise a confié au chantier rebaptisé « Santé / Efficacité » un rôle décisionnaire.

L’instance se transforme en steering committee et décide de mener de nouvelles actions :

- dans le tertiaire, c’est à dire en dehors des activités du périmètre des activités de fabrication 36 ;

- auprès de et avec des catégories hiérarchiques d’un rang plus élevé.

Un objectif est fixé qui consiste à lutter contre les risques de « déperdition » (mots du DRH France) inhérents selon lui au caractère trop localisé des actions. Les actions doivent être structurées sur un périmètre plus large et doivent viser un caractère pérenne.

En outre, le steering committee accueille de nouveaux membres permanents : le directeur des Ressources Humaines du groupe (n-1 par rapport au directeur général et

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membre du comité exécutif) et le responsable de l’équipe Clinique de l’activité (qui dirige ce travail de thèse) en qualité de garant des actions menées.

Deux actions dans le tertiaire

Le steering committee décide de lancer des actions dans le tertiaire. Le directeur d’une entité37

accepte d’accueillir la recherche. Ce directeur (n-2 par rapport au directeur général) rejoint de fait le steering committee.

Cette entité emploie 1200 personnes : un tiers d’ingénieurs et deux tiers de techniciens. Au moment où l’action débute, cette entité vient de connaître une phase de réorganisation générale : la logique précédente d’organisation par produits laisse la place à une organisation par projets. Toutes les équipes françaises rejoignent un nouveau centre de R&D construit à Grenoble. Ce sont 400 personnes qui sont appelées à déménager. La réorganisation donne lieu à un Plan de Sauvegarde de l’Emploi qui prévoit le départ d’une centaine de personnes et le recrutement de cinquante salariés possédant des niveaux de qualification académiques plus élevés38.

Ce sont ces « bouleversements » qui conduisent ce directeur à accueillir la recherche. Il relève chez les salariés des phénomènes qui traduiraient ce qu’il qualifie d’« angoisse existentielle » à propos du devenir de leurs métiers, de leurs compétences, de leurs emplois39. Il perçoit un risque de tétanie, pour reprendre ses mots, qui l’emporterait sur

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L’entreprise compte, selon son vocabulaire, deux « métiers » : la distribution électrique et les automatisme. L’entité qui accueille la recherche est le plus gros département de la distribution électrique.

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Le commanditaire fait remarquer que les modalités de réalisation de ces plans est emblématique de l’esprit d’exécution prescrit jusqu’au plus haut niveau de management. Les délais de réalisation prescrits ont conduit à des résultats en contradiction avec les objectifs du plan, à savoir le départ de salariés très expérimentés dont la direction considérait qu’il aurait fallu les retenir et le maintien dans l’organisation de techniciens de qualification insuffisante au regard de la compétition mondiale entre les services de l’entreprise (pour le dire simplement : comparaison du coût financier d’un ingénieur en Chine et du coût d’un technicien en France). La méthode marquerait une rupture profonde avec la tradition sociale de l’entreprise dans cette ville.

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Nous faisons l’hypothèse que ce qui est qualifiée d’ « angoisse existentielle » à propos du devenir de leur vie professionnelle concerne aussi directement l’équipe de direction. Quelques mois plus tard, le directeur connaîtra d’ailleurs un accident de santé grave et quittera ses fonctions.

une combativité pourtant nécessaire au moment où les prescriptions en termes de productivité sont très largement revues à la hausse40

.

Toujours si on reprend ses mots, il est davantage en attente d’actions de soutien psychologique direct aux salariés que d’actions en psychologie du travail telles que nous les pratiquons. Il souhaite permettre aux collaborateurs de pouvoir « s’exprimer » et leur adresser des signes de reconnaissance, « leur montrer qu’on s’occupe d’eux ».

En clinique de l’activité, c’est le « métier » qui constitue le point d’entrée dans l’action. Le directeur de l’entité a donc passé commande d’une intervention sur deux métiers de la recherche et développement :

- le métier de technicien de laboratoire d’essais et

- le métier de manager, encadrant des équipes dans chacune des services de la R&D (fonctions électromécaniques, fonctions mécatroniques, développement électromécanique, développement électronique et des logiciels, architecture de plate forme et de gammes de produits, laboratoire d’essais).

Le métier de technicien

Une intervention a eu lieu avec les techniciens rattachés au laboratoire moyenne tension. Ces techniciens testent les disjoncteurs, les interrupteurs, et chacun des composants41 pour les réseaux de moyenne tension.

Le laboratoire a été particulièrement concerné par le Plan de sauvegarde de l’emploi puisque la moitié des techniciens (10 sur 20) a quitté ce laboratoire (départ anticipé en retraite, départ volontaire, mutation).

Ce sont aussi 5 jeunes techniciens (Bac + 2 à Bac +5) qui ont rejoint le laboratoire.

Le laboratoire est dirigé par un nouveau responsable dont l’objectif est, selon ses mots,

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Dans le conflit d’interprétation quant à l’origine réelle du profit de l’entreprise : la technique (la qualité des produits) vs le commerce (marges bénéficiaires sur les ventes de produit) vs les activités financières, le commanditaire tertiaire s’inscrit dans la tradition technique : c’est le soin apporté à la conception de produits de qualité qui constitue la principale source de richesses de l’entreprise.

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Un même appareil est sans cesse transformé. La recherche de gain de performance technique et de productivité induit un renouvellement incessant des fournisseurs. La fiabilité des nouvelles pièces et des nouveaux assemblages est mesurée en permanence.

d’« élever le niveau des essais » et « décloisonner » les activités réalisées par rapport au travail des bureaux d’études.

Il signale quelques obstacles tenaces à la réalisation de ces objectifs : - la faiblesse du niveau conceptuel global ;

- le déficit des techniciens en matière de communication ; - un site marqué par une forte implantation syndicale.

Il nous indiquera avoir tenté d’organiser, à son arrivée, un travail de fond avec les techniciens sur les méthodes d’essai pour « élever le niveau » mais que les premières sessions de travail ont donné lieu à des dérapages violents entre techniciens. Par la suite, le manager a privilégié le « management individuel » et a misé sur l’arrivée de « sang neuf » pour l’installation d’un climat de travail en phase avec les objectifs.

Du coup les seuls temps collectifs de travail sont les réunions de service mensuelles. La phrase d’un technicien résume la manière dont l’analyse du travail a été accueillie par les techniciens. En parlant de la Direction, il dira : « Il nous ont planté un couteau dans le dos et voilà qu’ils nous envoient un pansement » (un psychologue). Il n’y avait pour les techniciens rien à attendre d’une intervention de ce type.

Plusieurs techniciens participèrent pourtant à l’intervention qui mettra en lumière : - l’importance et la complexité du patrimoine technique constitué par la longue expérience des techniciens en poste eux-mêmes « dépositaires » d’une histoire et d’une culture technique localisée (connaissances précises des appareils testés et des méthodes d’essai) ;

- la nécessité de conserver la complexité de ce patrimoine, c’est à dire de le transmettre ; - la possibilité d’organiser les échanges entre les deux « populations » ;

- les stratégies chez les « anciens », dans une perspective de vengeance imaginaire, de quitter l’entreprise en « emportant les secrets de fabrication » ;

- la tentation chez les nouveaux embauchés, encouragés en cela par le responsable, d’ « ignorer » les savoirs d’expérience42

des « anciens ».

Sur la base de ces premiers résultats, la majorité des techniciens s’est prononcée pour une interruption de l’intervention. Dans cette situation, ce sont le renoncement et la

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fermeture qui l’ont emporté sur la disponibilité à l’expérience. (Cf. analyse de l’activité des managers).

La Direction a pourtant souhaité, en accord avec la Direction santé au travail, engager avec nous, le travail avec les managers qui sert de matière à cette thèse.

Chapitre 2 - L’entreprise, la constitution du collectif