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3. Discussion

3.2. Premier volet : b) Contenu des rêves durant la grossesse

3.2.1. Représentations mentales maternelles dans les rêves

En ce qui concerne l’incorporation onirique des RMM, seul le facteur combinant les représentations de la femme comme mère et les représentations de bébés ou d’enfants permet de distinguer significativement nos groupes (cf., Tableau 3 et Figure 1 A du second article). Comme nous nous y attendions, ce type de représentations se retrouve plus fréquemment dans les rêves des femmes enceintes – indépendamment du moment gestationnel – que dans ceux des femmes non enceintes, ce qui corrobore les études comparatives antérieures (Dagan et al., 2001; Gillman, 1968; Krippner et al., 1974; Nielsen & Paquette, 2007; Sabourin, 2010; Van De Castle & Kinder, 1968). Cependant, contrairement à nos attentes, nos données montrent que les femmes enceintes ne rêvent pas plus souvent à leurs rôles d’épouse, de fille, de membre de leur famille, ni aux personnes qui s’y rattachent (conjoint, parents, famille). Ces derniers résultats contrastent avec des études qui suggèrent que les femmes rêvent plus souvent à leurs enjeux maritaux et familiaux durant la grossesse (Jones, 1978; Van De Castle & Kinder, 1968). Nous n’avons pas non plus obtenu de différence intergroupe en ce qui concerne les représentations de la rêveuse dans ses rôles d’amie ou de travailleuse.

L’absence de différence dans l’incorporation onirique de RMM autres que celles qui ont trait à la relation mère-bébé est surprenante, considérant la vaste littérature suggérant que le processus de réorganisation mentale durant la grossesse s’effectuerait sur l’ensemble des constellations identitaires et relationnelles de la femme (Ammaniti & Trentini, 2009; Slade et al., 2009). Principalement, on sait que les enjeux psychologiques de la grossesse entraînent une réorganisation majeure et irréversible des représentations de la femme à propos de ses figures parentales afin d’assurer le passage du rôle de fille de ses parents à celui de mère d’un enfant (Pines, 1972; Raphael-Leff, 1991; Slade et al., 2009; Stern, 1998). Les représentations de la relation conjugale deviendraient quant à elles peu à peu triangulées – la femme intégrant progressivement ses représentations du futur bébé aux fantaisies diurnes qu’elle élabore au sujet de son couple (Bürgin & von Klitzing, 1995). Enfin, le monde représentationnel de la femme enceinte se détournerait progressivement de ses investissements pour ses activités professionnelles et sociales élargies, afin de se centrer graduellement sur ses relations familiales et amicales les plus

significatives (Smith, 1999). Or, selon la présente thèse, aucun de ces remaniements représentationnels ne semble transparaître davantage dans les rêves du troisième trimestre de la grossesse. Une étude comparative effectuée auprès d’un plus petit échantillon de femmes mariées montre d’ailleurs des résultats similaires aux nôtres : les femmes enceintes rêvent plus souvent à des bébés, mais pas plus souvent à leur famille ou à leur partenaire, que les femmes non enceintes (Dagan et al., 2001).

Le fait d’avoir analysé les rêves d’un assez grand nombre de participantes, ceci tout en contrôlant statistiquement plusieurs facteurs sociodémographiques et psychologiques susceptibles d’influencer le contenu des rêves, renforce la validité interne de notre étude. Or, par la même occasion, ce contrôle statistique rigoureux pourrait aussi expliquer le fait que nous ne sommes pas parvenus à obtenir plus de différences entre nos groupes. Par exemple, conformément à l’hypothèse de la continuité, il aurait été logique de s’attendre à ce que nos participantes enceintes rêvent plus souvent à leur relation conjugale : toutes étaient en couple, ce qui n’était pas le cas des femmes non enceintes. Un examen a posteriori de nos données confirme à cet effet que les femmes enceintes rêvent plus souvent à leur relation conjugale si le statut civil n’est pas contrôlé statistiquement (t(117)=3,13, p=0,002). Nous pouvons donc en déduire que si nos participantes non enceintes avaient été toutes en couple, elles auraient rêvé probablement tout autant à leur relation conjugale que nos participantes enceintes. Il s’agit là d’un exercice statistique bien simple illustrant l’importance de neutraliser l’effet possible des variables qui ne sont pas au cœur de la recherche afin d’isoler l’effet de la variable indépendante (Robert, 1988). Dans notre cas, comme l’état psychique de la grossesse ne peut s’assimiler complètement aux facteurs contextuels qui l’accompagnent, passer outre ce contrôle statistique n’aurait fait que perpétuer les biais méthodologiques des études antérieures.

Au-delà du contrôle statistique que nous avons effectué, il est aussi possible que les enjeux psychiques des femmes enceintes entourant leurs rôles sociaux et leurs relations internalisées autres que celles qui sont liées à la future relation mère-bébé aient été travaillés et résolus plus tôt durant la grossesse. Ceci est d’autant plus probable que d’un point de vue clinique, une tâche importante à accomplir en fin de grossesse soit

justement la réconciliation de la femme avec sa propre relation mère-fille intériorisée ainsi qu’avec d’autres relations significatives (Leon, 2008; Raphael-Leff, 1991; Trad, 1991). De fait, nos résultats montrent que les facteurs ‘fille-parents’ (regroupant les représentations de la rêveuse dans son rôle de fille et celles de ses parents) et ‘membre de sa famille’ (regroupant les représentations de la rêveuse dans son rôle de membre de sa famille et celles de sa famille) sont corrélés positivement avec le nombre d’éléments morbides (c.-à-d. : sentiments dysphoriques et/ou caractéristiques négatives attribués à tout élément du rêve) chez les femmes non enceintes uniquement. Ainsi, l’incorporation onirique des représentations parentales et familiales pourrait ne plus être rattachée à des émotions dysphoriques en fin de grossesse parce qu’une réconciliation intrapsychique avec ces relations aurait été réalisée, chez nos participantes enceintes, dans les stades antérieurs de la grossesse.