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Des représentations qui influencent le déroulement des animations et la relation animateur/jeune

Le poids de ces représentations entremêlées joue nécessairement un rôle très important : selon les lieux où les professionnels doivent se rendre, leur assurance et leur aisance ne sont pas les mêmes. Les élèves des

lycées généraux parisiens seraient plus « polis » et « bien élevés », tandis que ceux des lycées professionnels ou techniques ou de CFA de banlieue sont souvent beaucoup plus « agités ». Les difficultés des animateur·trice·s à animer des interventions dans des établissements situés dans des zones défavorisées sont accrues dans la mesure où la plupart ne sont pas issus pas de ces univers sociaux.

Les stéréotypes culturels et raciaux en jeu dans les séances d'animation sont particulièrement importants.

Ce sont tout d'abord les représentations que les animateur·trice·s se font des jeunes rencontrés qui influencent le cours des animations. Ils ajustent leurs propos selon les croyances et les pratiques qu'ils·elles présupposent chez certain·e·s élèves, en utilisant comme première clé de lecture le territoire géographique d’implantation de l’établissement et la filière de la classe d’intervention. Par exemple, tel·le intervenant·e va insister sur les lois qui existent en France aujourd'hui pour protéger les femmes d'éventuels mariages forcés ou de pratiques telles que l'excision en s'adressant à des jeunes filles dont les phénotypes correspondraient aux personnes originaires du Maghreb ou d'Afrique noire ; ces exemples ne sont jamais évoqués dans les classes « blanches ». Il s'opère ainsi « la mobilisation – souvent inconsciente – de stéréotypes concernant ces jeunes filles d'origine migratoire, qui seraient par “culture” plus opprimées que toutes les autres filles de la société. » (Rollin, 2012).

À cela s’ajoute la référence à la religion (notamment à l’islam) dans les propos des jeunes qui met les professionnel·les en « difficulté » ou engendre un « malaise », si bien qu’une dynamique de « confrontation » entre

l'animateur·trice et les élèves s'instaure. Les caractéristiques sociales des animateurs·trices (l’équipe étant principalement constituée de personnes blanches, a priori non croyantes ni pratiquantes et appartenant aux classes moyennes) n’est pas sans conséquence sur leurs discours et la manière dont ceux-ci peuvent être interprétés par les jeunes. Les attentats de janvier 2015 en France ont contribué, à leur manière, à une modération des propos à l’égard de la religion.

« Je crois que j’ai changé ma manière de les aborder : je suis moins frontal, je me bloque moins sur ce qu’elles peuvent ou ils peuvent dire, j’essaye plus d’insister sur le côté les différences de sensibilités, et que je comprends que ça puisse les heurter sur certaines choses, qu’ils sont dans une construction qui est pas facile entre les messages paradoxaux de notre société et ceux de leur famille, entre les messages de la religion et de la famille et les messages envoyés par la société, Internet, le sexe de partout, etc. Et je trouve que pour eux, c’est compliqué, c’est difficile. Je leur fais vraiment comprendre ça, que c’est difficile et que je suis sensible à cette difficulté qu’ils [les jeunes] rencontrent.

- Et t’as dit que tu te bloquais moins. Avant, t’avais plus tendance à te bloquer ?

– Pas forcément à me bloquer, mais disons que j’étais peut-être plus frontal, plus radical, en leur disant : “Ecoutez, c’est bon. On est dans une école laïque. Ici, c’est obligatoire, ça fait partie du sujet. Vous prenez ce que vous avez envie de prendre ou pas”. Je travaillais moins sur la sensibilité en fait. Et je pense que c’est important en fait au final. » (Olivier, animateur, > 50 ans).

Si avant janvier 2015, cet animateur imposait le cadre républicain de la laïcité dans les séances, en occultant les injonctions contradictoires dans lesquelles grandissent les jeunes, il cherche aujourd’hui davantage à leur permettre de s’exprimer. D’autres animateurs·trices évitent pour leur part la religion. Une grande partie des animateurs·trices se sentent démuni·e·s lorsqu'ils·elles rencontrent des classes où les dogmes et préceptes religieux sont revendiqués par les élèves (par exemple, lorsque ceux-ci affirment ne pas vouloir avoir de rapports sexuels avant le mariage, ou encore ne pas pouvoir parler de sexualité car c'est la période du ramadan) :

« Si, il y a pas longtemps, j’étais dans une classe, j’ai été super en difficulté. Justement, j’ai eu un blanc parce que aussi bien les garçons que les filles, ils me tenaient un discours en gros : “Notre première fois, on la vivra au moment du mariage, et point.” Et j’ai eu du mal effectivement à les faire partir sur autre chose, et j’avais du mal à libérer la parole parce qu’en gros, ils étaient coincés. Là, j’avais envie de leur dire : “Bon, beh, je vais partir si votre première fois, c’est dans cinq ans ou dix ans, et qu’aujourd’hui, rien ne vous intéresse, vous avez aucune question...”. Effectivement, je me demandais à quoi je servais pour cette animation. » (Claude, animateur, > 50 ans.)

La description que Claude donne ici d'une animation qui s'est mal déroulée démontre dans quelle mesure l'évocation de normes religieuses par les élèves peut déstabiliser. Les valeurs défendues par les élèves en classe sont à mettre en parallèle avec les valeurs supposées de l’animateur·trice, de l’enseignant·e, susceptibles d'être immorales (c'est une “Française”) (Rollin, 2012). Les propos tenus par les élèves – en particulier ceux des lycées professionnels ou techniques et des CFA – sont à mettre en perspective avec l'image que les animateur·trice·s renvoient, c'est-à-dire celles de personnes blanches issues a priori des classes moyennes parisiennes. Les professionnel·le·s rencontré·e·s ont certes souvent à l'esprit les conditions sociales dans lesquelles vivent ces jeunes et leurs implications sur l’éventuelle violence de leurs propos, mais ils et elles ne les mettent pas en perspective par rapport à l'interaction sociale que représentent les séances d'animation.

Pour résumer

- Un travail de distanciation vis-à-vis de ses propres représentations de la vie sentimentale et sexuelle des adolescent·e·s est indispensable à réaliser avant d'intervenir auprès d'eux, au risque, sinon, de reconduire des inégalités. En effet, ces représentations s'appuient, la plupart du temps, sur des normes de genre et des stéréotypes de race ; normes qui sont particulièrement prégnantes dans les discours sur le consentement.

- La sexualité des adolescent·e·s, contrairement aux messages souvent véhiculés dans les médias et les journaux, est « assez sage » et les premiers rapports sexuels se produisent autour de 17 ans pour les filles et les garçons. La consommation de pornographie reste, quant à elle, moins importante chez eux que chez les jeunes adultes. - Il est important de mettre à distance les jeux de posture adoptés par les élèves ; les comportements de ces derniers dépendent en grande partie du cadre scolaire dans lequel prennent place les interventions ainsi que de l'interprétation qu'ils·elles se font du statut social et du rôle de l'animateur·trice.

- L'expression de « majorité sexuelle » n'est pas présente dans les textes de loi français et, surtout, l'âge de 15 ans n'est pas l'âge légal au premier rapport sexuel. C'est seulement, lorsque des rapport sexuels ont lieu en dessous de l'âge de 13 ans que, même si l'adolescent·e a donné son consentement, l'acte sexuel sera juridiquement considéré comme un viol.

- Présenter la notion de consentement à des adolescent·e·s – quelle que soit la forme – nécessite de veiller à ce que ces derniers en aient saisi le sens – le terme pouvant ne pas parler à tout le monde. De même, et afin de faire écho à la diversité et à la complexité des relations sentimentales et/ou sexuelles que les jeunes peuvent rencontrer, il semble important de ne pas seulement se focaliser sur les relations sexuelles de type pénétratives, ni uniquement sur la sexualité.

GENRE, SEXUALITÉ ET CONSENTEMENT DANS LES PRATIQUES DES