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Consentir une fois, consentir toujours ?

Si la norme tend vers une prévision et une préparation de l’activité sexuelle, la réalité des pratiques est toutefois plus nuancée. La question de l’inscription dans le temps du consentement relatif à la contraception et à la protection est complexe. Si, au cours des observations menées en classe, nombre d’animateurs·trices insistent sur le fait que le consentement peut être rediscuté par les deux partenaires, à tout moment de la relation ainsi qu’à toutes les étapes du rapport sexuel, dans les entretiens individuels réalisés comme dans les réactions entendues en classe du côté des jeunes, la réalité semble plus diversifiée. En effet, le fait d’avoir accepté tel ou tel rapport ou pratique sexuelle implique sa reconduction tacite dans les rapports suivants : « on ne peut plus reculer », « si t’es d’accord une fois, après c’est mort faut recommencer », diront d’ailleurs des filles. Il en va de même pour l’absence de préservatif : vouloir, accepter ou laisser faire un rapport sexuel sans préservatif créerait un précédent – forme d’écart à la règle – sur lequel il semble difficile de revenir, encore plus pour les filles. L’écart à la règle et à la norme du tout contraceptif est alors perçu comme une « erreur » personnelle (puisqu’elles seules ont la responsabilité de la contraception) de gestion de la contraception/protection.

On observe, à la fois dans les réactions lors des séances d’éducation à la vie affective et sexuelle et au cours des entretiens, que les filles ont toujours tendance à veiller à prendre en compte les aspirations et désirs de leur partenaire en matière de sexualité alors que ce n’est pas autant le cas pour les garçons. L’enquête CSF montrait à ce propos que tous âges confondus, « les femmes sont quatre fois plus nombreuses que les hommes à répondre avoir accepté souvent alors qu’elles n’avaient pas vraiment envie ; les hommes sont deux fois plus nombreux à affirmer qu’ils ne se sont jamais trouvé dans cette situation. […] Les femmes les plus jeunes disent en majorité que cela ne leur arrive que rarement ou jamais » (Ferrand et al., 2008, p. 362).

Pour résumer

- Les jeunes rencontrés ont tous ou presque déjà utilisé un préservatif, parce que celui-ci s’inscrit dans le script d’entrée dans la sexualité. L’utilisation du préservatif chez les jeunes apparaît beaucoup plus comme un problème pratique qui doit être géré en fonction du type de relation dans lequel on se trouve que comme une préoccupation liée à la préservation de la santé.

- Pour les garçons, consentir à l’autre se résume à accepter le préservatif, puisque par défaut ils n’en mettent pas ou cherchent à ne pas en mettre.

- Les filles assument la responsabilité contraceptive, qui est une « affaire de femmes ». Elles sont nombreuses à raconter que les garçons s’investissent peu ou difficilement, même s’ils sont acquis au principe de la contraception. C’est à elles que revient la responsabilité et la prise en charge de la contraception. Les garçons laissent à leur partenaire le soin d’adopter une méthode et d’en changer, tant qu’eux-mêmes ne sont pas remis en question. - La socialisation à la sexualité et à la contraception, et la manière dont ce thème peut être tenu à l’écart par les animateurs hommes maintient l’illusion que la contraception n’est pas et ne peut pas être une « affaire d’hommes ».

CONCLUSION

Les représentations sociales associées aux relations amoureuses et affectives des jeunes tendent à faire des disputes et des jalousies l’apanage de la jeunesse. Ces représentations sont largement partagées par les animateurs·trices et les jeunes (« c’est normal, on est jeunes, après ça va passer »). S’il est vrai que les tensions dans les couples – temporaires – auxquelles il est fait allusion sont fortes, notamment autour des enjeux de fidélité, et présentes dans un certain nombre de relations racontées par les jeunes rencontrés, ces tensions ne sont en rien spécifiques aux jeunes. Les propos des jeunes mettent en évidence la pertinence d’une approche biographique de la sexualité en mettant l’accent sur leur parcours de vie. En effet, les rencontres, relations ne sont pas présentées comme des expériences isolées les unes des autres mais on voit bien comment elles s’influencent les unes les autres, y compris dans les dimensions de la protection/contraception. Même si les jeunes rencontrés présentent leurs histoires de manière séquencée (cela a commencé avec X, puis ça s’est terminé, ensuite j’ai rencontré Y…), il y a pourtant un sens plus général porté à leur vécu et au lien qu’ils font entre les différentes expériences. La dernière relation sexuelle est vécue et analysée au regard des expériences passées, ce qui participe à sa redéfinition. Qu’elles soient subies ou choisies ces relations prennent du sens les unes par rapport aux autres, le degré de consentement et la satisfaction de la relation étant importants dans les discours. Pour celles et ceux qui ne sont pas expérimentés, la première relation sera vécue au regard des expériences racontées par leurs pairs et leurs connaissances/appréhensions personnelles.

L’enquête CSF montrait qu’« une augmentation des déclarations de rapports sexuels contraints est enregistrée dans tous les groupes d’âges ; elle apparaît plus marquée pour les rapports forcés chez les jeunes femmes de 20- 24 ans. Cela pourrait traduire un abaissement du seuil de résignation dans les générations les plus jeunes, qui ont été socialisées et sexualisées dans un contexte où les rapports entre les hommes et les femmes sont plus égalitaires que dans les générations plus anciennes. » (Bajos, Bozon, 2008). Cette hypothèse se trouve confirmée par cette enquête où en classe, lors des séances d’animation, des filles ont pu s’exprimer et/ou réagir au vu et au su de tous sur des violences subies, ou des pratiques vécues et dont elles prennent consciences publiquement comme étant des pratiques violentes. « Mais ça veut dire que je me suis fait violer ? » réagira une fille lors de l’évocation par un animateur des fellations forcées comme entrant dans le champ des condamnations pour viol. Malgré tout, et comme le montraient déjà les enquêtes ENVEFF et CSF, les propos des jeunes rencontrés dans cette enquête mettent en lumière que le dépôt de plainte suite à une violence sexuelle reste une démarche très rare, et ce d’autant plus qu’il s’agit des « petits copains ». Dans son ouvrage sur le consentement, Maryse Jaspard fait remarquer que « les générations récentes, nées alors que tous les droits des femmes étaient acquis, se séparent beaucoup plus facilement et rapidement d’un conjoint violent, cette violence étant devenue un délit fortement réprouvé. » (Jaspard, 2015, p. 113), il n’empêche que les relations asymétriques, symptomatiques d’un comportement de domination au sein des couples, même jeunes, perdurent. Si aujourd’hui l’accord du

partenaire est une source de légitimité – le fait de passer outre son refus plonge de fait le rapport sexuel dans