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La psychologisation du sexuel : une porte ouverte à la naturalisation des comportements

Les formations universitaires et/ou trajectoires professionnelles des membres de l'équipe d'animation sont très différentes (voir la présentation du corpus des enquêtés), néanmoins, nombreux sont ceux qui puisent leurs

savoirs et leurs connaissances dans des discours psychologiques et/ou psychanalytiques.

« Ne venant pas du milieu ni médical, ni psycho, ni rien du tout, par moment, je me trouvais par rapport aux autres animateurs – s’il y avait comparaison à avoir – un peu en décalage. Ne serait-ce qu’en réunion, en

formation, il y avait tout un vocabulaire, un type de raisonnement que moi j’avais pas du tout, une culture que je n’avais pas. » (Solange, 30-50 ans, animatrice, entretien individuel.)

Parmi les dix professionnel·le·s interviewé·e·s, trois sont familier·ère·s de la psychologie en raison de leur formation universitaire, mais ils sont une majorité à avoir des affinités avec les clés de lecture qu’offrent la psychologie et/ou la psychanalyse, sans pour autant y avoir été formés. Ils s’inscrivent dans la continuité de l'ouvrage de Nicole Athéa pour qui il faut « accompagner le développement psycho-sexuel » des adolescents18. Or, sous cet angle,

l'apprentissage de la sexualité est pensé comme devant se réaliser dans le cadre de l'altérité. Cette « psychologisation du sexuel va de pair avec une désociologisation de la sexualité » (Gelly, 2013, p. 83). Les démarches héritées de la psychanalyse mettent l’accent sur l’existence d’un inconscient sexuel, occultant totalement l’existence d’un « inconscient social à l’œuvre dans notre activité sexuelle » (Bozon, 2009, p. 6-7).

L’orientation psychologique de l’éducation à la sexualité naturalise et essentialise les postures des hommes et des femmes dans la sexualité. La sexualité est donc entendue comme une sphère autonome, séparée du

monde social : les individus ne seraient pas socialisés à la sexualité. Ces processus de naturalisation et d'essentialisation de la sexualité se retrouvent en animation :

« L’animatrice aux garçons : "vous avez une sexualité pénétrante et c'est très important car l'on ne peut pas rentrer dans le corps de quelqu'un sans son accord", "comment ça s'appelle?". » (Journal de terrain, observation en classe)

Parce que l'homme pénètre (ses explications en termes de sexualité ne s'appliquent, en tout état de cause, qu'à des relations hétérosexuelles), c'est à lui de s'assurer du consentement de sa partenaire. Autrement dit, parce qu'il pénètre, il est seul à l'origine de l'acte sexuel. À l’inverse, la femme ne peut avoir qu'une posture passive et n'a donc jamais à se questionner sur le consentement de son partenaire ; ce dernier est nécessairement toujours consentant. Cette même animatrice insiste d’ailleurs sur ce point au cours de l’entretien, en réponse à nos questions :

– Et de manière beaucoup plus générale, pour toi, il y a quand même de grosses différences entre filles et garçons à l’adolescence dans les comportements sur la sexualité ?

– Oh oui, attends, c’est pas la même chose. Déjà, rappelons-nous que – là, c’est de la sexo – la sexualité, c’est un acte pénétrant pour un garçon. Pour la fille, je vais dire que c’est un acte accueillant.

– Donc, c’est pas les mêmes postures du coup ?

– Beh non, c’est pas la même chose si tu pénètres quelqu’un ou si tu l’accueilles. Si tu vas chez quelqu’un, c’est pas la même chose que s’il vient chez toi, même dans la vie. » (Entretien avec cette animatrice après plusieurs séances observées.)

La naturalisation est ici à son paroxysme : ce sont les corps et le fonctionnement reproductif et biologique qui expliquent les différentes places des hommes et des femmes dans la sexualité.

18Clothilde, animatrice de l’association enquêtée, insiste en entretien sur le fait que le développement psycho-sexuel des filles et des garçons ne se réalise pas à la même vitesse. Les filles étant « matures » plus rapidement que les garçons, qui sont plus dans un « fantasme peut-être relationnel et sentimental ».

Les anima·teurs·trices plus distanciées à l'égard des normes de genre, ont pour la plupart, suivi des parcours bien plus éloignés de la psychologie. Ainsi, deux anima·teurs·trices viennent des mouvements d'éducation

populaire et des sciences de l'éducation ; une animatrice a suivi un parcours scientifique et s'est ensuite professionnalisée dans la prévention ; deux autres viennent respectivement de l'hôtellerie et de l'architecture/sculpture. Ce sont eux.elles qui, en entretien, vont témoigner d'une forte volonté de déconstruire certains stéréotypes, bien qu’elles ne se considèrent pas toujours « suffisamment équipées » ou « armées » pour cela.

« Et puis lorsque c’est vraiment très fort, j’essaye de déconstruire les stéréotypes en disant : “En termes de sentiments, en termes d’émotions, comment est-ce qu’on est fait humainement ? Beh oui, on est pareil. Les garçons aussi, on éprouve de la tristesse, de la joie, de l’amour, des pulsions sexuelles comme les filles” » (Entretien, Émilie, animatrice, entretien individuel.)

Comme Philippe qui explique que les garçons peuvent ne pas avoir toujours envie de relations sexuelles et peuvent ne pas sentir prêts, même si, dans le même temps, en séance, il ne parle de consentement qu’à propos des femmes.

« Les stéréotypes sont toujours très très présents, sur le garçon animal sexuel et pulsionnel, et la fille, elle, qui a besoin de ressentir, d’éprouver et d’exprimer des sentiments. […] Et le rôle de l’animateur, c’est justement d’essayer de faire un peu une contre-argumentation pour essayer d’enrichir leur réflexion et leurs représentations, pour essayer de voir si on peut voir les choses autrement. » (Entretien Philippe, animateur, entretien individuel.)

Au delà de l'influence de la psychologie, quelques animateurs·trices trouvent dans le féminisme une grille de

lecture du monde social ainsi qu'un programme pour le changer, bien que cette volonté de participer à l'émancipation des femmes s'accompagne d'une reconduction des inégalités de genre. L’existence de rapports

de pouvoir et d'une hiérarchie entre les hommes et les femmes est constatée par les professionnel·le·s rencontré·e·s, mais la dimension socialement construite de la masculinité et de la féminité semble leur échapper. Par exemple, dans le cadre des séances en milieu scolaire, ils·elles ne présentent les garçons que dans

des rôles de prédateurs sexuels, d’où le fait qu’ils·elles se concentrent si exclusivement sur les filles (afin qu'elles puissent s'affirmer, avoir une part de plaisir et refuser un acte sexuel). Revient également l’idée que les garçons ne semblent pas pouvoir se construire en dehors d’une sexualité active.

« Je pense que tout le monde a vécu ce moment où on se plante un peu dans les premières relations sexuelles, où on est pas clair. En tant que mec, on peut être à un moment un peu agresseur, un peu violent ; on peut être un peu à côté de la plaque. En tant que fille, on peut être un peu plus vulnérable, subir. » (Olivier, animateur, entretien individuel.)

Nous avons donc pu constater qu’hommes et femmes ne sont pas pensés comme pouvant avoir des comportements similaires dans la sexualité. De tels discours, dans le cadre de la prévention sur la sexualité auprès d'adolescent·e·s peuvent aboutir à des résultats opposés aux intérêts défendus par les professionnel·le·s, en défaveur des femmes. Le discours de Denise est en ce sens particulièrement révélateur :

« Et sur le consentement, côté garçons, je leur dis : “Attendez, elle vous a dit qu’elle était pas prête. Mais bon, vous, l’ambiance monte, vous n’en pouvez plus, puis elle est si craquante… Et là, vous la bousculez un peu. Attention, j’ai pas dit que vous étiez des brutes… Est-ce que vous pensez que vous allez y gagner ? Elle va être comment ? Comme ça, vous pensez que ça va être bien ?” Ils me disent : “Ah bah non…”. Je dis : “Voilà.

Donc il faut qu’ils soient tous les deux d’accord, qu’elle soit d’accord, mais pleinement d’accord” ». (Denise, animatrice, entretien individuel.)

Les propos de Denise montrent que les garçons sont invités à faire preuve d'égoïsme : ils ne devraient pas forcer les filles à réaliser un acte sexuel car l'acte perdait en qualité. Plutôt que d'engager à prendre en considération le partenaire – c'est à dire la femme puisque le cadre demeure celui de l'hétérosexualité –, l'animatrice invite les garçons à réfléchir aux conditions idéales de leurs rapports sexuels.

Pour résumer

- Même s’il existe bien un guide interne de l’animation, il n’existe pas de pratique d’animation homogène et systématique sur le terrain. Ce guide est principalement structuré autour des pratiques d’animation et ne permet pas l’appropriation de concepts communs qui n’y sont pas définis (celui de « genre » est particulièrement révélateur d’une utilisation variable où chacun y range ce qu’il souhaite).

- Qu'ils soient hommes ou femmes, les animateurs·trices rencontrés reconduisent toutes et tous, pour la plupart, des stéréotypes de genre. C’est du côté des formations initiales, des bagages universitaires et/ou professionnels et/ou militants que semble s’expliquer la diversité des représentations genrées et de stéréotypes. Ainsi, l’orientation psychologique de l’éducation à la sexualité a en effet tendance à naturaliser et essentialiser les postures des hommes et des femmes dans la sexualité.

Du consentement au consentement sexuel, retour sur une notion à géométrie