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CHAPITRE 6 – LA DISCUSSION

6.1 LE PARALLÈLE ENTRE LA THÉORIE ET LA PRATIQUE : UN REGARD

6.1.1 LA REPRÉSENTATION DU TAUX D’AGRESSION SEXUELLE AU SEIN DES

actuel des connaissances en matière de prévention de l’agression sexuelle au sein des communautés autochtones. Pour rappel, de 25 à 50 % des personnes autochtones auraient été victimes d’agression sexuelle durant leur enfance (Collin-Vézina et al., 2009). Cette statistique ne distingue pas le lieu de l’agression, c’est-à-dire en milieu urbain ou en communautés autochtones, et concerne uniquement les personnes ayant dévoilé ou dénoncé l’agression sexuelle. Lors de la collecte de données, il est apparu que la notion de sexualité, au-delà des agressions sexuelles, était un sujet extrêmement tabou tout comme le mentionne Morin et Lafortune (2008) dans son étude. Il semble régner une certaine omerta autour de ce sujet provoquant un frein au dévoilement et à la dénonciation de la violence sexuelle. Plusieurs hypothèses peuvent être émises sur cette omerta. La proximité géographique avec l’agresseur·e, les sentiments de honte ou de peur ou encore le fait de ne pas vouloir créer de bouleversements intracommunautaires seraient des explications possibles au silence des victimes. La place centrale réservée au bien-être collectif amènerait les Autochtones à gérer leur agression différemment des victimes vivant en milieu urbain.

Pour faciliter la compréhension et la représentation que chacun peut avoir des communautés autochtones, il est possible de les comparer à certains quartiers de villes en région du Québec dans lesquels les accès aux services et aux ressources sont limités. À titre d’exemple, la communauté de Manawan recense un dépanneur-marché, un centre de services sociaux et de santé, un centre de la petite enfance et une école pour l’entièreté de la communauté. De surcroit, ces territoires sont peuplés majoritairement par des personnes qui se connaissent depuis des décennies. Ces détails permettent de mieux illustrer un

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contexte de vie en communauté. Selon Statistique Canada (2012), dans 44 % des affaires criminelles touchant des Autochtones, l’auteur présumé était une connaissance et dans 38 % des cas il s’agissait d’un membre de la famille. Il existe un réel enjeu collectif dans une volonté de dénonciation, d’autant plus lorsque l’agression est intrafamiliale. Les membres vont, semblent-ils, favoriser le bien-être collectif quitte à délaisser les problématiques personnelles. La dénonciation et le dévoilement viendraient créer un déséquilibre au sein des communautés. On comprend alors que l’esprit communautaire semble régner sur la primauté individuelle.

Comme indiqué dans le chapitre 2, le silence se brise lorsque des évènements touchent plusieurs membres dans la communauté (p.-ex : les vagues de suicide) (Morin et Lafortune, 2008). Les tragédies individuelles, lorsqu’elles se multiplient, viennent toucher la communauté et deviennent alors révélatrices d’une problématique sociale. Il semble que les discussions sur les évènements traumatiques apparaissent comme une pratique difficile pour les membres des communautés d’autant plus lorsque la confidentialité des services sociaux et de santé n’est pas respectée. Cet élément a longtemps été un problème qui venait entraver le processus de dévoilement et de dénonciation (Morin et Lafortune, 2008; Muckle et Dion, 2008). Lors de la formation, quelques participant·e·s ont nommé ce facteur en expliquant que le lien de confiance avait de la difficulté à être restauré entre les membres et les professionnel.le.s du milieu. L’agression sexuelle engendre une possibilité plus accrue de développer des troubles mentaux comme une dépression majeure ou un syndrome post-traumatique (Beitchmann et al., 1992). Le traumatisme provoqué par l’agression sexuelle peut être intensifié par la stigmatisation des membres de la communauté, notamment lorsque le secret et la confidentialité ne sont pas respectés par les

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intervenant·e·s. Lors des formations, il apparait donc important d’insister sur le caractère confidentiel des interventions, tout en soulignant les obligations de lever la confidentialité lorsque l’enfant dévoile des violences sexuelles ou physiques. Une autre dimension est également à prendre en compte en milieu autochtone, il s’agit des relations entre les Autochtones et les allochtones. Selon Bergeron et al. (2015), il existe un souci de confidentialité dans les communautés et une méfiance des Autochtones envers les services publics, qui peut freiner certaines personnes dans leur dévoilement d’agression sexuelle. La présence de professionnel·le·s allochtones pourrait donc apporter une entrave supplémentaire à l’accompagnement de personnes victimes d’agression sexuelle. En effet, les relations entre les allochtones et les Autochtones sont teintées par le passé colonisateur (Conseil Canadien de la Santé, 2012), mais également par la différence culturelle existante entre les deux groupes. Toutefois, il est essentiel de souligner que certaines personnes peuvent se sentir davantage à l’aise de faire un dévoilement à une personne qui ne vient pas de la communauté, en ayant justement par l’impression que la confidentialité sera davantage préservée. Les participant·e·s à la formation ont indiqué que le manque de connaissances de la culture autochtone des allochtones créait un réel biais dans la création du lien de confiance.

Tous ces éléments peuvent donc remettre en question les statistiques actuelles concernant les agressions sexuelles commises envers les Autochtones durant leur enfance. La peur de représailles, le manque de confiance envers les professionnel·le·s des services sociaux et de santé, la primauté de la communauté sur les problématiques individuelles sont des facteurs jouant sur le pouvoir de dévoilement et de dénonciation de victimes d’agression sexuelle. En effet, lors de la collecte de données, plusieurs participant·e·s ont

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indiqué que les taux de dévoilement et de dénonciation actuelles ne représentaient pas la réalité des communautés. Toutefois, il est aussi intéressant de se demander si le processus de dévoilement ou de dénonciation ne provient pas d’une autre réalité occidentale dans lequel les réponses face à ces crimes sont associées à un système punitif, carcéral ou à une intervention des services de la DPJ. Ainsi, ce fonctionnement ne coïnciderait pas aux valeurs et aux visions du monde atikamekw. En ce sens, la formation au programme a permis de contribuer aux connaissances au regard de la violence sexuelle, tel que préconisé dans les meilleures pratiques en matière de prévention (OMS, 2006).