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CHAPITRE 6 – LA DISCUSSION

6.2 UN RETOUR SUR LA MISE EN PLACE DU PROGRAMME LANTERNE|AWACIC

6.2.2 LES BARRIÈRES D’IMPLANTATION D’UN PROGRAMME DE PRÉVENTION

6.2.2.4 LES ENJEUX LIÉS AU FINANCEMENT

La création et l’application de ce type programme de formation nécessitent un budget important. Comme dans tout projet, certains choix doivent être réalisés, mais il est important de prendre en considération que ceux-ci peuvent avoir un impact sur les effets de la formation. Au début du projet mené par le CEMV, les parents des deux communautés ciblées devaient également participer à une formation. Toutefois, par manque de temps (échéance du projet, objectifs non réalisables, rapport à produire pour les bailleurs de fonds) et de financement, il a été décidé de ne pas former les parents ce qui vient à l’encontre des recommandations émises dans les programmes de prévention de Kenny (2009) et Brown (2017). Cette tâche a, semble-t-elle, été déléguée à certain·e·s professionnel·le·s ayant participé à une formation supplémentaire.20 Toutefois, cela impute une responsabilité importante aux professionnel·le·s qui est celle du transfert de connaissances au sein des communautés. Lors des entrevues téléphoniques (pour rappel deux mois après la formation), il semblait difficile pour la moitié des participant·e·s de se souvenir du sujet de la formation tandis que d’autres n’avaient pas eu le temps de mettre en pratique les connaissances acquises. Ces constats mettent en exergue l’utopie de certains objectifs du programme Lanterne|Awacic, notamment en ce qui a trait au rôle et aux responsabilités des personnes Lanterne. La majorité des participant·e·s a évoqué le bénéfice d’un éventuel rappel de la formation afin de mieux maîtriser le contenu et de le diffuser correctement à l’ensemble des communautés. Un deuxième volet de formation aiderait peut-être les professionnel·le·s à accroître davantage leurs connaissances et leurs

20 Intitulée personne lanterne : une personne par communauté faisant le lien avec le CEVM et ayant suivi une demi-journée de formation supplémentaire. Les personnes Lanterne ont assisté à une demi-journée de formation supplémentaire qui n’a pas fait l’objet d’une évaluation.

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attitudes en lien avec la prévention de la violence sexuelle et la promotion de l’éducation à la sexualité. La formation, en une seule journée, est peut-être une réponse aux augmentations modérées des connaissances, des croyances et du sentiment d’autoefficacité. Cela peut aussi expliquer en partie pourquoi il était difficile pour les personnes de répondre aux questions concernant ces mêmes items lors des appels téléphoniques. On peut aussi se questionner sur les impacts d’implantation et de la poursuite d’un programme. En effet, le programme Wigobisan (1999) a été implanté pendant plus de dix ans au Lac Simon et a laissé la communauté autochtone en grande détresse lors de sa fermeture. Ainsi, il apparait important de mesurer les conséquences d’arrêt d’un programme et de palier les éventuels effets négatifs.

À ce jour, aucun retour en communauté atikamekw n’est prévu dans les prochains mois. Ainsi, il est intéressant de se questionner sur la façon de former les membres des communautés. En effet, la formation donnée s’est déroulée sur le temps d’une journée et a imposé un rythme assez soutenu avec un contenu très condensé. La question d’un rappel de formation n’a pas été prévue, ce qui remet en question le principe de la formation et des effets désirés sur le moyen terme. Ainsi, les probabilités d’utilisation des connaissances s’amenuisent avec le temps. Dans la figure n°1 portant sur le processus de transfert de connaissances, il est indiqué que la mise en place des interventions se doit d’être suivie par la surveillance de l’utilisation des connaissances (Graham et al., 2006). En soi, la formation ne suffit pas et elle ne peut être l’apogée du projet. Il est essentiel d’aller vérifier la qualité d’implantation et d’observer les effets sur le moyen et le long terme du programme. Le non-respect de cette pratique tend à reproduire des comportements colonisateurs dans lesquels les allochtones soumettent des connaissances à un milieu autochtone sans se

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soucier par la suite des répercussions positives ou négatives. Au regard des précédents éléments de la discussion, l’implication les communautés en amont (p.-ex : dans la préparation, l’adaptation de la formation), du projet n’est plus à remettre en question. Cependant, celle-ci devrait également être réalisé en aval notamment dans les étapes subséquentes (p.-ex : prévoir la manière dont ils souhaitent que la formation soit pérennisée dans le temps, les moyens, les personnes responsables). Il est également important de comprendre que les projets de recherche en milieu autochtone bénéficient à l’heure actuelle d’une multitude de financements puisqu’ils apparaissent comme une priorité gouvernementale. Dans le cadre des programmes de prévention au sein de milieux autochtones, les formations permettent de poser des fondations. Toutefois, encore faut-il que celles-ci soient entretenues par la suite. Parfois, le manque de financement marque la fin d’un programme même si d’autres fructifications auraient pu être apportées afin de maintenir les effets de celui-ci. Au-delà du financement, certains programmes s’arrêtent brutalement parce que la finalité du projet fut atteinte par les organismes en charge. Toutefois, il semble y avoir une dissociation entre les idées de finalité portées par un organisme et une sensation de projet inachevé, voire inabouti, pour les communautés. On peut alors se questionner sur l’origine du problème : est-ce que les plans du projet devraient inclure plus de temps d’évaluation ou plusieurs temps de formation ou encore est-ce que les bailleurs de fonds ne devraient pas être plus souples quant à la durée des projets pour qu’ils puissent s’étendre sur le long terme ? Les enjeux liés au financement apparaissent comme une réelle barrière à l’implantation du projet.

La formation au Programme Lanterne|Awacic a été conçue avec des objectifs favorisant le mieux-être collectif tout en prenant le risque de réveiller des traumatismes

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passés. Bien que la prévention de la violence sexuelle reste un sujet assez délicat notamment pour les communautés autochtones, un lien de confiance a réussi à s’opérer entre les animatrices et les professionnel·le·s. Ces questionnements factuels sont également juxtaposés à la relation de confiance qui doit s’entretenir entre la population autochtone et l’équipe de CEMV. L’idée de déposer un savoir unique, et d’attendre que les communautés reproduisent ce qui leur a été démontré reste tout de même questionnable puisque cela remet en question les principes de sécurisation culturelle tels que présentés par Lindsey et Lindsey (2016) et Chadna et al. (2019).