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Cohérence à un électron

2.4 Représenter la cohérence

2.4.2 Représentation en fréquence

Définition

La représentation fréquentielle (ou énergétique) de la cohérence est définie par une double transformée de Fourier(11)de sa représentation temporelle,

˜ G(e)(ω|ω) = v2 F ¨ +∞ −∞ dt dtG(e)(t|t) ei(ωt−ωt) . (2.79) La fonction de cohérenceG˜(e) dans le domaine des énergies est homogène à une longueur(12). En termes d’opérateurs, ˜ G(e)(ω|ω) = vF c) c(ω) ρ, (2.80)

où cet c sont les opérateurs de création et d’annihilation d’électrons dans le domaine des énergies, définis comme indiqué au paragraphe 2.3.1, page 47, à partir de la transformée de Fourier des opérateurs ψ et ψ par c(ω) = vF ˜ ψ(ω) . (2.81)

Bien entendu, il est possible de procéder à une rotation dans l’espace des fréquences en posant ¯ω = ω+ ω

2 et Ω = ω − ω

(2.82)

Ce faisant, ¯ω est la variable conjuguée à la différence des temps τ et Ω est la variable conjuguée au temps moyen ¯t, ˜ G(e)(¯ω, Ω) = v2 F ¨ +∞ −∞ d¯tdτ G(e)(¯t, τ) ei(¯ωτ+Ω¯t) . (2.83) En terme de ces variables tournées, la cohérence dans le domaine des énergies prise en Ω = 0 donne accès au nombre d’occupation électronique moyen f de l’état quantique du fluide électronique à l’énergie ¯ω.

Un protocole de tomographie quantique permettant de mesurer la fonction de cohérence électronique dans le domaine des énergies a été proposée par C. Grenier et al. [76, 78]. Ce protocole repose sur des interférences à deux électrons sur un contact ponctuel quantique, et sera discuté au paragraphe 4.3 traitant de ces interférences. Il est moins sensible aux effets de décohérence que les mesures par l’intermédiaire d’un MZI, ou du moins ceux-ci sont plus simples à prendre en compte, et repose sur des mesures de bruit à fréquence nulle un peu plus faciles à mettre en œuvre. Cependant, obtenir une bonne résolution sur la cohérence mesurée peut demander de multiples mesures et le protocole peut alors devenir particulièrement lourd. Indiquons pour finir qu’un protocole tout à fait analogue a été mis en œuvre très récemment, non pas dans les canaux de bord de l’effet Hall mais dans un gaz d’électrons bidimensionnel par T. Jullien et al. [100].

Accès à la nature des excitations monoélectroniques

Le plan des énergies peut être découpé en quatre quadrants qui donnent accès à la nature des excitations du fluide électronique véhiculant l’état quantique. On peut comprendre sur l’exemple de la paire électron–trou la façon dont l’espace de Fourier se décompose. Sur cet exemple, une double transformation de Fourier de l’équation (2.76), page 55, donne directement

∆G˜(e)(ω|ω) = −ϕh(ω) ϕ

h) + ϕe(ω) ϕ

e) . (2.84)

(11). Les conventions de transformation de Fourier sont définies Annexe A.3, page 184.

(12). Ce choix de dimension correspond à celui de la thèse de C. Grenier [76], mais diffère de celui adopté dans les articles associés [51, 78] où la vitesse de Fermi n’apparaît pas dans la définition.

L’électron ne contribue à la cohérence en énergie que dans le quadrant (ω ≥ 0, ω ≥0) : il s’agit du quadrant associé aux excitations de type électron. Le trou ne contribue quant à lui que dans le quadrant (ω ≤ 0, ω0), qui est le quadrant des excitations de type trou.

Quid des deux autres quadrants ? Une paire électron–trou comme celle envisagée ici n’y donne aucune contribution à la cohérence. Cela peut se voir comme une conséquence de l’inégalité de Cauchy-Schwartz, équation (2.49), page 46. Les excitations qui contribuent à l’excès de cohérence dans ces quadrants ne sont ni purement de type électron, ni purement de type trou, mais sont une superposition cohérente d’électrons et de trous. Le quadrant est donc attribué à la cohérence électron–trou. Le prototype d’excitation contribuant à cette cohérence serait

coh⟩= √1 2

(

l1 + ψ[ϕh] ψe])

|F ⟩ . (2.85)

Cette décomposition du plan des fréquences est résumée sur la figure 2.8. Elle permet de classifier les excitations d’un fluide électronique : connaissant l’excès de cohérence en énergie porté par un état électronique, on peut en déduire la nature des excitations le véhiculant.

ω ω¯ω (e) (h) (e/h) (e/h)

Fig. 2.8 – Décomposition des contributions à la cohérence dans le plan des fréquences. Le plan des fréquences est découpé en quatre quadrants : un quadrant (e) où contribuent les excitations de type électron, un quadrant (h) où contribuent les excitations de type trou et deux quadrants (e/h) qui mettent en jeu les cohérences électron-trou.

L’inégalité de Cauchy-Schwartz obtenue équation (2.49), page 46, apporte ici une information intéressante sur l’existence de cohérences. Dans la représentation énergétique, elle s’écrit

G˜(e)(ω|ω) 2 ≤G˜(e)(ω|ω)G˜(e)) (2.86) À température nulle la mer de Fermi ne contribue que dans le quadrant des trous : toute contri-bution dans le quadrant (e) ne peut donc venir que de la cohérence en excès. Par conséquent, si l’excès de cohérence électronique ne présente pas de contribution dans le quadrant (e), il ne peut pas en présenter dans le quadrant (e/h). Un raisonnement du même type appliqué à la cohérence des trous permet d’établir la même contrainte sur le quadrant (h). En d’autres termes, des co-hérences électron–trou s’accompagnent forcément d’une contribution de l’excès de cohérence de type électron et de type trou.

Cohérence en énergie d’un état stationnaire

Représenter l’excès de cohérence dans le domaine des énergies est également particulièrement adapté pour décrire la cohérence des états stationnaires. Par définition, la cohérence électronique associée à de tels états est invariante sous une translation simultanée des deux temps t et t par une même quantité. Par conséquent, elle ne dépend pas de la variable ¯t, mais seulement de la

variable τ. On en déduit directement que sa représentation en énergie ne dépend que de ¯ω et est singulière en Ω. Ainsi, elle s’écrit

˜

G(e)

stat(¯ω, Ω) =

vF

f(¯ω) δ(Ω) , (2.87)

où f(¯ω) est le nombre d’occupation électronique à l’énergie ℏ¯ω dans l’état stationnaire. Nous avons déjà établi et utilisé cette propriété à deux reprises, d’abord pour modéliser la fonction de réponse d’un détecteur stationnaire au paragraphe 2.2.3, page 42, puis pour calculer la fonction de cohérence de la mer de Fermi au paragraphe 2.3.1, page 47.

Exemples

À titre illustratif, considérons les mêmes paires qu’à la section 2.3.4. La transformée de Fourier des paquets d’ondes mis en jeu vaut

˜

ϕε(ω) = −i2 vF τeΘ(εω) e−εωτe . (2.88)

où ε = 1 pour le paquet d’ondes leviton électronique défini équation (2.68), page 51, et ε = −1 pour le paquet d’ondes de type trou associé défini équation (2.77), page 55. Si le centre du paquet est translaté dans le domaine temporel d’une quantité ∆t, il est modulé dans le domaine des fréquences par un facteur ei ω ∆t. La fonction de cohérence dans le domaine des énergies est représentée figures 2.9 et 2.10. −4 −2 0 2 4 Ω τe −4 −2 0 2 4 ¯ω τe 0.000 0.998 1.995 2.993 3.990 (a) ∆t/τe= 20. −4 −2 0 2 4 Ω τe −4 −2 0 2 4 ¯ω τe 0.000 1.325 2.650 3.975 5.300 (b) ∆t/τe= 2.

Fig. 2.9 – Excès de cohérence dans le domaine des énergies d’une paire d’électrons. On représente

∆G(e)(¯ω, Ω)

pour une paire de levitons n = 1 décalés d’une quantité ∆t. Des franges d’interférence de période 1/∆t sont visibles, elles sont dues au recouvrement.

Ainsi, représenter la cohérence dans le domaine des énergies est bien adapté pour accéder à la nature des excitations. En revanche, l’accès à la dynamique de passage des excitations est malaisé, puisque l’information sur celle-ci est masquée dans la dépendance en Ω de la phase de la fonction de cohérence.

2.4.3 Représentation de Wigner

Intérêt et définition

Compte tenu des discussions précédentes, représenter la fonction de cohérence en combinant les avantages de la représentation en temps (accès à la dynamique du système) et ceux de la représentation en énergie (accès à la nature des excitations) serait particulièrement intéressant. Pour ce faire, il convient de privilégier les variables ¯t et ¯ω dans la représentation. On introduit

−4 −2 0 2 4 Ω τe −4 −2 0 2 4 ¯ω τe 0.000 0.492 0.985 1.478 1.970 (a) ∆t/τe= 20. −4 −2 0 2 4 Ω τe −4 −2 0 2 4 ¯ω τe 0.000 0.492 0.985 1.478 1.970 (b) ∆t/τe= 2.

Fig. 2.10 – Excès de cohérence dans le domaine des énergies d’une paire électron-trou. On représente

∆G(e)(¯ω, Ω)

pour une paire électron-trou dans des fonctions d’onde leviton n = 1 et n = −1 séparée d’une quantité ∆t. Comme le décalage dans le domaine temporel se traduit seulement par une modulation dans le domaine des énergies et que les deux paquets sont sans recouvrement quel que soit le décalage ∆t, empêchant tout effet d’interférence, les deux figures sont identiques.

donc une nouvelle représentation de la fonction de cohérence sous la forme W(e)(¯t, ¯ω) = vF ˆ +∞ −∞ dτ G(e)(¯t, τ) ei¯ωτ = ˆ +∞ −∞ dΩ 2π vF G˜(e)(¯ω, Ω) eiΩ¯t. (2.89) Cette représentation définit la fonction de Wigner électronique [51], qui est une fonction sans dimension qui caractérise l’état quantique du fluide électronique. Grâce à l’hermiticité de la fonction de cohérence, équation (2.45), page 45, la fonction de Wigner a la propriété remarquable d’être à valeurs réelles.

La dénomination vient de l’analogie formelle avec la fonction de Wigner de la mécanique quantique « historique ». Eugene Wigner a introduit en 1932 [179] la fonction qui porte aujour-d’hui son nom afin de relier la mécanique quantique à la mécanique analytique. En mécanique classique, une particule possède une position et une impulsion bien définies, décrites statistique-ment par une distribution de probabilité sur l’espace des phases. Néanmoins, cette image n’est plus valable en mécanique quantique, où le principe d’Heisenberg empêche une particule d’être parfaitement localisée. La fonction de Wigner étend alors la notion de distribution de probabilité classique à un cadre quantique. Il s’agit d’une fonction de distribution sur l’espace des phases, à valeurs réelles, dont l’intégration sur les positions (respectivement les impulsions) donne accès à la distribution de probabilité des impulsions (respectivement des positions). La fonction de Wi-gner est ainsi normalisée. Néanmoins, contrairement à une distribution de probabilité classique, elle peut prendre des valeurs négatives. Formellement, la fonction de Wigner d’une particule quantique dans un état stationnaire décrit par une fonction d’onde ψ(x) est définie par Wigner lui-même comme W(x, p) = 1 ℏ ˆ +∞ −∞ dX ψ(x+X2 )ψ ( x −X 2 ) e2iπpX/ℏ . (2.90) La décomposition en contribution de la mer de Fermi et contribution d’excès est bien sûr toujours valable concernant la fonction de Wigner. L’analogie entre la fonction de Wigner en po-sition et impulsion et la fonction de Wigner électronique est particulièrement visible sur l’exemple de l’excès de cohérence d’un paquet d’onde électronique cohérent ϕ, présenté paragraphe 2.3.3,

page 49. Dans ce cas ∆G(e)(t|t) = ϕ(t) ϕ(t), ce qui donne la fonction de Wigner en excès sous la forme ∆W(e)(¯t, ¯ω) = vF ˆ +∞ −∞ dτ ϕ(¯t+τ2)ϕ ( ¯t− τ 2 ) ei¯ωτ . (2.91)

Il n’existe à l’heure actuelle aucun protocole permettant d’accéder à la mesure de la valeur en un point (¯t, ¯ω) de la fonction de Wigner dans un conducteur cohérent. De telles mesures directes ont été réalisées dans le cadre d’expériences d’électrodynamique quantique en cavité [18, 112], mais elles s’appuient sur la mesure de la parité du nombre de photons présents dans la cavité, qui est une quantité sur l’espace des états à une particule(13)dont l’équivalent n’est à notre connais-sance pas accessible en optique quantique électronique. Un protocole de reconstruction d’une fonction de Wigner électronique inconnue par comparaison avec un jeu de fonctions de Wigner connues sera présenté au chapitre 4 sur l’interférométrie. Ce protocole repose sur des interférences à deux électrons sur un contact ponctuel quantique, et constitue une variante du protocole de tomographie précédemment mentionné. Il en a donc les mêmes avantages et inconvénients.

Notons que la notion de fonction de Wigner a connu un écho dans le domaine du traitement du signal, puisqu’elle donne accès à une représentation temps-fréquence d’un signal quelconque. On parle dans ce cadre de transformation de Wigner-Ville en hommage à Jean Ville, qui a été le premier à comprendre l’intérêt d’une telle transformation au delà du lien entre mécanique statistique et mécanique quantique [175].

Distributions marginales

Intégrer la fonction de Wigner électronique sur l’une des deux variables ¯t ou ¯ω permet d’ac-céder à des informations physiquement pertinentes sur le comportement du système vis-à-vis de l’autre variable.

L’intégration sur les énergies ¯ω de la fonction de Wigner en excès donne un accès direct à l’excès de courant moyen (au sens d’une moyenne quantique) résolu en temps issu de la source, ce courant étant exprimé en unité de charge électrique,

ˆ +∞ −∞ d¯ω ∆W(e)(¯t, ¯ω) = 1 −ei(¯t) . (2.92)

Réciproquement, la moyenne de la fonction de Wigner totale sur le temps ¯t donne accès au nombre moyen d’occupation électronique à l’énergie ℏ¯ω,

lim T →∞ 1 T ˆ +T/2 −T /2 d¯tW(e)(¯t, ¯ω) = f(¯ω) . (2.93) Interprétation probabiliste

Compte tenu des remarques précédentes, une question naturelle à ce stade est celle de l’in-terprétation physique de la fonction de Wigner : s’agit-il d’un nombre d’occupation électronique dépendant du temps ? Cela donnerait une interprétation probabiliste classique à la fonction de Wigner électronique. Pour que ce soit le cas, il faudrait qu’à tout instant et pour toute énergie la fonction de Wigner soit positive

W(e)(¯t, ¯ω) ≥ 0 . (2.94)

En outre, il est également possible de définir une fonction de Wigner de type trou, à partir de la fonction de cohérence de type trou définie au paragraphe 2.2.4, page 44. Si l’interprétation classique existe, elle doit être valide également pour les trous, et la même inégalité doit donc (13). Il ne s’agit donc pas de compter directement le nombre total de photons et de vérifier si c’est un multiple de 2 !

s’appliquer à la fonction de Wigner de type trou. Néanmoins, l’équation (2.42), page 45, indique que les cohérences des deux types sont reliées, ce qui se traduit en termes de fonction de Wigner par

W(h)(¯t, ¯ω) = 1 − W(e)(¯t, −¯ω) . (2.95) Par conséquent, pour pouvoir être interprétée classiquement en termes de nombre d’occupation électronique dépendant du temps, la fonction de Wigner doit vérifier une double inégalité,

0 ≤ W(e)(¯t, ¯ω) ≤ 1 . (2.96)

Les exemples que nous développerons aux paragraphes suivant montrent que ce n’est générique-ment pas le cas. Nous interpréterons alors les violations de ces inégalités comme une signature du caractère fondamentalement quantique de l’état électronique considéré.

Plutôt que d’illustrer les propriétés de la fonction de Wigner sur les mêmes exemples taillés sur mesure que précédemment, nous allons profiter d’avoir en main les trois représentations de la cohérence à un électron pour les appliquer aux états électroniques que peuvent produire les sources électroniques implémentées expérimentalement.

Les exemples présentés dans les deux paragraphes qui suivent ont été étudiés, notamment numériquement, par A. Feller et A. Ghibaudo lors de leur stage de master 1 [50, 69] juste avant le début de ma thèse. J’ai ensuite contribué à l’interprétation fine des résultats qu’ils avaient obtenus.