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Faire interférer pour mesurer et contrôler les cohérences

5.2 Questions ouvertes

5.2.1 Quel est le lien entre la cohérence à deux électrons et l’intrication ?

Une question qui naît de l’étude des interféromètres à deux électrons est celle du lien entre la cohérence à deux électrons et l’intrication entre excitations élémentaires du fluide électronique en optique quantique électronique. Mentionnons d’emblée que ce sujet est délicat, et l’intrication dans les systèmes solides fait l’objet de beaucoup d’attention depuis plusieurs années [12, 15]. L’intrication orbitale dans des systèmes mésoscopiques a déjà été largement étudiée, notamment sous l’impulsion de M. Büttiker, G. Lesovik et T. Martin, en lien avec la violation d’inégalités de Bell [40, 154, 155, 156]. En particulier, l’interféromètre de Samuelsson [130, 157] étudié au paragraphe 4.5.3, page 163, rentre dans ce cadre. En outre, l’interféromètre de Franson envisagé au paragraphe 4.4 permet de révéler l’intrication en fenêtres de temps par l’intermédiaire de mesures de cohérence à deux électrons. Il est donc légitimer de se demander si l’interféromètre de Franson inversé utilisé comme générateur de cohérences est aussi un générateur d’intrication en fenêtre de temps. Une première idée naturelle est de chercher si l’information sur l’intrication portée par l’état des deux électrons peut être encodée dans la partie hors-diagonale de l’excès de cohérence à deux électrons.

Une approche de l’intrication orbitale est de considérer les deux excitations non pas directe-ment comme les qubits mais comme les marqueurs de l’état des qubits. Cette idée est celle qui est mise à profit dans l’analyse de l’interféromètre de Samuelsson sous forme de qubit sur rail [95], développée annexe A.2, page 182. Les qubits sont les deux paires de voie de l’interféromètre, et l’état du qubit est matérialisé par la présence ou non d’un électron dans la voie. Les résultats de P. Samuelsson et al. [157] indiquent clairement que l’intrication générée dans leur dispositif prend sa source dans les interférences à deux électrons, qui sont elles reliées à l’excès de cohérence hors-diagonal. Cette approche est naturelle mais elle ne peut pas s’adapter au cas où l’on cherche à analyser l’intrication des excitations dans un même canal.

L’intrication en fenêtre de temps a quant à elle fait l’objet d’une attention moindre. L’état intriqué en fenêtre de temps considéré comme exemple dans l’étude de l’interféromètre de Franson est le plus simple qui soit. Néanmoins, L. Chirolli et al. [38] ont montré que l’intrication en fenêtre de temps pouvait prendre des formes plus subtiles. L’exemple de paire intriquée qu’ils considèrent est celui d’une paire électron–trou(1) émise par un condensateur mésoscopique dont le QPC est presque fermé(2). Les deux fenêtres de temps sont deux cycles d’excitation successifs. L’électron et le trou peuvent alors être émis dans chacune des fenêtres de temps, mais l’électron est nécessairement émis avant le trou. L’état peut s’écrire sous la forme d’une superposition de trois états, schématisée figure 5.1, dont les auteurs montrent qu’elle décrit une intrication à deux qubits en étudiant une inégalité CHSH [41] adéquate.

int⟩= + +

Fig. 5.1 – État intriqué en fenêtre de temps. Représentation symbolique de l’état étudié dans la référence [38], émis par un condensateur mésoscopique de QPC presque fermé. Un électron, en rouge, est émis avant un trou, en bleu, mais ils ne sont pas nécessairement émis dans la même période du cycle d’excitation, schématisé en noir.

(1). Les deux particules composant la paire sont donc parfaitement discernables.

(2). La structure et le fonctionnement du condensateur mésoscopique ont été introduits au paragraphe 1.3.2, page 14.

Les qubits sont cette fois matérialisés par l’électron et le trou, et l’état du qubit est associé à la fenêtre de temps. Ainsi, en notant |↑⟩ la première fenêtre de temps et |↓⟩ la seconde, l’état représenté figure 5.1 s’écrit

3⟩ ∝ |↑⟩e⊗ |↑⟩h+ |↑⟩e⊗ |↓⟩h+ |↓⟩e⊗ |↓⟩h . (5.1) Une étude détaillée de cet état en termes de cohérence électronique est tout à fait faisable et pourrait constituer un autre exemple intéressant.

5.2.2 Quel est l’effet de la décohérence sur la cohérence à deux électrons ?

Com-ment le modéliser simpleCom-ment ?

Modéliser la décohérence induite par les interactions coulombiennes est l’un des points clés de l’optique quantique électronique. Beaucoup de travaux ont été réalisés dans ce sens, par l’exemple par l’intermédiaire de la théorie de la bosonisation, et ont permis de gagner une compréhension relativement avancée en termes de perte de cohérence d’une excitation mono-électronique. Néan-moins, comprendre les aspects à plusieurs particules de la décohérence demande de sonder les cohérences électroniques d’ordre supérieur. Ces aspects devraient être étudiés dans le cadre de la thèse de C. Cabart, qui prend la suite de mon travail.

Proposer une description phénoménologique pertinente de la décohérence dans le cadre de la cohérence à deux électrons serait un premier pas nécessaire avant d’entamer des calculs nécessai-rement ardus. Une étape préliminaire consisterait à envisager l’effet d’une décohérence de paire sur les exemples simples d’une paire ou d’un train d’électron. Dans ce cas, chaque électron voit sa cohérence individuelle préservée, mais la cohérence entre deux électrons du train est altérée. Un premier modèle qui pourrait être envisagé pour cela consisterait à introduire des fluctuations dans l’écart ∆t séparant deux électrons, décrites par une densité de probabilité P (∆t) faisant intervenir une échelle de temps probabiliste τp, caractérisant sa largeur typique. Il serait alors intéressant de comprendre où et comment cette échelle de temps supplémentaire intervient dans la cohérence à deux électrons portée par le train.

En outre, il serait également intéressant de voir précisément comment se manifeste la transi-tion entre un train d’excitatransi-tions régulièrement espacées et la formatransi-tion d’un mélange statistique d’excitations dont le temps d’émission est inconnu. Il est clair que la frontière entre ces deux domaines se trouve au moment où l’incertitude sur le décalage temporel entre deux électrons séparés par N autres électrons du train est de l’ordre de ∆t. Cela se voit sur les corrélations, donc sur la partie diagonale de la cohérence à deux électrons, mais comprendre comment cela se traduit en termes de cohérence hors-diagonale demande à être précisé, et pourrait sans doute permettre de gagner un regard plus profond sur les symétries.

Un autre point d’entrée vers le problème consiste à étudier la robustesse d’une paire d’élec-trons dans une superposition cohérente d’états, par exemple intriquée en fenêtre de temps. Une intuition à confirmer serait que la cohérence entre les deux états superposés se perd plus rapide-ment que la cohérence interne à chaque état de paire individuel.

Au delà des ces approches phénoménologiques, des calculs rigoureux seront nécessaires pour comprendre comment les interactions coulombiennes affectent la cohérence à deux électrons. L’approche utilisée jusqu’à présent dans notre groupe de l’ENS Lyon [52] pourrait se généraliser, mais les calculs seront rendus bien plus difficiles. Ces études peuvent aussi s’inscrire dans un cadre plus large, en posant la question des cohérences induites par les interactions.

5.2.3 Quelles sont les cohérences d’ordre supérieur portées par les excitations gé-nérées par les interactions ?

Les interactions se traduisent par la génération d’une multitude d’excitations cohérentes, aussi bien de type électron que de type trou, ce qui se traduit par l’apparition de cohérences d’ordre supérieur. Calculer et comprendre ces cohérences serait important notamment en vue de futures approches expérimentales. Deux pistes pourraient constituer une première approche simple de cette problématique.

La première consisterait à calculer les cohérences induites par une séparation de type spin– charge, dont la phénoménologie a été présentée au paragraphe 1.5, page 31. Une approche pure-ment descriptive pourrait même sans doute déjà apporter des informations intéressantes sur le plan de la physique et constituer un premier guide pour des calculs plus poussés.

Une deuxième idée d’apparence simple serait de construire pas à pas un état analogue à celui que les interactions pourraient qualitativement générer. En envoyant en entrée de la zone d’interactions un état résolu en énergie, il s’agirait de considérer d’abord l’état formé de cet électron ayant commencé à relaxer en énergie associé à un plasmon portant l’énergie manquante, puis de rajouter à la main des plasmons par récurrence. Des calculs préliminaires ont été entamés dans cette direction au cours de la thèse, mais ils ne sont en fait immédiats ni à mener ni à interpréter. Cette approche est donc à approfondir.