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Représentation de l’acadianité et du territoire de l’Acadie

Chapitre II – Les Acadiens du Nouveau-Brunswick

2.5 Représentation de l’acadianité et du territoire de l’Acadie

Plusieurs auteurs se sont questionnés sur la manière dont les Acadiens perçoivent le territoire de l’Acadie et sur la signification d’être Acadien de nos jours (Williams, 1977; Vernex, 1979 et 1983; Bérubé, 1987; Trépanier, 1994; Gallant, 2007). Adrien Bérubé (1987) propose quatre types de définition de l’Acadie, soit l’Acadie historique, l’Acadie généalogique, l’Acadie opérationnelle et l’Acadie prospective. L’Acadie historique correspond à l’Acadie telle qu’elle

l’était avant 1713 pour les Anglais, ou avant 1763 selon les Français. Cette Acadie n’existe plus depuis déjà de nombreuses années et demeure uniquement sur des cartes de l’époque. L’Acadie généalogique correspond à tous les descendants des habitants de l’Acadie historique, peu importe l’endroit où ils habitent maintenant ou la langue qu’ils parlent couramment. Cette définition s’apparente à l’Acadie de la diaspora valorisée par les gestionnaires du Congrès mondial acadien. L’Acadie opérationnelle correspond aux personnes qui habitent aujourd’hui les trois provinces des Maritimes et qui parlent français dans leur domicile. Des personnes originaires de régions diverses font partie de ce type d’Acadie. L’Acadie prospective correspond à un projet politique d’autonomie territoriale pour l’Acadie qui englobe majoritairement la communauté francophone du Nouveau-Brunswick. Sa cartographie correspond à la carte produite par le Parti acadien.

Lors d’une étude de Williams (1977), où 1000 élèves francophones et anglophones de la 12e année devaient représenter sur une carte ce que Bérubé appelle l’Acadie opérationnelle, le territoire de l’Acadie est souvent démarqué par eux comme une accumulation de petites régions à prédominance francophone éparpillée dans les Maritimes. Néanmoins, les francophones de la région du Madawaska ont tendance à ne pas inclure leur propre région sur la carte de l’Acadie. Les francophones de cette région se considèrent principalement comme Brayons et moins comme Acadiens. Dans l’étude de Williams, une forte majorité des élèves de l’école de Tracadie ont refusé de se prêter au jeu d’indiquer l’Acadie sur une carte. Ceci sous prétexte que l’Acadie n’existe plus géographiquement depuis 1755; cependant, ils soulignent que 50 % des gens du Nouveau-Brunswick sont Acadiens. Dans une étude de Cécyle Trépanier (1994) sur ce sujet, l’auteure remarque que les répondants évoquent

habituellement deux types d’Acadie, soit l’Acadie généalogique ou l’Acadie opérationnelle. Trépanier (1994) ajoute un bémol à la définition de l’Acadie généalogique; c’est-à-dire, l’auteure inclut les Acadiens de « sang », mais vont au-delà des descendants des déportés uniquement. Elle ajoute également les Acadiens non francophones à la catégorie de l’Acadie opérationnelle. Cette même auteure identifie trois autres types d’Acadie : l’Acadie déconcertante (celle que les répondants n’arrivent pas à définir), l’Acadie folklorique (celle que les touristes voient) et l’Acadie sentie et vécue. Cette dernière catégorie semble prendre de l’importance dans le contexte actuel.

L’Acadie sentie et vécue se décrit comme une manière d’être et de vivre. Elle est l'expression des sentiments ressentis envers l’identité et le pays (Gallant, 2002). C’est une façon personnelle et intériorisée de voir l’Acadie. De tous les types d’Acadie, l’Acadie sentie et vécue est la plus ardue à décrire puisqu’elle varie d’une personne à l’autre.

L’étude de Nicole Gallant (2007) ajoute quelques éléments supplémentaires aux études antérieures des représentations de l’Acadie. Dans son étude, la majorité des répondants s’insère dans la catégorie l’Acadie généalogique telle que décrit par Bérubé et modifié par Trépanier. De ces répondants, la moitié considère qu’il faut parler français pour être Acadien alors que l’autre moitié considère comme Acadien un anglophone de descendance acadienne. D’autres répondants insistent sur l’importance d’être originaire d’une région des Maritimes ou d’avoir été élevé dans la région. Malgré la forte représentation de l’Acadie généalogique, nombreux sont ceux qui sont ouverts aux immigrants s’ils consentent à participer à la culture acadienne. Néanmoins, ils ne sont pas considérés comme de « vrais » Acadiens. Sept des

vingt-quatre répondants de Gallant insistent sur le sentiment d’appartenance à l’acadianité et à sa culture. La moitié de ces répondants soulignent l’importance de parler français pour être Acadien. Pour ceux et celles qui ont choisi cette catégorie, le territoire acadien occupe une place moindre parmi les critères d’appartenance à l’Acadie. Pour terminer, certains répondants vont plutôt vers un modèle mixte (mélange de l’Acadie généalogique et l’Acadie sentie et vécue) ou un modèle insistant sur l’origine territoriale plutôt que généalogique. Dix répondants de modèles différents optent pour la représentation de l’Acadie déterritorialisée présente dans l’étude de Williams. Selon les commentaires des participants, l’Acadie est située où il y a un Acadien présent. En d’autres termes, l’Acadie serait un lieu imaginaire qui se déplace avec les individus où qu’ils aillent sur la planète (Gallant, 2007).

Il est particulièrement intéressant d’étudier la représentation du territoire chez une population comme les Acadiens, car ils ne possèdent plus de territoire officiellement reconnu. Dans un contexte comme celui-là, les représentations territoriales sont étroitement liées aux représentations de l’appartenance. La territorialité a une incidence majeure sur les critères d’appartenance ou « référents symboliques » que les Acadiens peuvent mobiliser pour définir leur identité (Gagnon, 1995). L’étude de Gallant remonte à 2005. Plus de sept années se sont écoulées depuis, mais ses résultats demeurent d’actualité. Son échantillon est relativement petit, mais la chercheuse a choisi des participants âgés de 18 à 25 ans de diverses régions acadiennes des provinces maritimes, ce qui lui donne une vision plus globale de l’opinion des Acadiens. Dans les limites de notre propre analyse, nous allons tenter d’appliquer ces types de définitions de l’Acadie afin de saisir leur pertinence pour les gens de la Péninsule acadienne d’où proviennent les participants à notre recherche.