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La biofiction : histoire d’un genre, délimitation d’un phénomène éditorial

I. Repères critiques (1975-2016)

La biofiction est un genre relativement récent, qui demeure difficilement reconnaissable et assez peu connu en-dehors de la recherche en littérature contemporaine. Et pourtant, le premier obstacle auquel l’on se heurte en cherchant à définir ses caractéristiques génériques consiste ironiquement en la multiplication de travaux qui interrogent, chacun à sa manière, ce phénomène qu’Alexandre Gefen qualifie avec justesse de « fait massif d’histoire littéraire et culturelle1 ». Aujourd’hui, l’on ne compte plus les études s’intéressant au nouvel imaginaire biographique contemporain. Thème privilégié d’articles, de colloques et d’ouvrages collectifs, ce qui n’était à l’origine qu’un néologisme servant à qualifier l’intérêt renouvelé envers l’écriture de « vies » dans un numéro spécial de la Revue des Sciences humaines consacré au « biographique »2 s’est rapidement imposé comme un élément incontournable de la littérature des trente à quarante dernières années3.

Le problème évident qui résulte de cette consécration d’un genre que l’on qualifie tour à tour de « biographie fictionnelle » (Dorrit Cohn4), de « biographie fictive » (Robert Dion et Frances Fortier5) ou encore de « fiction biographique » (Dominique Viart et

1 Alexandre Gefen, « Le genre des noms. La biofiction dans la littérature française contemporaine », dans

Bruno Blanckeman, Aline Mura-Brunel et Marc Dambre (dir.), Le Roman français au tournant du XXIe

siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 305-319 (p. 305).

2 Alain Buisine, « Biofictions », Revue des sciences humaines, « Le Biographique », nº 224, 1991 p. 7-13. 3 Je me permets ici de renvoyer le lecteur à la section intitulée « biofiction et roman historique » de ma

bibliographie pour un aperçu des études qui ont été consacrées au nouvel imaginaire biographique dans les dernières années.

4 Dorrit Cohn, « Vies fictionnelles, vies historiques : limites et cas limites », tr. fr. J.-P. Mathy, Littérature,

nº 105, p. 24-48, 1997 (« Fictional versus Historical Lives : Borderlines and Borderline Cases », 1989).

5 Robert Dion, Frances Fortier, Barbara Havercroft et Hans-Jürgen LüseBrink (dir), Vies en récit. Formes

littéraires et médiatiques de la biographie et de l’autobiographie, Québec, Nota Bene, coll.

Bruno Vercier6), réside moins dans l’hésitation typologique que la « biofiction » suscite que dans son étendue. Il n’est pas besoin de rappeler l’origine antique du récit de vie pour souligner que l’agencement d’éléments fictionnels et référentiels au sein d’une même trame narrative à caractère biographique n’est pas uniquement le fait de la littérature contemporaine. Il suffit, en outre, de songer aux mutations profondes que le linguistic turn a imposées à l’écriture historiographique, depuis les débats qui ont suivi, entre autres, la parution des travaux de Hayden White, pour mettre en évidence l’interdisciplinarité de cette pratique d’écriture7.

Or, si l’on accepte d’étendre le genre biofictif à l’ensemble des textes interrogeant les liens entre leur auteur et le personnage, référentiel ou imaginaire, qui lui sert de protagoniste (comme il devient de plus en plus courant de le faire), l’on se retrouve rapidement confronté à un ensemble de textes si hétéroclites qu’il devient difficile de les regrouper au nom des effets génériques qu’ils sont censés produire auprès de leurs lecteurs.

La solution adoptée par Alexandre Gefen dans deux publications récentes, lesquelles s’imposent sans doute comme la genèse la plus complète à ce jour du genre biofictif conçu dans sa longue durée, tend précisément à opérer une rupture entre la classification générique originelle de ces textes et celle que leur attribuerait leur réception

6 Dominique Viart et Bruno Vercier, La littérature française au présent. Héritage, modernité, mutations,

Paris, Bordas, 2005.

7 L’on associe communément les tournants linguistique et narratif perceptibles dans plusieurs disciplines,

mais plus particulièrement en histoire et en littérature, à une série de travaux que Hayden White a fait paraître du début des années 1970 jusqu’à la fin des années 1990 (notamment : Hayden White, Metahistory.

op. cit., 1973 ; The Content of Form: Narrative Discourse and Historical Representation, Baltimore, Johns

Hopkins University Press, 1987 ; Figural Realism: Studies in the Mimesis Effect, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1999). Pour une excellente présentation de l’influence des théories de White sur les réflexions théoriques portant sur le genre biographique, j’inviterais le lecteur à consulter l’ouvrage d’Ira Bruce Nadel : Biography : Fiction, Fact and Form, New York, St. Martin’s Press, 1984, et plus particulièrement son introduction, aux pages 1 à 12.

actuelle, selon un modèle descriptif d’analyse générique que je qualifierais de conditionnaliste8. Ainsi, à en croire l’introduction de son anthologie parue en 2014, intitulée significativement Vies imaginaires : de Plutarque à Michon – dont le titre annonce d’emblée l’intention de créer une tradition littéraire dont Pierre Michon, Gérard Macé, Christian Garcin et quelques auteurs de biofictions contemporaines seraient les dépositaires – le point commun des textes biofictifs serait de « faire du récit d’une vie humaine non un savoir, mais l’occasion d’un jeu littéraire, d’une rêverie ou d’une méditation9 ».

C’est dans cette optique que Gefen associe au phénomène biofictif un ensemble de textes extrêmement hétéroclites, comprenant aussi bien des « fantaisies biographoïdes modernes10 » tels que Les Éblouissements de Pierre Mertens (1987) et L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster d’Éric Chevillard (1999), que des modèles antérieurs à vocation fictionnelle, historique, littéraire, édificatrice ou humoristique, dont les fonctions rhétoriques diffèrent au moins autant que les traditions littéraires auxquels ils appartiennent11.

8 Je proposerai, plus loin dans ce chapitre, de définir ce modèle analytique de la manière suivante : prenant

appui sur des critères externes, la caractérisation générique conditionnaliste est un effet de réception, fondée sur une critique du jugement. Elle s’oppose en cela à la caractérisation générique essentialiste qui, en se fondant sur une analyse immanente et taxinomique des textes, postule l’existence de critères internes de généricité. Voir Alexandre Gefen, Vies imaginaires : de Plutarque à Michon, Paris, Gallimard, « Folio classique », 2014, et Inventer une vie : la fabrique littéraire de l’individu, préface de Pierre Michon, Paris, Les Impressions Nouvelles, 2015.

9 A. Gefen, Vies imaginaires : de Plutarque à Michon, op. cit., 2014, p. 7.

10 Ibid., p. 11. Le terme « biographoïde », proposé par Daniel Madelénat, est désormais bien connu de la

critique, comme le rappelle Robert Dion qui le définit comme « participant de l’écriture biographique, mais sans s’astreindre aux règles ni aux conventions des biographies en bonne et due forme » (Robert Dion, « Les biographies critiques, ou comment faire avec l’auteur (sur deux ouvrages de Michel Schneider) »,

Tangence, n° 97, 2011, p. 45-59 ; ici, p. 47, note 10).

11 J’aimerais préciser que l’horizontalité avec laquelle Alexandre Gefen met en parallèle des documents

historiographiques, tels qu’une enquête d’Alain Corbin portant sur le milieu des sabotiers indigents de la Basse Frêne au XIXe siècle (Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot : sur les traces d’un inconnu

(1798-1876), Paris, Flammarion, 1998) et des récits de vie entièrement fictionnels, est caractéristique de la

rupture qui s’est opérée dans le paysage théorique littéraire et historiographique avec le « tournant narratif » survenu dans les années 1970 à 1980. Pendant cette période, les débats théoriques portant sur le

Il ne s’agit pas ici d’opposer à l’entreprise de Gefen un contre-récit des origines lointaines de ce que j’appellerai, à la suite d’Alain Buisine, la biofiction, mais bien d’ancrer cette analyse dans une mise en contexte de l’environnement littéraire, éditorial et critique qui a favorisé l’émergence de ce genre. Je crois à l’instar de Gefen – sans pour autant partager son approche méthodologique – que la parution de biofictions s’inscrit aujourd’hui dans un horizon d’attente générique aisément identifiable, qu’il importe de mettre en lumière afin de comprendre les récents développements issus de l’hybridité générique qui s’est imposée dans la production littéraire et historiographique de récits de vie à partir du milieu des années soixante-dix.

La relecture d’un vaste ensemble de récits à caractère biographique et hagiographique suggère que les éléments qui ont attiré l’attention de la critique sur la biofiction tirent effectivement leur origine de sources qui sont souvent très éloignées de ce que l’on qualifie encore à l’occasion, faute d’une appellation plus juste, d’« extrême contemporain12 », bien que cette expression créée en 1986 soit déjà datée. Cependant, je ne crois pas qu’il soit utile d’interroger le phénomène biofictif au-delà de cet horizon

statut de la fiction, ainsi que sur les différentes manières de distinguer un texte fictionnel d’un texte référentiel, ont largement contribué à populariser d’une part la thèse de l’ubiquité de la narrativité, et d’autre part l’adéquation entre narrativité et fictionnalité que l’on associe généralement aux travaux de Hayden White. Étroitement liés à l’émergence du genre biofictionnel, ces deux phénomènes ont également influencé l’évolution de la critique générique, et – comme je tenterai de le démontrer dans la suite de ce chapitre –, ils ont joué un rôle important dans l’évolution des réflexions qui ont tenté de distinguer l’autobiographie de l’autofiction et la biographie de la biofiction depuis le premier Pacte autobiographique de Philippe Lejeune (Paris, Seuil, 1975). Pour un survol des récents débats narratologiques survenus suite à la popularisation, ainsi qu’à la remise en question des thèses de White, j’inviterais le lecteur à consulter l’excellent ouvrage dirigé par Lars-Åke Skalin : Narrativity, Fictionality and Literariness. The Narrative

Turn and the Study of Literary Fiction (Örebro, Örebro Studies in Literary History and Criticism, nº 7,

2008).

12 Le terme « extrême contemporain » vient d’un ouvrage dont la parution date déjà d’une trentaine

d’années : L’extrême contemporain, actes du colloque de l’Université Paris VII, 19 et 20 janvier 1986, Paris, Belin, 1987, publié par l’Association pour la défense et l’illustration de la littérature contemporaine (France).

temporel, qui est celui où l’autobiographie, et bientôt l’autofiction, ont constitué le point de focalisation de tout un pan de la critique littéraire.

Il me semble que l’intérêt dont témoignent aujourd’hui les chercheurs envers les nouvelles formes d’écriture biographiques est intimement lié à la construction de l’édifice théorique autobiographique et autofictionnel, dont la consécration tardive a profondément marqué la « bourse de l’imaginaire » du nouveau millénaire, pour reprendre la métaphore élégante au moyen de laquelle Northrop Frye décrit les variations dans la popularité de différents auteurs, styles et courants littéraires13. L’usage désormais courant de ces néologismes suggère que le recours à l’analyse générique demeure utile pour penser la littérature contemporaine – et ce, en dépit de la valeur normative que semble avoir acquise le métissage générique, incitant certains critiques, tels que Dominique Viart, à abandonner l’analyse générique au profit d’études thématiques14.

1) Autobiographie, autofiction, biofiction. Avantages et problèmes d’une analyse tripartite

En parcourant plusieurs ouvrages destinés à servir d’outils pédagogiques à l’enseignement de la littérature française du XXe et du début du XXIe siècle, j’ai été frappée de constater que l’on y retrouve fréquemment un découpage de la littérature

13 Frye emploie cette expression “imaginary stock exchange”, dans son « introduction polémique » à

L’Anatomie de la critique (The Anatomy of Criticism, Princeton, Princeton University Press, 1957) : “The first step in developing a genuine poetics is to recognize and get rid of meaningless criticism, or talking about literature in a way that cannot help to build up a systematic structure of knowledge. This includes all […] casual, sentimental, and prejudiced value-judgments, and all the literary chit-chat which makes the reputations of poets boom and crash in an imaginary stock exchange. That wealthy investor Mr. Eliot, after dumping Milton on the market, is now buying him again; Donne has probably reached his peak and will begin to taper off; Tennyson may be in for a slight flutter but the Shelley stocks are still bearish. This sort of thing cannot be part of any systematic study, for a systematic study can only progress: whatever dithers or vacillates or reacts is merely leisure-class gossip” (italiques ajoutées). L’œuvre est disponible en libre accès en ligne sur le site : http://northropfrye-theanatomyofcriticism.blogspot.ca (consulté le 21 août 2016).

française contemporaine fondé sur une tripartition entre les trois grands « retours » qui la caractérisent depuis la fin des avant-gardes : soit le retour du sujet, le retour du récit et le retour de l’Histoire, que l’on pourrait associer respectivement, quoique de fa on très schématique, à l’autobiographie, à l’autofiction et à la biofiction.

Comme ne cesse de le rappeler Bruno Blanckeman dans les différentes préfaces des anthologies qu’il a dirigées autour de ce thème15, il est toujours difficile d’aborder un objet d’étude sans une certaine myopie lorsqu’on ne bénéficie pas du recul nécessaire pour l’envisager selon une vision d’ensemble. C’est pourquoi ce type de schématisations s’avère utile afin d’élaborer des outils d’analyse permettant de prendre la mesure d’une production littéraire qui ne s’organise plus, depuis un certain temps déjà, dans des grands mouvements d’école dont « les manifestes édicter[eraient] a priori les formes dans laquelle la littérature doit venir se couler16 ». C’est ce que notait avec regret Dominique Viart en 2004 dans Le roman français aujourd’hui : transformations, perceptions, mythologies, tout en déplorant que deux titres « récents » qui s’imposaient comme des références en la matière, soit L’État des choses de Jean-Pierre Richard et Nouveaux territoires romanesques de Jean-Claude Lebrun et Claude Prévost (tous deux datés de 1990), n’aient pas adopté une démarche synthétique, susceptible de mettre en lumière les causes profondes des mutations que l’on observe dans les pratiques d’écriture à partir du tournant des années quatre-vingt17.

15 Bruno Blanckeman et Jean-Christophe Millois (dir), Le roman français aujourd’hui : transformations,

perceptions, mythologies, Paris, Prétexte éditeur, 2004, et Bruno Blanckeman, Aline Mura-Brunel et Marc

Dambre, Le roman français au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004.

16 Dominique Viart, « Le moment critique de la littérature. Comment penser la littérature contemporaine? »,

dans B. Blanckeman et J.C. Millois, op. cit., 2004, p. 11-35 (p. 14).

17 La plupart des critiques s’accordent pour reconnaître que le début des années quatre-vingt marque un

tournant dans la littérature contemporaine. J’inviterais par exemple le lecteur à consulter l’entretien de Richard Millet avec Aline Mura-Brunel à ce sujet dans B. Blanckeman, A. Mura-Brunel et M. Dambre (op.

Depuis lors, Viart s’est visiblement appliqué à combler ce manque : tout d’abord en rédigeant un an plus tard, de concert avec Bruno Vercier, un ouvrage très complet visant à « donner des repères dans ce qui fonde la littérature aujourd’hui18 » ; puis, en faisant notamment paraître un article consacré au roman français contemporain dans l’Encyclopædia Universalis en ligne19, dans lequel il effectue une synthèse des hypothèses exposées dans La littérature française au présent.

Si l’on tient compte de l’écart temporel qui sépare l’apparition d’un phénomène littéraire de sa prise en charge graduelle par la critique au fil des décennies suivantes, l’on constate effectivement que la théorisation des récits de vie contemporains s’est effectuée par vagues. Ainsi, tandis que la décennie des années quatre-vingt a été marquée par les travaux sur l’autobiographie, celle des années quatre-vingt-dix s’est penchée davantage sur l’autofiction, repoussant aux années deux mille la multiplication de travaux portant sur la biofiction. Je dirais, à propos de ce découpage temporel, ce que Philippe Lejeune avait déjà noté à propos du tableau aux « cases aveugles » qu’il avait proposé dans son premier Pacte autobiographique de 1975 : il offre l’avantage de simplifier, de dramatiser un problème ; « s’il était plus compliqué, il serait plus juste, mais si confus qu’il ne servirait plus à rien20 ».

les années quatre-vingt. Il semble qu’une autre ligne se dessine depuis les années quatre-vingt dix autour des récits de mémoires, de filiation. Le retour serait un détour, certes, mais un détour qui tendrait à rejoindre un centre. Toujours est-il que l’on n’est plus du tout dans la logique de la table rase, mais au contraire dans la reconnaissance d’une dette, d’une continuité », p. 277.

18 Dominique Viart et Bruno Vercier, La littérature française au présent : héritage, modernité, mutations,

Paris, Bordas, 2005.

19 Dominique Viart, « ROMAN - - Le roman français contemporain », Encyclopædia Universalis [en

ligne], consulté le 1er février 2016. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/roman-le-roman- francais-contemporain/. Je ne connais pas la date exacte de publication de cet article, mais j’ai aisément pu déterminer, à partir de sa bibliographie, qu’il est postérieur à la parution de l’ouvrage que Viart a rédigé en collaboration avec Bruno Vercier, puisque Viart y cite la nouvelle édition augmentée datant de 2008.

Il est vrai que cette schématisation ne se retrouve, telle quelle, dans aucun des différents exemples que j’ai eu l’occasion de mentionner. Dans les quatre cas de figure, le choix d’organiser leur volume selon un découpage, non pas chronologique, mais bien thématique de la période analysée a permis aux éditeurs (Blanckeman, Mura-Brunel et Dambre, 2004 ; Blanckeman et Milois, 2004) de même qu’aux auteurs de ces ouvrages, pour la plupart collectifs (Viart et Vercier, 2005 ; Viart, 2008 [?]) d’éviter les écueils nés d’une simplification à outrance. Les catégories servant à regrouper les œuvres étudiées ont pu, de cette manière, respecter au mieux les particularités de chaque texte, selon des démarches critiques qui se sont avérées, à l’instar de celle de Jean-Pierre Richard dans L’état des choses (1990), plus orientées vers l’analyse textuelle qu’elles ne relèvent de la théorie des genres.

Pourtant, ces publications n’expriment pas moins, à travers leur préface, leurs avant-propos et leur quatrième de couverture, la volonté de dresser un « état des lieux » du roman depuis 1980. Or, un tel objectif est difficilement atteignable sans recourir à des schématisations qui, bien qu’elles ne relèvent pas toujours de la théorie des genres, finissent comme cette dernière par produire des listes des caractéristiques communes qui sous-tendent le regroupement des textes soumis à l’analyse, ainsi que leur division en différents corpus.

Comme en témoigne le cas plus récent de La littérature française du XXe siècle (1900-2010) de Denis Labouret21 qui analyse la littérature des années 1980-2010 selon un modèle ternaire, un découpage chronologique tend à limiter le nombre de catégories englobantes visant à circonscrire l’évolution de la production littéraire contemporaine. En revanche, le compromis que semble offrir le découpage thématique entre une

simplification outrancière et une synthétisation confuse penche nettement du côté de cette dernière, ce qu’illustre, à mon avis, la volonté de réfléchir aux renouvellements génériques à partir des fameux « retours » qui caractériseraient le tournant des années quatre-vingt.

Dans La littérature française au présent par exemple, Dominique Viart et Bruno Vercier ont rajouté au moins un quatrième pilier à la triade Sujet-récit-Histoire : le « monde ». Dans cette reconfiguration particulière de la production littéraire contemporaine, organisée en sept sections (elles-mêmes divisées en trois à cinq chapitres), l’article traitant des « fictions biographiques » suit immédiatement celui que Dominique Viart consacre aux récits de filiation. Comprise, à l’instar de ces dernières, comme un « substitut de l’autobiographie » effectuant un « détour nécessaire » vers le « récit de l’autre (…) pour parvenir à soi22 », la biofiction y est d’emblée placée sous le signe du « retour du sujet », tandis que le « retour de l’Histoire » se cantonne à la seule mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Lié au « retour du récit », le roman historique ne fait, pour sa part, pas l’objet d’une analyse approfondie. Bruno Vercier note toutefois que les œuvres qui ont retenu son attention dans cette section ne correspondraient pas vraiment à ce genre, dans la mesure où le roman historique contemporain, « créolisé », se distinguerait de son modèle traditionnel de par sa construction fragmentaire, fondée sur une mémoire « diffuse, fabuleuse autant qu’historique23 ».

L’article que Dominique Viart consacrera à la littérature contemporaine dans l’Encyclopedia Universalis contribuera par la suite à accentuer l’opposition entre le roman historique et la biofiction, comprise, dès l’ouvrage publié en collaboration avec

22 D. Viart, « Récits de filiation », dans D. Viart et B. Vercier, op. cit., 2005, p. 77. Les italiques sont