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Chapitre I : Présentation des sources et de l’ambassade de la Ferté

Chapitre 2 : Le renseignement d’un résident : informations et informateurs

B. Les renseignements sur la France

Durant toute son ambassade, la Ferté reçoit beaucoup de renseignements sur la France, peut- être plus que sur l’Angleterre (en tout cas dans ses correspondances conservées). Ces informations peuvent être classées parmi les trois premières catégories de Marshall (cf. supra). Cependant, celles- ci ont une autre fonction : elles sont destinées non seulement à tenir le résident informé de ce qui se passe dans son propre pays pour qu’il puisse travailler au mieux, mais aussi à lui fournir un stock d’informations certaines qu’il peut ensuite échanger avec d’autres diplomates ou des courtisans britanniques contre des renseignements sur la situation de la Grande-Bretagne65. Ces deux éléments

sont fondamentaux car ils permettent au résident de ne pas se laisser berner par les fausses rumeurs que les exilés français en Angleterre étaient susceptibles de répandre, ce qu’ils ne se privaient pas de faire selon Gilberte Espouy66, mais aussi de les démentir, si possible en échange d’informations.

1) Les informations diplomatiques

Les renseignements diplomatiques concernant directement la France ne sont pas très abondants. On les trouve surtout chez Chavigny : par exemple, dans son lettre du 4 avril 1642, il indique à la Ferté que l’échange de prisonniers annoncé par des négociateurs portugais est une initiative de leur part et donc sans doute un leurre. Il annonce également à la Ferté que le résident anglais en France est venu se plaindre au roi du fait que le marquis ait informé le parlement des agissements de Thomas Roe en Allemagne, ainsi que du fait qu’un capitaine français ait voulu aller porter des armes aux catholiques d’Irlande (lettre du premier août 1642). Mais même le secrétaire ne donne pas vraiment d’informations sur ce sujet. Cela s’explique peut-être par le fait que, en pleine guerre, la position diplomatique de la France n’évolue pas tellement à part militairement. On trouve donc surtout des affirmations d’amitié du roi de France envers la Grande-Bretagne, dans quasiment une lettre sur deux, notamment dans la première moitié de l’ambassade, par exemple :

« […] qu’à tesmoigner que le roy est tousjours dans la même bonne volonté que sa Majesté a continuellement eue pour l’Angleterre, en sorte que si l’on veut faire une plus estroite union entre ces deux couronnes ces messieurs n’ayent aucun doute que sa Majesté l’aura très agréable comme aussy d’entendre à tout ce qui sera proposé pour le restablissement du Palatin. »

Lettre de Chavigny à la Ferté du 11 octobre 1641

65 G. MATTINGLY, Renaissance Diplomacy, op. cit., p. 229.

Ce genre d’affirmation, très courante, n’est cependant pas une information au sens strict, mais plutôt une incitation à aller travailler en ce sens à la Cour, voire destinée directement à ceux qui pourraient intercepter la lettre sur son trajet67.

2) Les informations politiques

Les informations politiques sont à peine plus nombreuses. La plupart sont des nouvelles de la santé royale, ainsi que de celle de Richelieu : en effet, elles étaient toutes deux vacillantes à cette époque, et la minorité des deux héritiers potentiels faisaient craindre une période d’instabilité politique en cas de régence, en pleine guerre et alors que les nobles malcontents étaient encore nombreux68. Il est donc nécessaire d’assurer le résident de la bonne santé du roi et de son ministre,

afin qu’il relaie ceci à l’étranger. On trouve de ces nouvelles dans la plupart des lettres de Chavigny et dans certaines de Noyers, ou encore chez d’autres correspondants comme la Barde (dans sa lettre du 5 février 1642). Au contraire, peu d’informations filtrent à propos de la conspiration montée par Cinq-Mars et le duc de Bouillon en faveur de Monsieur jusqu’à la lettre du 9 juillet 1642 :

« Ils nous avoient encore une fois desbauché Monsieur et monsieur le duc de Bouillon, lequel je vous ai desjà donné avis avoir esté arresté à Cazal. Cette faction estoit semblable à celle de l’an- née passée, mais elle a esté descouverte à temps pour en prévenir les dangereuses suites. […] L’estat auquel on a réduit cette faction par la prise de monsieur le duc de Bouillon et de mon- sieur le Grand [le marquis d’Effiat, Cinq-Mars] ne permettant pas à personne d’y prendre aucune part ou d’y persister, tant y a que tout est fort paisible dans le royaume. »

Lettre de Chavigny à la Ferté du 9 juillet 1642 Le ton de la lettre est volontairement apaisant, car il s’agit une fois de plus de donner à la Ferté les moyens de faire taire les fausses rumeurs (« [en France], dont les ennemis ne manqueront pas de faire courir de mauvais bruicts »). Gilberte Espouy parle même de laconisme avant cette date, par volonté d’éviter les fuites69, ce dont la Ferté se plaignait effectivement, par exemple dans

la dépêche du 19 juin ; le précédent lettre (du 22 juin) faisait tout de même dix pages. Un autre correspondant écrit à la Ferté sur ce sujet, Courtebrune (le 14 juillet 1642), pour lui parler de Monsieur et de sa cour, réfugiés à Sedan. Il l’informe aussi de l’arrestation du duc de Bouillon et de son remplacement par Louvois : il tient ainsi la Ferté au courant des personnes qui comptent au sommet de l’État. Lui ne partage pas l’opinion de Chavigny à propos de la situation du royaume (« Il y a bien encore force personnes de grande condition quy sont coupables du mesme crime »), ce qui semble confirmer l’hypothèse de l’optimisme forcé du secrétaire des Affaires étrangères. Le résident reçoit également des nouvelles de moindre importance, comme des nouvelles mondaines de la cour de Monsieur (Goulas, lettre du 27 septembre 1641).

3) Les informations militaires

En revanche, la Ferté reçoit une quantité importante de nouvelles de la situation militaire française. Chavigny y consacre rarement moins d’une demi-page par lettre, et informe son ambas- sadeur des fronts Nord et Sud, notamment à propos des sièges de Perpignan, de Bapaume et de 67 A. MARSHALL, Intelligence and Espionage in the Reign of Charles II, 1660-1685, op. cit., p. 82 et suivantes.

68 A. JOUANNA, Le devoir de révolte: la noblesse française et la gestation de l’État moderne (1559-1661), Paris, France, Fayard, 1989, p. 212.

Lille, en commentant parfois les événements : par exemple, la lettre du 16 avril 1642 informe le résident que la prise de Collioure va servir au siège de Perpignan, et celui du 26 mars 1642 considère que la mauvaise passe traversée par l’armée espagnole est susceptible de favoriser des révoltes en Aragon. On trouve aussi quelques noms de commandants, comme le maréchal de la Melleraye (lettre du 26 mars 1642) ou le maréchal de Guébriant (lettres du 4 février et du 4 mai 1642). Ce genre de nouvelles est également transmis par beaucoup d’autres correspondants, comme Charvet le 18 novembre 1641, qui évoque la longueur de siège de Perpignan, ou encore Courte- brune le 14 juillet 1641. La Thuillerie écrit, lui, à propos du front Nord (17 septembre 1641), tout comme Grémonville (8 juillet 1641). Assez étrangement, Noyers n’évoque pas la question, alors qu’il est secrétaire de la Guerre, pas plus que la Barde. Comme les nouvelles politiques, ces infor- mations ont un but proche de la propagande, puisqu’il s’agit de fournir au résident l’occasion de vanter les progrès militaires de la France dans le conflit, afin de donner confiance à un allié potentiel dans le règlement de la question du Palatin (point qui revient régulièrement pendant les six premiers mois de l’ambassade, par exemple dans le mémoire du 5 octobre 1641). Mais la Ferté, militaire lui-même, avait sans doute aussi un intérêt personnel pour ces nouvelles. Il recevait manifestement des informations par d’autres moyens, car il fournit lui-même à du Hallier, gouverneur de Brisach, et à Noyers un avis sur deux agents impériaux, la Joussière et Tassel, qui tentaient de désorganiser les régiments stationnés dans cette ville, sans donner d’informations sur ses sources.