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Chapitre I : Présentation des sources et de l’ambassade de la Ferté

Chapitre 2 : Le renseignement d’un résident : informations et informateurs

A. Les informateurs sur l’Angleterre

La personne qui détient le plus d’informations sur l’Angleterre est la Ferté, comme en témoignent ses dépêches ; néanmoins, il est très difficile de savoir comment il se fournit ces infor- mations. En effet, il ne précise jamais ses sources quand il relate des événements, et donne généralement les informations telles quelles, comme si elles étaient directement observables par le résident, par exemple :

« L’on est à la crize des maux d’Angleterre. Hier la maison haute fut prest à tirer l’épée les uns contre les autres, partye vouloit qu’on envoyât le duc de Richemond à la Tour pour un discours qu’il avoit fait au mespris du parlement. La caballe de ceste maison que l’on dit estre pour le roy fust la plus forte, et au lieu de l’envoyer en prison portèrent les voix à ce qu’il demanderoit par- don à la compagnie. Les autres protestèrent que tous ceux qui estoient de ceste opinion-là qu’ils les tenoient pour criminels de lèze-majesté voulant mespriser l’authorité et les privilèges du par- lement. »

Dépêche du 6 février 1642 Il est fort peu probable que la Ferté ait lui-même assisté à cette scène, d’abord parce qu’il aurait eu besoin du droit d’accéder aux séances de la chambres des Lords, et ensuite car cela implique qu’il y aille régulièrement pour des longues périodes de temps (car cet épisode n’est pas le seul de ce type à avoir été raconté). De plus, la dépêche du 26 décembre 1641 nous apprend qu’il ne parle pas anglais : en effet, « comme [une lettre] estoit en anglois, je n’ay pas peu leur rendre responce ». L’épisode a donc dû lui être raconté par quelqu’un, soit un des lords, soit un des clercs de la chambre. Or aucune mention n’est faite de cette source, et le récit est présenté comme un fait brut. Seules deux mentions sont faites d’une source : d’abord, le père Gilles, mentionné dans la copie de dépêche du 26 décembre, qui a écrit plusieurs fois à « monseigneur » (soit Chavigny, à qui l’original de la dépêche était adressé, soit Noyers à qui la copie est adressée, soit Richelieu). Cependant, son nom est précisé car il demande à être hébergé par la Ferté ; or, la maison d’un

ambassadeur étant considérée comme une enclave bénéficiant de l’extraterritorialité71, il est

probable que le père Gilles y ait plutôt cherché protection qu’hébergement, ce qui signifie sans doute qu’il était déjà identifié par ceux qui le menaçaient (potentiellement le gouvernement royal anglais), auquel cas la Ferté pouvait se permettre de citer son nom. La deuxième mention faite d’une source par le résident français a lieu dans la dépêche du 22 mars, lorsqu’il déclare que, « par des correspondances que j’ai en Angleterre et qui en ont en Flandres », il a appris la prise de la Bassée et la trêve secrète entre Provinces-Unies et Espagne ; il ne donne aucun nom ni aucune précision sur l’identité de ces personnes. On peut supposer qu’il s’agit d’une personne bien placée, sans doute noble ou ancienne diplomate, voire membre du Foreign Office, pour avoir des contacts en Flandres, mais sans certitude ; de toute façon, ce qui est intéressant est que la Ferté n’ait pas donné l’identité de cette personne.

Il mentionne aussi deux personnes dont le rôle est proche de celui d’un informateur, Dischington et Crosby. Le premier a proposé à la Ferté d’agir pour que les Écossais placent un résident en France, comme il est débattu dans le mémoire envoyé à la Ferté le 5 octobre 1641 ; son nom est donné dans la dépêche du 3 octobre (le 22 septembre en style français). Le second, Crosby, touche une pension du roi de France pour avoir servi dans son armée, ou plutôt aimerait la toucher en récompense d’un service qu’il a rendu au parlement : il a dénoncé au parlement les capitaines des navires faisant passer les recrues faites par l’Espagne sur le continent. Aucune de ces deux actions ne fait courir un grand risque à ces hommes, et d’ailleurs les personnes touchant des pensions de la part de souverains étrangers étaient souvent connues des autorités de leur pays : la Ferté peut donc mentionner leurs noms sans risque. Il y a aussi quelques cas de communications officielles, comme la lettre, en fait la transcription d’une délibération de la chambre des Lords que le comte de Hollande et le sieur de Mandeville ont apportée à la Ferté (le 19 mai 1642), de la part du parlement. Celle envoyée par le comte de Stanford, du 28 février d’une année inconnue (sans doute 1642) ne contient pas d’autre renseignement que l’annonce d’une réponse négative imprévue de la part du roi et des retards que cela implique pour un certain « Hullas » s’occupant d’une affaire pour la Ferté, sans plus de précisions ; peut-être ce Hullas est-il le même que le « Holis » évoqué dans la copie de dépêche du 16 janvier 1642, c’est-à-dire le MP Denzil Holles. Il est parfois fait mention de ceux qui transmettent les paroles du souverain britannique au marquis, comme Vendôme dans la dépêche du 12 décembre 1642, mais il ne s’agit jamais d’informations (en l’occurrence, Charles Ier demande à la Ferté son aide pour se réconcilier avec le parlement, peut-être d’ailleurs

pour le mettre en porte-à-faux auprès de celui-ci). À part ces personnes, aucun informateur n’est nommé ni mentionné par le résident. Plusieurs explications peuvent être données à ceci : d’abord, la volonté de ne pas dénoncer ses propres informateurs en cas d’interception des dépêches. C’est d’autant plus probable que celles adressées à Noyers ne sont pas codées, cependant cela signifie qu’il était possible (ou en tout cas moins risqué) de donner ces noms dans celles adressées au SAE. Dans ce cas, soit ils ont disparu lors de la copie de ces dépêches à l’intention de Noyers, soit celles- ci n’étaient pas non plus codées (ce qui paraît improbable), soit enfin ils n’étaient pas non plus mentionnés dans ces dépêches. Mais cela n’explique pas pourquoi aucune mention de l’existence 71 K. HAMILTON et R. LANGHORNE, The Practice of Diplomacy, op. cit.

d’une source n’est présente dans les dépêches, même sous une forme anonyme. Une deuxième explication est possible : ces noms n’intéressaient ni Noyers ni Chavigny, qui n’auraient sans doute pas connu ces personnes et qui faisaient donc confiance à la Ferté pour juger de la fiabilité de ses informateurs ou des rumeurs qu’il rapporte, tout en se permettant probablement de croiser les infor- mations venant du résident avec celles données par d’autres sources lorsque cela leur était possible. Il faut aussi noter que les membres de la suite de la Ferté restés en Angleterre après son départ, Augier et Bures, ne mentionnent pas plus leurs sources, à part l’évocation de chansons de rue par Bures dans sa lettre du 2 octobre, et d’un « Hollis » en post-scriptum, qui est peut-être le même Denzil Holles, dans celle du 14 janvier.

On peut tout de même faire quelques hypothèses sur les personnes fournissant des informa- tions à la Ferté, notamment grâce aux fréquentes mentions de ses « amis du parlement », que l’on trouve aussi bien dans ses dépêches (par exemple, la copie de celle du 16 janvier 1642,) que dans les lettres de Chavigny (comme dans celle du 18 octobre 1641). On peut supposer sans trop de risques que ces membres du parlement sont hostiles à l’Espagne, ce qui semble cohérent avec le fait que l’Espagne et la France soient alors en conflit et que nous confirment du 13 novembre 1641 dans laquelle il affirme que « ceux avec lesquelz j’ay beaucoup d’habitude [au parlement] travaillent puissamment à justifier que l’ambassadeur d’Espaigne a faict donner de l’argent en Irlande à ceux de cette faction ». Or, en pleine révolte irlandaise, cela revient à déclarer que les Espagnols travaillent à saper la stabilité de la couronne britannique. Ils doivent donc être également du côté du parlement dans la lutte qui l’oppose au roi, puisque la « caballe d’Espagne » (dépêche du 26 décembre 1641) est souvent associée aux défenseurs du roi et, surtout, puisque la Ferté lui-même est plutôt du côté des parlementaires. Il est probable que ces parlementaires soient surtout des lords, car la Ferté étant lui-même noble et son rang d’ambassadeur lui donnant un certain rang, il semble plus vraisemblable qu’il ait été amené à fréquenter d’autres nobles ; il ne faut cependant pas exclure qu’il ait aussi fréquenté des membres des Communes. Il semble donc qu’il ait fréquenté ce type de personnes, par exemple le comte de Hollande qui est mentionné dans la copie de dépêche du 26 décembre 1642, et en ait obtenu des informations, que ce soit durant des conversations ou par des moyens plus spécifiques, mais cela ne signifie pas que le résident n’ait pas reçu d’informations par d’autres sources, ni même qu’il s’agisse de sa source principale. On peut toutefois affirmer que ces parlementaires ont certainement joué un rôle important dans la collecte d’informations par la Ferté.