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Chapitre I : Présentation des sources et de l’ambassade de la Ferté

Chapitre 2 : Le renseignement d’un résident : informations et informateurs

C. Les renseignements sur l’Europe et les autres pays

Pour un résident, la connaissance de la situation européenne est indispensable, surtout pour recruter des alliés dans un conflit dont le favori et les différents partis sont susceptibles de changer fréquemment. Les informations à l’échelle européenne sont moins variées qu’aux échelles natio- nales et concernent surtout les domaines diplomatique et militaire.

1) Les informations sur les relations entre États

Le premier, le plus directement lié à l’activité d’un résident, est celui qui est le plus documenté par les correspondants de la Ferté. Les informations appartenant à ce domaine portent par exemple sur les négociations supposées entre l’ambassadeur anglais Roe et l’Empereur, qui sont mentionnées par Chavigny, dans les lettres du 28 avril et du 12 mai 1642, mais aussi par le comte d’Avaux dans une lettre du 9 mai 1642 (où il évoque une « confédération » à la création de laquelle serait conditionnée le rétablissement du Palatin) et dans un paquet transitant via Brasset par sa lettre du 10 juillet 1642, ce qui rappelle le rôle d’Amsterdam et des Provinces-Unies en général comme centre des circulations diplomatiques européennes. La lettre de Brasset donne également quelques précisions sur le sujet, qu’il mentionnait déjà dans sa lettre du 3 juillet : il tient de la reine de Bohême que Roe a réellement négocié à ce propos avec l’Empereur, tandis que la reine d’Angle- terre (en exil à la Haye) continue de le nier et d’incriminer la Ferté. Il s’agit donc sûrement de déformations de propos d’un côté ou des deux, visant à semer le trouble entre des alliés potentiels pour les Habsbourg ou à négocier dans le dos de la France pour les Anglais. Il traite aussi d’autres éléments dans la lettre du 10, comme la présence de Français censés accompagner Henriette-Marie

en France, ou le décès de la reine-mère. Chavigny écrit à propos des manigances des Habsbourg pour saper l’alliance du camp protestant, dans son lettre du 12 mai 1642 par exemple, dans lequel il explique que le roi de Hongrie (Ferdinand III de Habsbourg, l’Empereur) a refusé de ratifier les préliminaires de paix rédigés par son propre ambassadeur et signés par Avaux et Saluins (pour la Suède) à Hambourg, comme le rapporte le secrétaire dans sa lettre du 13 avril 1642 , ; or il est impossible qu’il n’en ait pas été averti par son ambassadeur, le temps qu’une décision aussi impor- tante que la rédaction de préliminaires de paix soit prise et mise à exécution, et qu’il n’ait pas donné son accord avant que le diplomate ne signe le traité. De plus, Chavigny rapporte

« qu’il a mesme fait proposer à monsieur Saluins, ambassadeur de Suède, un traitté particulier avec les Suédois pour les séparer de la France, ce qui fait congnoistre de plus en plus que la maison d’Austriche n’a aucune inclinaison à la tranquilité publicque mais qu’elle désiroit seule- ment estre soulagée de quelques-uns de ses ennemis pour continuer la guerre contre les autres et la perpétuer ainsy dans la chestienté. Nous sommes bien assurez que la couronne de Suède ne se séparera point de la France et que les artifices de la maison d’Austriche sur ce sujet demeureront jnutiles. »

Lettre de Chavigny à la Ferté du 12 mai 1642 Le secrétaire semble donc tenter de faire passer les Autrichiens pour les fauteurs de guerre qui essaient de manipuler aussi bien les Anglais que les Suédois, sans rappeler que lui-même ordonne à la Ferté de faire la même chose en Angleterre pour servir les intérêts français. Cependant, Avaux abonde dans ce sens dans sa lettre du 4 juillet, dans laquelle il rapporte que, d’après le marquis de Saint-Romain, envoyé de France70, le roi du Danemark commence à pencher du côté protestant en

reconnaissant que les Habsbourg sont responsables des retards dans les préparatifs de la paix : les propos de Chavigny doivent donc reposer sur un fond de vérité, même s’il les présente d’une manière avantageuse pour la France.

2) Les informations militaires

La guerre est l’autre domaine à propos duquel la Ferté reçoit des informations à l’échelle de l’Europe. Cette fois-ci, Chavigny n’est pas le fournisseur le plus important de ces nouvelles (même s’il en envoie, par exemple dans la lettre du 22 août 1642), c’est Brasset : dans ses deux lettres, celui-ci relate les mouvements militaires en Allemagne, en traitant notamment de la victoire des Suédois à Olmutz qu’il décrit comme une débâcle (« les Impériaux ont fuy en désordre jusques en Hongrie et ont pillé le bagage de l’archiduc Léopold », 3 juillet). Il mentionne aussi les victoires de Litta et Tropau (aujourd’hui Opava) en Moravie, toujours contre les troupes impériales, ainsi que le front Nord de la France : « Don Francesco de Melos appréhendant la revanche qui se prépare de nostre costé a tourné bridde vers nos frontières pour garder les siennes. » (lettre du 10 juillet). La même lettre évoque également la capture du « Rhingrave ». D’autres renseignements de ce type sont donnés par Avaux, qui rapporte que « madame la land[g]rave a renvoyé son général avec de bons ordres » (lettre du 25 avril 1642), mais aussi des nouvelles de renforts au maréchal de Guébriant, qu’il s’attendait justement à recevoir de la Ferté. Il écrit également que

70 Archives du ministère des Affaires étrangères, Correspondance politique, Hambourg, vol. 1 et Suède-Norvège, vol. 5 et 8.

Vous aurés sceu la délivrance de monsieur le maréchal Horn et ie vous diray que monsieur le chancellier de Suède son beau-père en tesmoignent une grande ioie et un grand sentiment d’obligation pour le roy ; le mérite de ce cavalier et son expérience est telle que sans doute il en réussira encores beaucoup de bien pour les affaires d’Allemagne et pour la cause commune. »

Lettre d’Avaux à la Ferté, 9 mai 1642 Effectivement, Chavigny a lui aussi écrit à la Ferté à propos de la délivrance du maréchal Horn, dans la lettre du 4 mai 1642. Les informations militaires portent donc en grande partie sur les officiers connus, pas seulement en France mais aussi chez les alliés et les ennemis, au moins autant que sur la taille des armées et leurs positions ; les prises de villes sont souvent attachées au nom du général qui y a présidé, comme le maréchal Tortenson à Olmutz (Brasset, lettre du 3 juillet 1642). Avaux rapporte aussi qu’il « a couru icy quelques bruits d’un secours que le roy de Danemark prépare pour celuy d’Angleterre », sans qu’on puisse y faire confiance (lettre du 9 mai), et sa lettre du 4 juillet décrit une avancée générale des Suédois sur le front morave, menée par Vrangel et Torstenson. Les mouvements au Sud de l’Europe sont, eux, décrits par Charvet, qui mentionne la prise de Monaco par « monsieur le comte d’Alles [Alès] » (lettre du 4 décembre 1642), sur le front français, mais surtout par Fontenay, qui rapporte dans ses deux lettres (17 août et 8 septembre 1642) des troubles entre la papauté et le duché de Parme autour de Castro. Il explique dans la deuxième lettre que les tensions sont retombées, grâce à l’intervention de Hugues de Lionne, ce qui est un peu optimiste puisque la guerre de Castro a continué jusqu’en 1649. La Ferté est également informé par des Anglais, dont il ne donne pas les noms, de la prise de la Bassée sur le front flamand et d’une trêve secrète entre les Provinces-Unies et l’Espagne, ce dont il informe Noyers par la dépêche du 22 mars.

II. La provenance des renseignements

Les différents types de renseignements exposés sont communiqués à la Ferté par des personnes diverses. Relier ces personnes aux types de renseignements qu’elles fournissent permet non seulement de compléter l’étude des volumes d’information transmis à la Ferté par celle de la diversité des renseignements selon l’informateur, mais aussi d’affiner les catégories que j’ai utilisées dans l’étude externe pour présenter les acteurs, qui étaient fondées sur la fonction et l’origine géographique, pour déterminer quels sont les canaux de renseignement les plus importants pour la Ferté. Il est alors possible de déterminer une ébauche d’un réseau d’information employé par le résident, limitée par les dissimulations et par les pertes d’archives et restreinte au cercle d’informateurs le plus proche, mais tout de même instructive. Par réseau, j’entends un ensemble de personnes liées plus ou moins fortement à la Ferté, mais aussi éventuellement entre elles, qui échangent avec le résident et sont donc pour lui des ressources potentielles, mobilisables pour mener à bien sa mission.