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Le renouvellement de la dynamique du don dans le maintien des liens

Chapitre 5 : Discussion

5. Discussion

5.2 Le renouvellement de la dynamique du don dans le maintien des liens

Il est d’abord abordé dans cette section la connaissance de l’autre dans le maintien des liens sociaux en intervention de proximité qui répond favorablement à la dynamique du don. Ensuite, il est traité de l’approfondissement des liens sociaux à travers le don, sa réception et le désir de rendre.

5.2.1 De la connaissance à la reconnaissance

En premier lieu, lorsque le lien se maintient, c’est qu’il est nourri. Ce qui alimente le lien est diversifié en intervention de proximité et se regroupe aisément sous l’égide du don. En ce sens, Hénaff (2002) estime que lorsque les gens se reconnaissent dans le don,

le lien social se crée et se perpétue. Les intervenants le confirment lorsqu’ils abordent le maintien des liens en intervention. Ils considèrent que ce qu’ils donnent, reçoivent et rendent ainsi que la manière dont ils se situent dans cette dynamique relationnelle contribuent à la perpétuation du lien. Ils observent que leurs premiers dons (ex. : café, matériel préventif, bons alimentaires, covoiturage) agissent comme tremplin à une diversité qui féconde d’autres formes de don au moment où ils font connaissance. En ce sens, les intervenants témoignent que le maintien du lien passe par la continuité de donner des biens et des services auprès des gens avec lesquels ils se lient. C’est entre autre ce qui initie les diverses formes de reconnaissances dont ils témoignent. Bien qu’il n’y ait pas de garantie de retour dans le don (Godbout, 1992), le lien se perpétue dans la continuité de ce dernier. Ce qui se révèle dans le travail de proximité comme vecteur du lien social s’orchestre donc autour du don, de sa réception et même du fait de rendre, de redonner. En effet, il se dégage des témoignages des participants que plus la relation se tisse, plus les protagonistes de l’intervention donnent, reçoivent et rendent. C’est à travers cette liaison qu’ils se connaissent et qu’ultimement la reconnaissance se manifeste. De façon plus précise, les intervenants observent que les gens s’ouvrent davantage et se confient de plus en plus. Le don de soi, du privé, est reçu par les travailleurs de proximité comme un gage de confiance. Aussi, ils racontent qu’il leur arrive de se donner à l’autre à leur tour, d’offrir également leur intimité en se révélant peu à peu. Dans le même temps, se poursuivent les dons matériels qui avaient permis initialement de se rencontrer et de s’apprivoiser.

Lorsque le lien est maintenu, le don ne remplit plus la fonction de le créer, mais il « sert » à l’entretenir, le nourrir. La dynamique donner-recevoir-rendre renouvelle donc le

lien, elle permet de le façonner (Caillé, 2004). Elle invite à nouveau l’autre à se reconnaître à travers son semblable (Ricoeur, 2005). Ainsi, la dynamique relationnelle du don et du contre-don s’orchestre autour du lien et de sa reconnaissance (Hénaff, 2002) en travail de proximité. La valeur que l’intervenant accorde à ce lien et, par extension, à l’autre, se transporte dans l’intersubjectivité, elle vient transcender la dynamique relationnelle. Cela signifie que la relation a maintenant de la valeur. La création du lien se distingue de son maintien en cela que le don y tient une autre place, y joue un rôle différent. À la fois, le don crée, malgré sa fragilité, un terrain fertile à la connaissance de l’autre (Gilbert, 2005) et permet de lui témoigner de la reconnaissance (Godbout et Hénaff, 2003).

5.2.2 L’approfondissement du lien par la continuité de la dynamique du don De façon générale, l’étude révèle que la dynamique relationnelle du don devient de plus en plus privée et immatérielle. Elle se déplace des biens vers les services puis, ultimement, s’exprime à l’aide d’une gamme d’attitudes (être ensemble) et de comportements (faire ensemble). Les intervenants ont l’impression qu’ils se donnent, qu’il leur arrive de faire des exceptions (travailler plus tôt ou plus tard, réaménager l’agenda pour se rendre disponible, etc.). Les travailleurs de proximité racontent aussi que les gens leur donnent des cadeaux ou encore qu’ils portent une attention particulière aux remerciements témoignés par les personnes issues des milieux. Madéquat (1998) affirmait que les intervenants doivent accepter des façons d’être, des attitudes comme don dans la relation d’aide. Pour cet auteur, un sourire, une attention particulière s’inscrit dans

la dynamique du don et du contre-don (Madéquat, 1998). La dynamique relationnelle devient alors de plus en plus intime.

En ce sens, Caillé (1991) et Fustier (2000) émettent aussi l’idée qu’il est possible que dans cette dynamique, la socialité devienne de plus en plus personnelle. Pour Turney (2010), il est possible de reconnaître certaines caractéristiques d’ une relation amicale, sans que cela en soit une. Le professionnalisme laisse ainsi place à l’interconnaissance. Les intervenants ne sont pas les seuls à connaître l’autre. Ils se révèlent également auprès des gens avec qui ils interviennent. De sorte que la dynamique du don permet à la relation de se renouveler à travers des gestes, des attitudes, des paroles qui sont reçus et rendus. La fin du cycle du don met ainsi un terme à la relation sans pour autant mettre fin à la valeur symbolique de celle-ci. Les travailleurs de proximité croisent parfois des personnes qu’ils ont accompagnées jadis et il arrive que celles-ci leur témoignent de la gratitude en soulignant qu’elles ont apprécié leur présence à leur côté à ce moment de leur vie. C’est donc la réciprocité, la reconnaissance dans la dynamique du don qui assure la pérennité du lien (Causse, 2004; Hénaff, 2002; Sfez, 2002).