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La réciprocité : un élément dynamique d’un rapport social en évolution

Chapitre 5 : Discussion

5. Discussion

5.3 La réciprocité dans la dynamique du lien social : une affaire de don

5.3.2 La réciprocité : un élément dynamique d’un rapport social en évolution

apparaît lorsque les individus se reconnaissent et qu’ils se sentent libres de redonner. Cette liberté à travers la rencontre de l’autre par le don et sa réception permet d’influencer le lien social (Sfez, 2002). La réciprocité prend donc racine dès la création des liens et elle permet à la relation de se transformer, d’évoluer. Par exemple, lorsque les travailleurs de proximité rencontrent des individus et leur donnent des préservatifs, un premier rapport social est créé. De celui-ci découlera une succession d’autres contacts qui permettront à l’intervenant de se révéler aux individus et vice-versa. Bien que la prévention des ITSS puisse guider l’acte de donner du matériel préventif, ces échanges constituent une invitation à entrer en relation avec l’autre. Il s’ensuit habituellement plusieurs rencontres. Elles peuvent se multiplier et devenir régulières. Lors de ces contacts, des dons de diverses natures s’effectuent (ex. : temps, privé, biens, services, etc.). Il arrive aussi que l’on constate une forme de réciprocité. Les intervenants relatent des anecdotes où des jeunes et des adultes les introduisent auprès d’un nouveau groupe ou encore qu’ils facilitent leur intégration dans le milieu. Ce genre de situation où un « poteau » encourage l’affiliation d’un intervenant se situe dans la logique de la réciprocité. Les gens ayant reçu de la part des travailleurs de proximité souhaitent les aider à leur tour. Ils désirent que d’autres puissent recevoir également. Les participants à l’étude rapportent que les « poteaux » en question prennent le temps de parler d’eux aux autres. Caillé (2004) indique que la façon de créer du lien et des rapports de confiance est de tenter le pari du don. La réciprocité permet donc de tisser et de créer davantage de liens. Ce qui favorise la réparation des tissus sociaux et la diminution de la carence des liens sociaux (Frétigné, 2012).

De plus, Godbout et Hénaff (2003) soutiennent que la réciprocité n’est pas le soulagement d’un sentiment de dette; au contraire, c’est l’expression du désir de donner à son tour, ce qui peut être perçu comme une dette positive en quelque sorte. Les participants rapportent l’importance de s’ouvrir pour que l’autre puisse également s’ouvrir en référence à l’interconnaissance. Cela devient, pour plusieurs, une dynamique donnant/donnant. Cette dynamique rejoint celle de la réciprocité. C’est à l’intérieur de ces échanges que les liens se créent et qu’ils se maintiennent. Dans le contexte de leur pratique professionnelle, la réciprocité apparaît donc comme un processus continu de va- et-vient entre don, réception et retour (Causse, 2004; Hénaff, 2002; Pilote, 2007). À l’instar de ce que démontre la littérature sur le sujet, elle permet aussi d’augmenter la confiance et l’affection des acteurs de la relation (Molm, Takahashi et Peterson, 2000).

5.3.3 La réciprocité invite à la reconnaissance

La reconnaissance n’est pas étrangère à la dynamique du don et au lien social. Pour Honneth (2000), la reconnaissance existe lorsque les individus conçoivent qu’autrui « a un point de vue approbateur ou encourageant d’eux-mêmes comme des êtres de qualités et de capacités positives » (p. 208). Du moment où les personnes se reconnaissent entre elles, qu’elles s’accordent une valeur qui personnalise le type de rapport social qu’elles entretiennent les unes avec les autres, il est question de reconnaissance et l’on peut observer que le plus souvent la réciprocité est vraie. En allant dans ce sens, plusieurs participants racontent que certaines personnes souhaitent leur donner de la nourriture, des cadeaux ou encore leur offrir une de leur création artistique. Ce désir de donner s’inscrit généralement dans un besoin de manifester de la

reconnaissance, à l’égard de l’intervenant, de lui témoigner leur appréciation de ce qu’il fait et de signifier qu’il y a une forme de réciprocité dans leur relation. À leurs yeux, le travailleur de proximité est bien plus qu’un professionnel, ils le reconnaissent comme un être de valeur (Harber, 2004). Dans ces conditions, le lien social, créé et maintenu grâce à la réciprocité, est nourri par le don (Caillé, 2004; Godbout, 1992) ainsi que par la reconnaissance mutuelle (Hénaff, 2002).

Comme le propose Harber (2004 : 75), la reconnaissance réciproque est au cœur des rapports sociaux et prend naissance dans une activité relationnelle qui permet à deux individus d’exister comme sujets et de se reconnaître mutuellement, c’est-à-dire comme personnes et membres de la société. Lorsqu’une barmaid donne une limonade à un travailleur de proximité ou qu’un restaurateur lui offre un café en lui spécifiant ce qu’il apprécie dans sa présence, cela traduit une forme de reconnaissance. Ainsi, le don effectué libère les personnes de la préoccupation de la sauvegarde du lien pour centrer leur attention sur la valeur qu’ils s’accordent l’un à l’autre (Harber, 2004; Honnet, 2000). Aussi, le lien de participation organique (Paugam, 2008) qui se tisse dans le cadre de l’intervention de proximité met en valeur que les échanges dans un cadre professionnel peuvent aussi créer de la reconnaissance et même influencer l’identité des protagonistes en présence. Le fait d’estimer l’autre, qu’il s’agisse du travailleur de proximité ou de la personne du milieu, de le reconnaître comme ayant de la valeur, renvoie à l’idée de la reconnaissance formulée par Honnet (2000). Elle souligne l’importance d’un regard approbateur, positif, inconditionnel et non jugeant qui confère à l’autre, entre autres, une stature d’être de qualité. Ce qui permet aux liens de se renforcer et d’inscrire la relation

dans un rapport social plus subjectif pouvant s’apparenter à la communalisation (Weber, 1921).

La reconnaissance et la réciprocité s’insèrent donc dans un enchevêtrement de lien social de types participation élective et participation organique générées par le don, c’est-à-dire que la relation entre les protagonistes de l’intervention provient d’un choix des individus de l’instaurer et de l’entretenir. Le rapport entretenu bien qu’il soit issu d’un cadre institutionnel laisse place à l’intimité, aux confidences et au domaine du privé. Ce qui n’appartient pas habituellement aux relations institutionnelles.