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A la rencontre des écritures de « l’émigration/ immigration »

L’écriture, ses liens et ses marges

B- Filiations paternelles et écritures

2- A la rencontre des écritures de « l’émigration/ immigration »

Par la représentation de l’espace biographique paternel dans ses multiples dimensions culturelles, historiques et sociopolitique, l’œuvre de Nina Bouraoui semble à première vue tisser des liens avec certaines préoccupations des écrivains français descendants de la première génération maghrébine en France et dont les écrits ont vu le jour vers le début des années quatre-vingt.117 Ces auteurs se voient vite propulsés sur la scène médiatique française pour faire face à la gestion et l’émergence d’un espace littéraire marqué de paradoxes et de controverses. En effet, ce qui pourrait rapprocher Nina Bouraoui de ces écrivains est motivé par la posture de l’écrivaine qui dépasse quelque peu ses origines sociales qui, à l’évidence, ne sont pas les mêmes que celles de la plupart des écrivains « beurs » issus de milieux défavorisés. A cet effet, l’auteure,

117 Ce sont des auteurs qui s’inscrivent dans le contexte du mouvement social de « La marche des Beurs » pour l’égalité des droits et contre le racisme en 1983. Le terme « beur », d’abord lié à un esprit de rébellion, tend à être rejeté du fait de la stigmatisation qu’il évoque.

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d’après ses textes, se préoccupe davantage de « la situation du jeune Maghrébin dans la société française contemporaine ».118

En considérant de près les mécanismes par lesquels la critique tente de définir le champ littéraire « beur »119 on relève un mode de perception très éloigné des critères de l’objectivité. Ces textes sont réduits dans leur majorité à des thématiques figées (le témoignage autobiographique, l’identité circonscrite), et l’on peut alors se rendre compte des enjeux et des questions que ces écritures posent à la société française.

Ce qui est à relever sur ce point est la tendance à vouloir exclure cette littérature du champ littéraire français institutionnel. De ce fait, elle souffre d’un phénomène de marginalisation en rapport avec le paradoxe sur lequel elle s’est même construite. Cela apparaît dans la propension de ces textes à privilégier des formes discursives particulières et révélatrices d’une vision du monde basée sur des conflits sociopolitiques et historiques. Il s’agit à cet effet d’attitudes discriminatoires introjectées par des écrivains qui vont se constituer un espace littéraire perçu comme lieu de survie en tant qu’auteurs.

Ces écrivains ayant vécu des problèmes d’intégration et de discrimination liés à leur origine, s’expriment à travers des thématiques relevant principalement de revendications sociales et politiques, voire identitaires. Mais à l’instar de toute littérature née dans l’exil et au statut émergent, ces auteurs tenteront de s’affranchir des présupposés idéologiques et des lectures sociologiques les limitant à un espace bien défini.120 En voulant s’éloigner des nationalités et des territorialisations, cette littérature de la migration, qui traversera le temps et les cultures, s’inscrit dans la pluralité des écrits et des imaginaires telle que le soutient Homi K. Bhabha121. Et au-delà de la spécification autobiographique à valeur de témoignage qui la poursuit, la diversité formelle et thématique dont elle relève et qui l’affirme dans un espace créatif

118 LARONDE, Michel. Autour du roman beur : immigration et identité. Paris : L’Harmattan, 1993. P.6

119 Au sein du mouvement « beur » sont en effet nées d’autres groupes culturels avec des conduites urbaines particulières qui montrent que si leurs conduites tendent à échapper aux assignations identitaires, elles montrent également leur diversité culturelle qui ne correspond pas aux représentations traditionnelles dans lesquelles on tente de les enfermer, et donc de les exclure du champ culturel national ; ce qui a généré toutes ces revendications.

120 SEKHI, Habiba. « Identité rhizomatique ». Dans RINNER, Fridrun (Dir.). Identité en métamorphose dans l’écriture contemporaine. Marseille : PUP, 2006. (Col Textuelles littérature). P.137- 145.

121 BHABHA. Homi K. Les Lieux de la culture : Une Théorie postcoloniale[1994]. Trad. de Françoise Bouillot. Paris : Payot, 2007.

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inclassable, lui permet d’échapper aux désignations de : littérature « beur » ou encore « mineure ».122 Ces écrivains déjà intégrés et enracinés sont devenus désormais des acteurs de leur existence en s’inscrivant dans la culture française et sa diversité.

Dans ce sens Charles Bonn estime que :

Ce n’est que lorsque ces textes se seront accumulés que d’autres pourront développer des textes dont la dimension autobiographique de témoignage sera moins évidente, mais qui sauront jouer avec maîtrise littéraire sur les différents discours

qui fleurissent sur leur objet.123

Dévaluée, elle sera marginalisée et exclue des programmes scolaires et cette dévalorisation et infériorisation relève, selon Jacques Dubois, des mécanismes de l’institution littéraire qui consiste à ne pas lui accorder du crédit en exerçant : « un contrôle inégal sur les pratiques qu’elle délimite et qu’elle ne recouvre celles-ci que dans la mesure où elle leur impose son modèle d’exercice qui est à la fois un modèle de pouvoir et un modèle idéologique. »124

Constatant ce manque de légitimité dont souffre cette littérature, Habiba Sebkhi se demande si ces textes n’entreraient pas dans le cadre d’une littérature « naturelle »125 car, selon elle, leur :

Illégitimité se situe à deux niveaux. Elle est à repérer autour et à l’intérieur de la littérature beur. Elle se situe au sein de l’institution, de manière externe ; elle se manifeste ensuite de manière interne dans le tissu narratif. (…). Cette littérature, en effet est tantôt étiquetée maghrébine, tantôt arabe, tantôt

122 DELEUZE Gilles et Félix GUATARI. Kafka : pour une littérature mineure. Dans HARGREAVES, Alec G. « La littérature issue de l’immigration maghrébine en France : une littérature "mineure" ? ». Dans Charles BONN (dir.). Littérature des immigrations. 1 : Un mespace littéraire émergent. Paris : L’Harmattan, 1996, n°7. (Coll. Etudes littéraires maghrébines). P. 17-28.

123 BONN, Charles. « L’autobiographie maghrébine et immigrée entre émergence et maturité littéraire, ou

l’énigme de la reconnaissance ». Dans Martine MATHIEU (Ssdir.). Littératures autobiographiques de la

Francophonie. Paris : L’Harmattan, 1996. P. 203-222.

124 DUBOIS, Jacques. L’Institution de la littérature. Introduction à une sociologie. Paris/Bruxelles : Labor/ Fernand Nathan, 1978. (Coll. Dossiers Média), p.33.

125 SEBKHI, Habiba. « Une littérature" naturelle" : le cas de la littérature "beur "». Dans Nouvelles approches des textes littéraires maghrébins ou migrants. Itinéraires et contacts de cultures. 1999, n° 27. Paris : L’Harmattan. P. 27-42.

80 européenne, tantôt étrangère ; elle se trouve aussi répertoriée chez les libraires dans la section " immigration/racisme". Ce dernier cas est évidemment une éviction totale du champm littéraire même126.

Le Gone du Chaâba (1986) d’Azouz Begag, primé au salon du livre par

l’association de libraires spécialisés dans la littérature de jeunesse, reçoit un accueil favorable auprès des jeunes auxquels il se destinait. Il a été même porté sur scène127. Ce texte apprécié sur le plan littéraire, rencontrera par contre une désapprobation128auprès de certains établissements scolaires, comme l’indique Hargreaves. m

Mais, au-delà du déterminisme ethnique, sociohistorique et des thématiques auxquelles on l’a cantonnée, cette littérature montre aussi un autre visage, notamment avec des romans comme Le Marteau pique-cœur (2005) d’Azouz Begag et Le

Dromadaire de Bonaparte de Tassadit Imache (1995). Dans ces récits semble s’opérer

une réconciliation avec les origines et une recherche plus raisonnée et esthétique de la mémoire identitaire. Et sur ce point précis et malgré les divergences que l’on peut noter entre l’écriture de Nina Bouraoui et celle des écrivains dits « beurs », on peut s’accorder à la comparer à la pratique d’écriture d’Azouz Begag et à celle de Faiza Guène sur quelques points. Ce choix vise à montrer que d’une génération d’écrivains « beurs » à une autre, certains thèmes sensibles réapparaissent encore et révèlent d’autres sensibilités littéraires qui exploitent diverses modalités créatives.

- Tendances thématiques et renouvellement

Ce qui est pertinent à noter pour le cas de ces auteurs est que la part autobiographique de leurs textes est liée à l’expression d’une voix personnelle, qui libère une parole longtemps exclue au plan social et institutionnel. Leurs œuvres, par ce trait, vont apparaître largement préoccupées par la récupération symbolique de la scène culturelle française : espace de production et d’exclusion. Ainsi, pour exister et se rendre visible, ils tentent d’écrire et de s’écrire pour se recréer, et même en se marginalisant.

126Ibid.

127 Scénario de Christophe Ruggia.

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Le ton contestataire qui se manifeste dans Béni ou le paradis privé129d’Azouz Begag, Kiffe Kiffe demain130, de Faiza Guène et Garçon manqué, se lit comme une démarche compensatoire, autant chez Béni, personnage du roman de Begag, Doria, dans le cas du roman de Guène, ou encore chez Nina dans celui du récit de Nina Bouraoui. Mais si pour ces auteurs « beurs » la question est traitée par l’humour, le sarcasme et l’autodérision, qui peut s’expliquer par un désir d’alléger la souffrance provoquée par le sentiment d’exclusion et la volonté inévitable de s’intégrer dans la société française, dans le texte de Nina Bouraoui cela se présente davantage dans une attitude clairement frontale. En somme ces personnages-narrateurs mis en scène n’hésitent pas à s’insurger contre des attitudes et des propos racistes dont leur famille et eux-mêmes feront l’objet.

En dénonçant le regard raciste porté sur l’émigration par une certaine France nationaliste, la narratrice indignée de Garçon manqué tient à se solidariser des souffrances des émigrés :

(…) qu’on a dû vite loger dans des baraquements, des bidonvilles, des villages Sonacotra. Sans eau. Sans électricité. Ceux qu’on a humiliés. Qu’on a regroupés. Qu’on a isolés. Qu’on a tardé à instruire. Par peur de la révolte. Qu’on a exploités. Qu’on a ramenés d’Algérie. Comme une denrée. Des mains fortes. De la chair ouvrière. Des hommes. Puis leurs femmes. Ramenées. Comme des paquets. Par la poste. Par ces bateaux bondés. Dans une inhumanité certaine. Cette honte. Lente à accepter. À reconnaître. Cette honte française. Non, mon père est économiste. Tant mieux. Il voyage beaucoup. Ouf. C’est un Algérien diplômé. Bravo. Un haut fonctionnaire. Encore mieux. (p.109).

La teneur révoltée de ces propos et l’engagement qui s’en dégage trouvent leurs échos dans des scènes de l’enfance vécues dans le silence et l’impuissance à se défendre lorsqu’en compagnie de son père et sa mère, ils ont eu à essuyer des insultes racistes et humiliantes : « Le désert est en France. Il est immense et permanent. Il est en ville. Il est

129 BEGAG, Azouz. Béni ou le paradis privé. Paris : Seuil, 1989.

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à Paris même. Je n’existerai pas là-bas. Seule l’immigration dira l’Algérie. »(p. 36), et sur la même lancée elle poursuit :

Ce n’est pas soi qui compte. On n’arrive toujours à se soigner. A guérir. A se guérir de la haine des autres. C’est la mémoire de nos parents qui est importante. De la souffrance. De leur humiliation. (…). Leurs blessures transmises. Cet héritage-là. Ces regards sur eux, en France, en Algérie puis encore en France. Un jour j’entendrai à l’arrêt du bus 21, une femme dire en regardant mon père : Il y a trop d’Arabes en France. Beaucoup trop. (…). Mais rien. Mon silence. Mon père et mon silence. Lui non plus ne dira rien. (…). Moi je serai terriblement blessée par les mots de cette femme. (p.134).

Le désir de réparer cette offense subie s’exprimera pour la narratrice dans et par le besoin incontournable de l’écrire et l’importance de le dire publiquement, ce qmui dénote le rôle cathartique attribué à l’écriture. C’est en adulte et écrivaine médiatisée et au nom de l’enfant qui a tout intériorisé, que la narratrice-auteure inflige une puissance verbale au lecteur qui se reconnaîtra :

Bien sûr, qu’il ne fallait pas répondre. Je trouverai mieux. Je l’écrirai. C’est mieux, ça la haine de l’autre écrite et révélée dans un livre. J’écris. Et quelqu’un se reconnaîtra. Se trouvera minable. Rester sans voix. Se noiera dans le silence. Terrassé par la douleur. (p.136).

La mise en scène textuelle qui suit et l’expressivité qui s’en dégage participent aussi de ce refus d’assumer de telles attitudes discriminatoires. Par là, s’établissent des liens qui rattachent cette écriture à la littérature « beur »:

Oui, je l’aurais mon esprit de vengeance. Le même esprit que ceux qu’ils appelleront, un jour, beurs. On ne pourra plus dire Arabe, en France. On dira beur et même beurette. Ça évitera de dire ces mots terrifiants, Algériens, Maghrébins, Africains du

83 Nord. (…).Beur, c’est ludique. Ça rabaisse bien, aussi. Cette génération, ni vraiment française ni vraiment algérienne. Ce peuple errant. Ces nomades. Ces enfants fantômes. Ces prisonniers. Qui portent la mémoire comme un feu. Qui portent l’histoire comme une pierre. Qui portent la haine comme une voix un unique. Qui brûlent du désir de vengeance. Moi aussi j’aurais cette force. Cette envie de détruire. De sauter à la gorge. De dénoncer. D’ouvrir les murs. Ce sera une force vive mais rentrée. Un démon. Qui sortira avec l’écriture. (p.133).

Parmi les images similaires de discrimination raciale exprimées dans ces textes « beurs », on peut s’appuyer sur les situations narratives mettant en scène ce vécu.

Béni, durant son parcours de vie d’adolescent va croiser des policiers qui, pour l’humilier, l’interpellent « Mohamed » (p.62). Ses enseignants, à leur tour, exacerbent son sentiment d’exclusion lorsqu’ils le désignent par son vrai nom au sein d’une classe d’élèves qui ne partagent pas ses valeurs culturelles : « C’est toujours à cause de mon nom », se dit-il, qu’il est « (…) traité d’étranger devant toute la classe. », (p.43). Et à partir de cette accumulation de marginalité, qu’il ne peut plus gérer, il prendra la résolution de changer d’identité ; et de Ben Abdallah il devient Béni, sobriquet et jeu identitaire par lesquels le personnage efface quelque peu celle-ci d’une part, mais qui lui permettent par la même d’intégrer d’autre part le milieu social qui conditionne et impose cet état.

Chez Faïza Guène, le racisme se dévoile lors des contrôles de police effectués dans les cités lorsque le personnage Hamoudi, son ami et voisin, sensible à la poésie de Rimbaud, est pris pour cible: « Quand je vois les policiers qui fouillent Hamoudi près du hall, quand je les entends le traiter de « p’tit con », de « déchet », je me dis que ces types ne connaissent rien à la poésie », (p.28).

Nina Bouraoui, par la voix de sa narratrice, soulève cet aspect de la question certes, mais semble refuser catégoriquement l’étiquette d’écrivaine « beur» que certains lui attribuent. L’auteure ne semble pas se considérer représentative de cette littérature, selon Bivona :

84 Je ne suis pas beur, comme les journalistes le disent, c'est-à-dire les enfants des Algériens nés en France mais qui n’ont jamais connu l’Algérie. Ce n’est pas mon cas puisque je suis née en France, de mère française et de père algérien et j’ai vécu à Alger131.

De fait, si beaucoup de contradictions entourent l’inscription de Nina Bouraoui dans ce champ littéraire. L’écrivaine aspire elle aussi à rester dans l’entre-deux, tout en veillant à la réception de son œuvre.

D’autre part, on peut relever chez ces trois écrivains une autre réinscription de la figure paternelle132, dans le sens où une représentation moins contestée, plus nuancée et surtout non dévaluée du père se déploie. Le Marteau pique cœur d’Azouz Begag et

Durêve pour les oufs de Faïza Guène révèlent des pères attachants et respectés pour ce

qu’ils sont.

Pour Nina Bouraoui, on observe une autre image du père à partir de la deuxième période de son écriture : la phase autobiographique. Le père, malgré ses absences et son éloignement, est écrit à partir de ce vide laissé lors de ces voyages. Il est aussi, comme le montrent les récits de l’auteure, à l’origine de son écriture et une figure par laquelle elle tente de se raconter. Le fait de dénoncer la discrimination sociale et surtout raciale en France et de se constituer dans son écriture en sujet avec une identité sans cesse clivée est une manière de se reconnaître en partie dans la culture du père. Elle porte également sa voix, tout en admettant, non sans un sentiment de culpabilité, que la langue paternelle est une perte, du moment qu’elle en est exclue, le français étant sa langue maternelle. Cette impuissance linguistique vécue comme un malaise identitaire et une absence du père, semble avoir une valeur compensatoire lorsqu’elle s’est révélée ainsi

Je ne parle pas arabe. Ma voix dit les lettres de l’alphabet, â, bâ, tâ, thâ puis s’efface. C’est une voix affamée. C’est une voix étrangère à la langue qu’elle émet. (…).

131 BIVONNA, Rosalia. Nina Bouraoui : un sintomo di letteratura migrante nell’area franco-maghrébina,

op.cit., p.272.

132 Notons que la figure du père, structure symbolique d’autorité, a d’abord été l’objet d’un certain rejet, aussi bien dans les premiers textes beurs que dans ceux de la littérature maghrébine.

85 C’est une langue espérée qui ne vient pas. (…). C’est une langue qui s’échappe. C’est une fuite et un glissement. Je prononce le hâ et le rhâ si difficiles. Je reconnais les sons, el chekl. Mais je reste à l’extérieur du sens, abandonnée.

(…) . J’invente une autre langue. Je parle arabe à ma façon. (…). Je reste dans le mensonge, une habitude.

Cette langue qui s’échappe comme du sable est une douleur. (…). Elle rompt l’origine. (…). Je suis impuissante. Je reste une étrangère. (…). Mais je suis algérienne. (…). Je porte la main de Rabiâ sur mon visage fiévreux. Je porte la voix de Bachir qui appelle ses enfants. Cette voix est au dessus de tout. (…). Elle m’inclut à la terre algérienne. (p.13-14)133.

C’est l’une des raisons pour lesquelles l’écriture de Nina Bouraoui affirme des contradictions, accentuant ainsi son ambiguïté, ceci pour dire que son écriture est porteuse d’une altérité culturelle qui l’ouvre aux autres.

Faïza Guène, choisit la voix narratrice d’Ahlem, une jeune fille d’origine algérienne. A la suite de l’assassinat de leur mère par des terroristes, Ahlem et son petit frère Fouad rejoignent en France leur père, ouvrier dans le bâtiment. Comme dans le cas des romans « beurs » dans leur majorité, cette narratrice- personnage central du récit est représentative de la couche sociale émigrée en France vivant la double exclusion, celle du pays d’origine du père et celle de la France. Pourtant, son expérience personnelle douloureuse, telle qu’elle est retracée dans le récit, est exprimée avec distance et dignité. C’est avec une conscience aiguë des réalités qu’Ahlem présente son monde et ses contraintes. Elle doit s’occuper de son père, souffrant d’un handicap mental à la suite d’un accident survenu sur le chantier où il exerçait, mais également de son frère Fouad, adolescent qui risque de mal tourner. A cela, s’ajoute la recherche d’un éventuel travail conditionné par la fameuse carte de séjour et objet de multiples humiliations. En somme, ce qui est présenté est la critique sociopolitique de la vie des émigrés en France.

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Le moyen par lequel Faïza Guène y parvient est la mise en place d’une écriture procédant de l’ironie et de la dérision, perceptibles à plusieurs niveaux du texte comme : « (…) une volonté de démasquer et de dénoncer une réalité qui dérange134 ». Tout en essayant de comprendre ce qu’elle vit, le regard percutant de la narratrice sur sa réalité sociale et familiale révèle sa maturité, son sens des responsabilités et son attachement à sa famille malgré les injustices quotidiennement subies.

Il faut également souligner que Faïza Guène développe une écriture motivée par le besoin de mettre en scène et en action une figure féminine autonome qui s’éloigne des clichés superficiels représentatifs des banlieues françaises. La figure paternelle n’est