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Chapitre 3. Méthodologie

3.1. Constitution d’un corpus de données

3.1.1. Remontage des vases

Le remontage, qui consiste à regrouper les fragments appartenant à un même objet et à rassembler les fragments jointifs de ces objets (M. C. Berducou, 1990 : 32), représente un intérêt majeur pour la recherche archéologique et est souvent indispensable à l’étude du mobilier archéologique, comprenant les vases en céramique (M. Berducou, 1987 : 29). Il peut se limiter au rassemblement de quelques pièces trouvées conjointement, mais peut également intégrer les fragments d’un plus grand ensemble (M. C. Berducou, 1990 : 33), comprenant des fragments de très petite taille nécessaires au rassemblement des fragments de plus grandes tailles (Chavigner, 1990 : 40) et rassemblant un nombre indéterminé d’objets incomplets en

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trois dimensions (Bergeron, 2007 : 19). Basée sur des notions de conservation archéologique, soit les facteurs mis en place afin de prolonger l’existence de biens culturels (M. C. Berducou, 1990 ; 5), le remontage et la restauration de la céramique, dont l’apport à la connaissance scientifique est indéniable, constituent un domaine peu abordé dans la documentation scientifique (M. C. Berducou, 1990 : 3) et en particulier dans le Nord-Est américain (Bergeron, 2007 : 16). En effet, outre la présence de quelques mentions d’objets restaurés destinés à illustrer les objets retrouvés sur des sites archéologiques, la restauration de la céramique n’a fait l’objet, au Québec, que d’une seule publication par le centre de conservation du Québec (Bergeron, 2007). Si le remontage est parfois utilisé pour l’étude des vases d’un site archéologique, la grande variabilité observée dans les vases domestiques du site McDonald, caractéristique d’un assemblage céramique du XIVe siècle (Clermont, 1995b), devrait permettre de démontrer la pertinence d’effectuer un remontage à grande échelle sur les sites archéologiques du Sylvicole supérieur.

L’objectif principal de cette méthode vise à évaluer quantitativement le plus précisément possible le contenu matériel de l’assemblage archéologique en évaluant le nombre d’unités d’analyse, ou d’«équivalents de vases», présents dans ce dernier, c’est-à-dire le nombre de vases, ou de portions de vases différents présents dans l’assemblage étudié. Cette méthode présente certains avantages puisque, contrairement aux autres méthodes, telle que la méthode du «nombre de restes» (NR), cette dernière n’est influencée ni par la fragmentation différentielle des tessons, c’est-à-dire des fragments de céramique, puisqu’un vase plus fragmentaire entraînerait une surévaluation de ce dernier, ni par le poids différentiel entre deux vases de tailles différentes, lorsqu’un vase de plus grande taille surévalue ce nombre (Desbat et Schmitt, 2003 : 46). La composition d’unités d’analyse plus complètes vise ainsi à maximiser le nombre d’unités d’analyse tout en évitant les biais occasionnés par la présence de fragments de petite taille qui pourraient dissimuler la présence d’éléments qui ne se perpétuent pas sur l’ensemble du vase, tel que la présence d’une variation stylistique à l’intérieur d’un même registre décoratif(Figure i), ou encore la présence d’une crestellation, c’est-à-dire d’une projection verticale de la lèvre du vase et pouvant présenter un décor particulier (Curtis, 2004 : 45; Ramsden, 1990 : 368; Rye, 1981 : 11). Dans le cas présent, les fragments utilisés pour ces remontages ont été regroupés à partir de l’ensemble des fragments

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de céramique décorés, ainsi que des tessons de corps non décorés afin de reconstituer les vases le plus intégralement possible. Compte tenu de la fragmentation importante observée sur les sites archéologiques iroquoiens, les tessons de corps non décorés sont rarement étudiés en association avec le reste du vase, bien qu’ils représentent la majorité de l’assemblage céramique (Rice, 1987 : 223). La pratique du remontage permet également d’avoir un aperçu des processus taphonomiques. Bien que la définition de la taphonomie ne soit pas unanime, dans le cas présent, les processus taphonomiques sont définis comme des processus naturels ou anthropiques mis en place sur le site archéologique et ayant pu intervenir sur la distribution spatiale des fragments à la suite de leur déposition dans le sol, ainsi que sur leur état de conservation (M. C. Berducou, 1990 : 33; Mercier, 1990 : 65; Rye, 1981 : 11; Schiffer, 1987; Schiffer, Hollenback, Skibo et Walker, 2010; Texier, 2000 : 379-380). Par conséquent, bien que l’étude de la taphonomie soit plus souvent associée à l’étude des restes organiques, elle s’applique également aux autres matériaux archéologiques (Coumont, Thiébaut et Averbouh, 2006), notamment la céramique. L’étude de la distribution spatiale des tessons d’un même vase permet donc de proposer des hypothèses sur les processus ayant pu influencer cette distribution, notamment en ce qui concerne la gestion des déchets par les individus ayant occupé ce site, autant à l’intérieur d’une habitation que dans l’utilisation des dépotoirs et, en l’absence de données stratigraphiques ou de datations, de reconstituer la séquence d’occupation d’un site en associant des structures contemporaines (Timmins, 1997 : 61).

L’identification des fragments constitue une première étape dans la pratique du remontage (M. C. Berducou, 1990 : 7) étant donné que cette méthode permet de réduire le nombre exponentiel de combinaisons possibles pour l’agencement des fragments. Ainsi, les tessons de bord, portion du vase qui est le plus souvent décorée (Rice, 1987 : 222), ont d’abord été systématiquement comparés les uns aux autres, en tenant d’abord compte des différents registres décoratifs, puis en élargissant la comparaison à la totalité des tessons de bord, comprenant les tessons dont seule la paroi interne était visible. Ces fragments ont ensuite été comparés à l’ensemble des tessons de corps décorés. L’objectif de cette démarche était encore une fois de maximiser les unités d’analyses étudiées en constituant des unités d’analyse à

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partir d’un fragment de bord non analysable2. Le nombre de fragments de corps non décorés étant nombreux, seul un échantillon a été pris en compte lors du remontage des vases. Les unités analysables ont systématiquement été comparées aux tessons de corps non décorés appartenant à des cols et provenant des puits associés à ces unités d’analyse. Par exemple, une unité analysable comprenant des fragments de trois puits distincts a été comparée aux fragments non décorés de ces trois puits. Pour terminer, certains vases dont les caractéristiques les rendaient plus facilement identifiables ont fait l’objet d’un effort supplémentaire afin de reconstituer la panse le plus entièrement possible. C’est le cas, par exemple du vase #59 (Planche 1) doté d’une couleur très foncée, d’une paroi très mince (4,25 mm pour le col et la panse) et d’un dégraissant principalement composé de mica.

Étant donné la fragmentation importante de la céramique iroquoienne déjà évoquée, le nombre exponentiel de combinaisons qui en résulte, et l’état incomplet des fouilles archéologiques, un remontage complet de ces vases est pratiquement impossible. Cependant, afin de remonter ces unités d’analyse le plus fidèlement possible et de limiter au maximum les problèmes qui pourraient être créés lors de ce remontage, le positionnement d’un maximum de pièces a été effectué avant que ne soit effectué le recollage de ces dernières afin de prévoir le rassemblement des pièces subséquentes (Orton, Tyers et Vince, 1993 : 57). Cette méthode avait également pour objectif d’éviter que les espaces laissés vides entre les fragments ne soient composés d’angles aigus qui rendraient impossible l’ajout de pièces découvertes ultérieurement et destinées à s’y insérer (M. C. Berducou, 1990 : 33; Cronyn, 1999 : 158). Les pièces ont été jointes à l’aide d’une colle blanche non permanente afin de permettre la reprise de ces remontages si des remontages plus complets devaient s’avérer possibles (M. Berducou, 1987 : 29). La liaison entre ces fragments ne doit pas non plus être plus résistante que les tessons, car leur remontage pourrait entraîner de nouvelles fractures (Cronyn, 1999 : 90-91). Hélas, compte tenu du temps investi et de l’intérêt à garder en place les différentes pièces (Cronyn, 1999 : 152) dont la fragmentation importante demanderait un travail tout aussi important si de nouvelles analyses devaient être effectuées, certaines pièces ont éventuellement été recollées aux assemblages et ce, malgré la présence d’angles aigus. Cette

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méthode permet également de limiter l’abrasion de ces fragments dont l’état de conservation les rendrait susceptibles de s’endommager davantage (Cronyn, 1999 : 152).

Les vases ont d’abord été remontés en débutant par la partie supérieure de ces derniers, plus précisément par les bords (M. Berducou, 1987 : 30), puisque la forme caractéristique des vases du Sylvicole supérieur présente une plus grande variation au niveau de la lèvre et du parement que dans le reste du vase. Cette méthode est également favorisée par la constitution d’unités d’analyse plus complètes qui constitue un des objectifs de ce travail de remontage. Lors du remontage, l’utilisation de fragments pouvant être enclavés ou d’un regroupement de plusieurs fragments permet de faciliter le remontage et de respecter la courbure de ces vases (M. Berducou, 1987 : 30). C’est donc pour cette raison que le remontage de la panse de certains vases est envisageable lorsque les fragments sont suffisants.

L’impossibilité de remonter l’ensemble des fragments d’un vase s’explique entre autres par la nature friable de cette matière, mais également par les processus taphonomiques et les méthodes de fouilles qui ne permettent pas la récolte des plus petits fragments, et ce, malgré l’utilisation de tamis. Malgré tout, des appariements peuvent cependant être proposés afin de contrer ces lacunes, c’est-à-dire le rassemblement des fragments non consécutifs d’un même vase. Cette méthode se base sur les caractéristiques de ces mêmes fragments, notamment par l’observation du dégraissant présent à l’intérieur de ces vases qui, dans le cas du site McDonald, s’avère pratiquement différent pour chacun des vases que ce soit par sa nature, sa taille ou sa quantité.

Comme il a été indiqué précédemment, le remontage des fragments de céramique s’avère pertinent dans la compréhension des processus en place sur un site archéologique. Le remontage de la céramique à l’échelle d’un site est un exercice qui fut déjà effectué par Timmins (1997) pour l’étude du site Calvert, entre autres. Au cours de son étude, ce dernier a démontré qu’il est plutôt rare de retrouver les fragments d’un même vase à l’intérieur de l’espace occupé par deux habitations, mais que cette situation demeure possible. Bien qu’il demeure parfois hasardeux de proposer des hypothèses concernant cette répartition spatiale, le remontage peut ainsi s’avérer pertinent dans la compréhension du mode d’occupation d’un site

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et plus précisément dans l’étude de la gestion des déchets à l’intérieur d’un site, notamment dans l’association des dépotoirs avec les maisons-longues correspondantes. Ainsi, contrairement aux premières observations réalisées par Gagné (2010 : 64), dans la présente analyse le remontage a été effectué sans aucune distinction entre les différentes structures d’habitations.