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B. Le rattachement de la géothermie à la régale cantonale sur les mines

V. Remarques finales

La géothermie jette une lumière crue sur les problèmes que soulève la délimitation de la propriété privée par rapport au domaine public en application à l’art. 667 al. 1 CC. D’autres questions, voisines, ont trait à la délimitation des compétences entre Confédération et cantons. On a suivi plusieurs pistes pour tenter de résoudre ces difficultés.

Certains auteurs, retenant une approche a priori littérale et dynamique (en dernier lieu ABEGG /DÖRIG, 2018), estiment que le développement de la géothermie correspond désormais à un intérêt objectif du propriétaire, conduisant à une extension de la profondeur utile de la propriété privée au sens de l’art. 667 al. 1 CC ; peu importe que cela aboutisse à repousser une telle limite à une profondeur de quelque 500 mètres. Avec le progrès technique, on pourrait d’ailleurs assister dans le futur à une poursuite de cette fuite en profondeur ; en fin de compte, la solution du droit suisse dans une telle approche serait peu à peu très similaire à celle d’autres ordres juridiques où la propriété s’étend « usque ad inferos » et y paralyse potentiellement les usages publics contraires.

Une autre voie consiste à donner une réponse spécifique pour la géothermie, en l’attribuant à la régale des mines. Certains cantons paraissent avoir choisi de suivre cette piste ; mais ils la limitent aussitôt, en règle générale, à la géothermie profonde (soit au-delà de 500 mètres). Le problème de délimitation découlant de l’art. 667 al. 1 CC ressurgit alors à moins d’admettre que la propriété privée s’étend désormais jusqu’à une profondeur de quelque 500 mètres, comme le veulent les tenants de la première solution.

La présente contribution suit en fin de compte une autre piste, celle-ci ayant une valeur toute générale et non pas limitée à la seule thématique de la géothermie. En substance, il convient d’admettre que les cantons ont la compétence de compléter l’art. 667 al. 1 CC par des dispositions de droit public fixant de manière plus précise la limite entre propriété privée et domaine public souterrain. Ils pourraient ainsi adopter une norme fixant une cote de profondeur, au-delà de laquelle on pénétrerait dans le sous-sol public.

Bien que les législateurs cantonaux, à l’occasion de leurs travaux récents,

47 D’ailleurs, l’art. 2 al. 2 de la loi bernoise réserve cette disposition. La structure-modèle de loi cantonale sur les constructions (Office fédéral du développement territorial, document du 16 octobre 2017) propose, en variante, la même solution. Il en résulte que le régime correspondant relève d’un monopole de droit (alors que pour le surplus le sous-sol public fait l’objet d’un simple monopole de fait).

n’aient pas repris cette voie, la présente étude renouvelle cette proposition, qui pourrait déboucher sur une clarification significative de la question de la limite entre propriété privée et sous-sol public.

Bibliographie

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L’indemnisation du propriétaire en cas d’ouvrage souterrain

FRÉDÉRIC BERNARD*

Chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Genève, Avocat au Barreau de Genève

I. Introduction

Afin de cerner le champ de la présente contribution, il convient de procéder aux trois distinctions suivantes.

La première distinction découle du type de bien-fonds concerné. En effet, les règles applicables à une utilisation du sous-sol seront différentes selon qu’est en cause un terrain soumis au droit privé ou un terrain faisant partie du domaine public1. Si le fonds relève du domaine privé, le régime souterrain du fonds sera défini par les règles du Code civil relatives à la propriété (art. 655 ss CC).

En revanche, si le terrain appartient au domaine public, il sera essentiellement régi par le droit cantonal, en application de l’art. 664 al. 3 CC2. Chaque collectivité disposera alors de règles traitant des empiètements souterrains sur son domaine public3. Ainsi, par exemple, dans le canton de

* L’auteur remercie Me Jean-Marc SIEGRIST de sa relecture attentive de la présente contribution.

1 Le domaine public comprend « l’ensemble des biens qui peuvent être utilisés librement par tout un chacun » (SJ 2001 I 557). Voir également Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., Genève 2018, pp. 69-70. En revanche, le fait qu’une collectivité publique soit propriétaire d’un fonds ne signifie pas automatiquement que ce dernier appartient au domaine public, notamment si ledit fonds relève du patrimoine financier ou du patrimoine administratif de la collectivité. Voir, par exemple, Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, Bâle 2014, pp. 526-528.

2 « La législation cantonale règle l’occupation des choses sans maître, ainsi que l’exploitation et le commun usage des biens du domaine public, tels que routes, places, cours d’eau et lits de rivières. » Comme le précisent Pierre MOOR/François BELLANGER/Thierry TANQUEREL, Droit administratif, vol. III : L’organisation des activités administratives. Les biens de l’Etat, 2ème éd., Berne 2018, p. 648, il n’existe qu’un véritable domaine public fédéral, le réseau des routes nationales institué en 2006 par les articles 6 et 8 de la loi fédérale sur les routes nationales.

3 Le fait qu’un immeuble appartienne au domaine public n’interdit cependant pas son expropriation, en vertu de l’art. 7 al. 1 de la loi fédérale sur l’expropriation (LEx ; RS/CH 711). Voir ATF 116 Ib 241 c. 3. Consulter également Matthieu CARREL, Le régime du sous-sol en droit suisse : Planification - Exploitation – Construction, Zurich 2015, pp. 81-84.

Genève, une installation souterraine sur le domaine public est sujette à une taxe fixe de CHF 1000.- par mètre carré4.

La deuxième distinction a trait à la nature de l’acteur réalisant l’ouvrage, car les règles applicables différeront selon que le « maître d’ouvrage » est un acteur privé ou une collectivité publique. Dans le premier cas, le litige sera de nature purement privée et régi par les règles du Code civil5 ; dans le second, le litige basculera vers les règles de droit public, et plus particulièrement les normes fédérales ou cantonales relatives à l’expropriation.

Enfin, il convient de distinguer la question de l’indemnisation du propriétaire pour un ouvrage souterrain construit sur son propre fonds de celle, fréquente également en pratique, dans laquelle un propriétaire se plaint d’immissions excessives en provenance d’un fonds voisin. Une telle hypothèse se rencontre, par exemple, dans le domaine des nuisances sonores causées par l’aviation civile. Le cœur de la problématique sera alors constitué par les règles du Code civil sur les droits de voisinage6.

Dans la présente contribution, nous nous proposons de nous concentrer sur la situation du propriétaire foncier privé dont le terrain est directement touché par un ouvrage souterrain public soumis au droit fédéral.