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Histoire et héritages

Dans le document Maniema. Espace et vies (pdf - 13 MB) (Page 26-0)

6. La faune

1.2. Histoire et héritages

Le Maniema est aujourd’hui une entité administrative.

Elle a été détachée des deux Kivu (Nord et Sud) en 1988.

Trois articulations distinctes marquent son histoire : celle des Arabo-Swahilis, celle de la colonisation belge et celle qui débute avec l’indépendance du Congo.

1.2.1. Les Arabo-Swahilis : une page de l’histoire du Maniema

L’appellation des traitants esclavagistes venus des côtes africaines de l’océan Indien n’a pas toujours fait l’unanimité. Certains auteurs les ont désignés sous le vocable d’« Arabes » [(Cornet, R. J. 1952 ; Ceulemans, P. 1959 ; Abel, A. 1960 ; et même Verhaegen, B. 1969)].

D’autres, notamment les explorateurs, les appelaient Wa Swahili ou Wa-Souahéli [Livingstone, E. Foa, Cameron].

Ndaywel I. (1998) les appelle Swahilis. Kimena Kekwaka (1984) et F. Kabemba Assan (1987) utilisent le terme d’Arabo-swahilis. L’aire historique swahilie s’est propagée à partir de la côte orientale de l’Afrique en fonction de la recherche de l’ivoire et des esclaves, et s’est étendue au Maniema vers le milieu du xixe siècle.

À cette époque, l’approvisionnement de la côte en ivoire et en esclaves a été compromis par les guerres et les mahongo (droit de passage) instaurés par des chefs africains. Les Arabo-Swahilis se virent dès lors obligés d’étendre leur zone d’exploitation. Dès les années 1835-1840, des populations habitant la rive occidentale du lac Tanganyika (Bembe, Vira …) commerçaient déjà avec les

Arabo-Swahilis. À cette époque, ceux-ci étaient établis à Ujiji sur l’autre rive du lac Tanganyika. Dans la seconde moitié du xixe siècle, les Arabo-Swahilis étendirent leur zone d’exploitation à l’intérieur du continent. Ils s’établirent à Tabora à partir d’où ils pénétrèrent dans la région du lac Tanganyika et au Katanga. Le Maniema, qui était riche en ivoire, fut atteint par l’expansion des Arabo-Swahilis à cette époque.

Leurs expéditions, qui pénétrèrent au Maniema vers 1858-1860, partirent de Mtoa en passant par la région des Bembe. À l’intérieur du Maniema, l’installation des Arabo-Swahilis s’effectua en trois temps. D’abord ils s’établirent au sud chez les Bangubangu, Benye Mamba, Zula et Kwange.

À partir des années 1865, les Arabo-Swahilis se dirigèrent vers le nord et le centre du Maniema. De chez les Binja, ils atteignirent la région des Lega et des Songola. C’est de là qu’ils arrivèrent chez les Komo et les Langa.

L’installation des Arabo-Swahilis à Nyangwe était dictée par des raisons économiques, même si des facteurs politiques locaux y ont contribué. Informé de leur arrivée à Mwanakusu et surtout de l’efficacité de leurs armes, le chef Lualaba Nongoya Kipopo de Kimbelenge invita les Arabo-Swahilis à venir chez lui. Il leur affirma que sa région était riche en ivoire, que la sécurité était assurée et exclues les attitudes belliqueuses de Benye Mbale, un clan rival avec lequel il était souvent en conflit. Il persuada les

chefs Kasongo Luhusu, Marungu Makombe ou Katende Telwa de laisser passer les Arabo-Swahilis. Assez vite, aidé par les Arabo-Swahilis, il atteignit son but en organisant une expédition contre les Benye Mbale qu’il soumit. Après un séjour passé chez Pene Buki, Mukandilwa et Tambwe Mwimba, apparentés à Nongoya Kipopo, les Arabo-Swahilis sollicitèrent de ce dernier un appui pour aller résider dans ces villages situés à l’embouchure de la rivière Kunda et au bord du fleuve Lualaba où se tiennent à proximité des marchés comme Tanganyika, Malela et Nyangwe64.

Mwinyi Dugumbi, un traitant zanzibarite réussit avec son compagnon — un autre zanzibarite nommé Abed bin Salim — à pénétrer dans le Maniema via Ubwari, et s’installa à Nyangwe vers 186065. Selon I. Ndaywel, le choix de ce lieu fut probablement motivé par l’existence d’un grand marché périodique où il était interdit de commettre un quelconque acte hostile envers ceux qui s’y rendaient

64 BUYUNI wa MWAMBA, Les Arabo-Swahili dans le Bukwange (Maniema) : Pénétration, installation et conséquences (1860-1933), Mémoire de licence, ISP/Bukavu, 1985.

65 P. CEULEMANS affirme que Mwinyi Dugumbi s’est installé à Nyangwe en 1869. Mais deux thèses de doctorat, celles de KIMENA Kekakwa (1984) et de KABEMBA Assan (op. cit.) sont formelles : l’établissement des Arabo-Swahilis à Nyangwe daterait de 1860.

NDAYWEL dans son Histoire générale du Congo reprend la même date de 1860.

Nyangwe : plaque commémorative de la bataille antiesclavagiste datant de la période coloniale. (Photo février 2009.)

Schéma réalisé par les auteurs, MrAC 2010.

ou qui en revenaient66. Plus tard, sous le régime des Arabo-Swahilis venus à la suite de ces premiers pionniers, ce centre deviendra le principal marché des esclaves dans le Maniema.

Les négociants zanzibarites étaient les bienvenus parce qu’ils fournissaient aux autochtones des articles tels que des fusils et de la poudre, mais également des tissus, des perles et d’autres produits de beauté.

De Nyangwe, les traitants arabo-swahilis pénétrèrent dans la grande forêt équatoriale du nord du Maniema.

Après quelques années, les relations entre les natifs et les Arabo-Swahilis se dégradèrent, surtout lorsque ceux-ci, propriétaires des établissements d’une certaine importance, voulurent s’immiscer dans les affaires politiques des autochtones et imposer leur volonté afin de protéger leurs intérêts commerciaux. Dès ce moment, les principaux traitants arabo-swahilis installés dans le « Maniema historique » entamèrent une véritable économie de prédation, se livrant à des campagnes de razzia d’esclaves et d’ivoire.

Le plus important et le plus puissant de ces traitants fut sans conteste Tippo-Tip. De son vrai nom Hamed-Ben-Mohamed el-Mujerb, il s’agit d’un métis né à Zanzibar de l’union de Juma-Ben-Rajab, un Arabe de Mascate venu à Zanzibar pour y chercher fortune, et d’une autochtone de la côte67. Très entreprenant, endurant et tenace, il parcourut presque toute la partie est du bassin du Lualaba depuis le Katanga jusqu’aux Stanley-Falls (Kisangani) en passant par le Kasaï et le Maniema, réussissant à mettre sous sa coupe d’immenses territoires. P. Ceulemans délimite ses

« possessions » de la manière suivante :

« Les possessions de Tippo Tippo étaient situées aux environs de Stanley-Falls, à Kasongo, sur toute la rive gauche du Congo jusqu’à Isangi, et au confluent du Lomami et du Congo68. »

Tippo-Tip établit sa capitale à Kasongo dans le Maniema méridional qui, selon lui, occupait une position centrale par rapport à toutes ses possessions. Mais il n’y

66 NDAYWEL è NZIEM, I., Histoire générale du Congo. De l’héritage ancien à la République démocratique, Paris, Éd. Duculot-ACCT, 1998, p. 235.

67 NDAYWEL è NZIEM, I., op. cit., p. 48.

68 Cité par NDAYWEL, op. cit., p. 49 et CEULEMANS, P., La Question arabe et le Congo, op. cit.

demeura pas souvent, car ses activités le poussèrent à voyager énormément. C’est lui personnellement qui aida Stanley à descendre le Lualaba jusqu’aux Stanley-Falls. Son remarquable sens de l’organisation et sa puissante emprise sur ses territoires poussèrent d’ailleurs les autorités de l’EIC à en faire le wali (gouverneur) de cette contrée du Maniema69. En son absence, c’est son fils Sefu qui gérait ses affaires à Kasongo. Outre son fils, Tippo-Tip confia aussi la gestion de ses possessions aux membres et aux proches de sa famille. Ainsi, comme l’évoque P. Ceulemans, il installa comme sultani (sultans ou encore dignitaires) dans d’autres centres70 :

— son neveu Rachid, qui le remplacera comme gouverneur à Stanley-Falls en 1890 ;

— son fils adultérin Selim-Ben-Massudi et son demi-frère Mohamed-Ben-Saïd-Ben-Hamed-Ben-Mujerbi, alias Bwana Nzige, père de Rachid résidant aux Falls ;

— son autre fils adultérin, Selim-Ben-Hamed, et son gendre Saïd, qui s’installèrent à Yambinga ;

— son neveu Abibu-Ben-Saïd qui occupa pendant un temps le poste d’Isangi sur le Lomami ;

— son autre neveu Saïd-Ben-Ali, qui s’établit à Yambuya sur l’Aruwimi.

En dehors de sa famille, Tippo-Tip eut également recours à certains de ses fidèles sujets pour gérer ses affaires. Parmi eux, citons71 :

— Mohamed-Ben-Ghalfan alias Rumaliza, ancien sujet devenu plus tard associé qui résida à Ujiji et commanda tous les postes sur le lac Tanganyika ;

— Ghalfan-Ben-Zohar qui opéra dans l’Itimbiri au Nord-Ouest.

69 Pour plus d’informations, lire l’autobiographie de Tippo-Tip : BONTINCK, F., L’Autobiographie de Hamed ben Muhammad el Mujerbi Tippo Tip, Bruxelles, ARSOM, 1974, qui s’inspire largement d’un texte swahili dicté par Tippo-Tip et publié en 1902, sous le titre Autobiographie, M.S.O.S., Berlin, 1903, pp. 175-27. Mais lire également BRODE, H., Tippoo Tib, Londres, 1907.

70 CEULEMANS, P., op. cit., pp. 49-50.

71 Idem, p. 50.

Mais il n’y a pas que les Arabo-Swahilis que Tippo-Tip utilisait. Certaines affaires étaient également confiées à des serviteurs autochtones de la côte, notamment à :

— Ali-Mohamed (alias Karonda-Mirambo), homme de confiance de Tippo-Tip qui opéra au nord de l’Aruwimi ;

— Kipanga-Panga et Mawute qui opérèrent sur l’Uélé ;

— Mirambo qui opéra sur le Bomokandi ;

— Mwinyi-Mania qui opéra sur le Maringa ;

— Chibou et Senia qui dirigèrent les esclaves sur les plantations des Falls.

Tippo-Tip ne fut pas le seul chef arabo-swahili du Maniema. Un autre chef aussi puissant, métis comme lui, fut

Mwinyi-Mtagamoyo-Ben-Sultani, alias Mwinyi-Mohara. Il vivait

à Nyangwe. Ses possessions s’étendaient entre la rivière Kasuku et la localité de Nyangwe, ainsi que sur les régions comprises entre les localités de Faki et Yanga sur le Lomami.

Il avait, comme associés, son fils Mwinyi Pemba établi à Chari sur la Lomami, et son sujet Mzelela, qui résidait à Riba-Riba (actuellement Lokandu). Contrairement à Tippo-Tip, Mwinyi-Mohara n’a jamais coopéré avec les autorités de l’EIC. Bien au contraire, il les combattit et fut à la base du massacre de l’expédition Hodister. Après la chute de Kabambare aux mains des troupes de l’EIC, il s’enfuit et fut tué à la bataille de Goia-Kapopa72.

La carte de dispersion des lieutenants de Tippo-Tip ci-dessous montre qu’il y eut débordement de l’espace initialement désigné par les explorateurs comme constituant le Maniema. Beaucoup d’historiographes des Arabo-Swahilis, dont P. Ceulemans, n’hésitent d’ailleurs pas à associer le « domaine » de Tippo-Tip et de ses lieutenants au Maniema historique.

72 Idem, p. 51.

espace occupé par les lieutenants de Tippo Tip.

Source : CeuLeMANS, P., La Question arabe et le Congo (1883-1892), Bruxelles, ArSC, 1959.

Tippo-Tip, HP.1957.53.564. (coll. MrAC Tervuren)

En dehors des territoires contrôlés par Tippo-Tip, il y a lieu de signaler aussi les régions qui furent exploitées indirectement, sans être occupées. C’est le cas de la région des Kusu. Celle-ci, bien que non peuplée par des Arabo-Swahilis, était exploitée par l’entremise de leurs alliés locaux. Ainsi en est-il de Ngongo Leteta. Celui-ci qui, après un temps s’émancipa de Tippo-Tip (et Sefu), était au départ un chef de bande à son service dans la région de Kibombo et surtout de l’autre côté de la rivière Lomami.

Dans l’ensemble, l’arrivée des Arabo-Swahilis apporta des changements dans le mode de vie des populations locales.

Du point de vue de l’habitat, tout d’abord, les Arabo-Swahilis habitant au Maniema avaient des maisons fortifiées appelées bisusi et des boma. Dans sa thèse, Kabemba met à l’actif des Arabo-Swahilis le mode de construction des habitations. Ce sont des maisons rectangulaires avec un toit à deux pentes qui ont remplacé les huttes circulaires de l’époque antérieure.

Les Arabo-Swahilis sont à l’origine de la construction des maisons dites mukongo ya tembo (littéralement : dos d’éléphant) que l’on retrouve aujourd’hui partout au Maniema.

I. Ndaywel fait état de l’apport de « certains remèdes connus dans le monde arabe et efficaces pour enrayer certaines maladies tropicales73 ». En réalité, il s’agirait davantage de mesures d’hygiène plutôt que de médicaments, comme le souligne F. Kabemba. Les Arabo-Swahilis aménagèrent, en effet, au sein de leurs habitations plusieurs infrastructures sanitaires qui ne faisaient pas partie des habitudes des autochtones. On leur doit les water closed dits « fosses arabes », ainsi que le développement des puits d’eau potable. En matière urbanistique, ils léguèrent également l’aménagement des agglomérations où ils résidaient en nombre avec comme effet bénéfique une concentration démographique assez importante, et donc une plus grande potentialité de développement régional.

I. Ndaywel signale que Nyangwe et Kasongo comptaient respectivement 60.000 et 30.000 habitants à la fin du xixe siècle74.

En ce qui concerne l’agriculture, les Arabo-Swahilis sont à la base de l’introduction de nouvelles productions agricoles et pastorales qui accrurent les

73 NDAYWEL è NZIEM, I., op. cit., p. 247.

74 Ibidem.

échanges commerciaux. Ils ont, par exemple, introduit des variétés de manioc, d’arachides, de canne à sucre.

Certains marchés, dont Nyangwe et Kasongo, devinrent hebdomadaires et très fréquentés par un nombre important de personnes venues d’autres régions du Maniema. P. Ceulemans mentionne également comme innovations sur le plan agricole l’introduction d’arbres fruitiers tels que les manguiers, les orangers et les citronniers, de céréales comme le riz et le sorgho, d’oléagineux comme l’arachide, etc75.

À Kasongo, tout le pourtour de la rivière Kabondo avait été cédé aux Arabo-Swahilis par le chef local Kasongo Luhusu. À la périphérie de Nyangwe s’étendaient aussi de vastes champs. Sur le pourtour du poste de Kabambare s’étendaient de vastes champs d’arbres fruitiers et des plantes potagères, le poste satellite de Kabonga était entouré de jardins de légumes, de tomates et d’oignons. Ces espaces conquis ou acquis étaient des endroits de contrainte et d’exploitation des esclaves autochtones. Ce fut un développement agricole en îlots de centres d’activités agricoles : seules les résidences des Arabo-Swahilis avaient bénéficié de cet essor agricole.

Trois facteurs expliquent ce bond agricole : l’utilisation de nouvelles techniques, l’emploi massif et contraignant des esclaves et l’introduction de nouvelles plantes.

1. Les nouvelles techniques consistaient en la pratique des cultures intensives sur brulis reposant sur le déboisement de la grande forêt du Maniema. La culture du riz a nécessité le déboisement de vastes champs. À Kasongo, dans les lits de la rivière Kabondo, les esclaves, sous le contrôle des Nyampara, irriguaient méthodiquement et drainaient les fonds humides pour pratiquer la culture des plantes potagères.

2. Ces travaux exigeaient une force esclavagiste encadrée et contrôlée. « À Kasongo, écrit M. Burahimu, un règlement strict encadrait les esclaves : rassemblés au coup de gong ils étaient conduits ensemble sur terrains et ramenés ensemble. Les esclaves faisaient toutes les cultures.

Le matin, le gong était frappé à 5 heures. Les travailleurs

75 Il existe à Kasongo dans le quartier dit Tongoni, un verger d’orangers aux bords du ruisseau « Maïti ». Les informations que nous avons reçues indiquent que ce verger appartenait à Sefu, le fils de Tippo-Tip. Ce verger se trouve d’ailleurs aux environs de la fondation des vestiges de l’ancienne résidence de Sefu. Cf. également NDAYWEL è NZIEM, I., op. cit., p. 247.

partaient aux plantations sous la conduite des Tonge qui surveillaient les esclaves en se montrant très sévères. »76

3. À mesure que le temps passait, les nouvelles plantes (riz, ananas, citronniers, goyaviers, manguiers, mandariniers…) se sont acclimatées au Maniema. Avec l’utilisation massive des esclaves, ces cultures connurent une prospérité remarquable que plusieurs témoins reconnaissent. De passage à Kasongo, H.M. Stanley observait : « Les greniers étaient remplis d’énormes quantités de riz, de maïs et d’autres aliments. Les jardins étaient luxueux et bien plantés, les goyaves, les grenades, les ananas et les bananes abondaient partout. Dans les clairières, il y avait de superbes cultures de canne à sucre, de riz et des fruits77. »

Trois centres principaux furent construits pour le stockage des produits collectés (ivoire, esclaves, peaux de léopard, carapaces de tortues …) dans la région : Kasongo, Nyangwe et Kabambare. Mais les hinterlands de ces centres restèrent en marge de cette prospérité. Ils fournissaient des esclaves qui travaillaient dans les champs agricoles. Une aristocratie swahilie marchande vivait essentiellement de la production agricole esclavagiste. Ce système décèle une exploitation de la région intégrée dans un vaste ensemble : les autochtones esclaves produisaient, les maîtres swahilis consommaient en s’adonnant au commerce.

Le commerce swahili liait d’abord les centres du Maniema à leurs périphéries, puis l’ensemble de la région à la côte de l’ocean Indien. En effet, les produits collectés dans le Maniema étaient acheminés à la côte où ils prenaient diverses destinations.

D’abord Mwinyi Dugumbi, puis Mwinyi Muhara dirigèrent les affaires du « groupe coopératif swahili » dans le Maniema à Nyangwe. Le groupe coopératif swahili était une association de marchands exerçant ensemble des activités économiques sur un espace déterminé. Les activités au sein d’un groupe coopératif se réalisaient au nom du « Mkubwa » ou « Mzee » qui était le supérieur.

À l’époque de Mwinyi Dugumbi et d’Abed Bin Salum, Nyangwe était un complexe de trois marchés se tenant alternativement. Ces marchés étaient des pôles d’attraction

76 BURAHIMU M., Les structures socio-économique et le commerce swahili à Kasongo vers la fin du XIX siècle, Mémoire de licence, Unaza/campus de Lubumbashi, 1973, p. 39.

77 STANLEY, H. M., Maisha, n°107, p. 201 cité par M. Burahimu, op. cit., p.157.

pour les vendeurs de l’hinterland, leur contrôle échappait totalement au chef autochtone Mukandikwa. Les Nyampara avaient pour rôle d’étendre les opérations commerciales vers les périphéries. Dans la plupart des cas, les périphéries abritaient des centres secondaires dépendant de pôles principaux. La côte était en relation directe avec les centres principaux qui, eux, coordonnaient les activités des centres secondaires.

Du point de vue social, il y eut établissement de relations de domination entre Swahilis et autochtones. En effet, le Maniema — surtout dans sa partie méridionale — se trouva parfaitement intégré dans le groupe coopératif swahili dont le Mkubwa ou le Mzee était Tippo-Tip.

L’organisation de ce groupe coopératif était la suivante :

Mzee : superviseur de toutes les affaires : Tippo-Tip

Wasaiba : les Swahilis associés au Mzee : Bwana-Nzige, Mwinyi Dugumbi, Mwinyi Muhara, Sefu.

Wanyampara 78 : gérants locaux : Kitumbi, Katemo, Kasongo Luhusu, Sangi, etc.

Wafuasi : les wapakazi ou les wajakazi qui devenaient parfois des watumwa.

Dans le groupe coopératif qui opérait dans le Maniema méridional, les wasaiba du Mzee Tippo-Tip dirigeaient chacun un centre : Mwinyi Dugumbi et Mwinyi Muhara se sont succédé à Nyangwe, Sefu à Kasongo, Bwana Nzige à Kabambare. Les gérants du groupe coopératif étaient choisis parmi les chefs locaux. Dans la région de Kabambare, les principaux nyampara gérants des affaires swahilies furent Katemo, Sangi, Mitingwa, Lubambula, Kitumbi …

Les trois wasaiba de Tippo-Tip s’étaient partagé le Maniema en trois zones dont les centres de coordination des affaires étaient Nyangwe, Kasongo et Kabambare. Le pouvoir de ces centres reposait sur les clans regroupés.

En effet, les activités économiques swahilies exigeaient une intégration des clans qui mena à la mise en place d’un pouvoir supraclanique.

78 Les wanyampara ou courtiers étaient l’équivalent de ce qu’étaient les pombeiros qui parcouraient toute la région de l’Angola jusqu’au royaume de Kazembe à la recherche d’esclaves. Le terme munyampara — singulier de wanyampara — est un terme swahili qui signifie « délégué ».

Il s’était établi ainsi une hiérarchie des pouvoirs au sommet de laquelle se trouvaient des étrangers, les wasaiba du Mzee. Les chefs locaux qui occupaient auparavant cette position se virent évincés et subordonnés aux Arabo-Swahilis résidents. Ils occupaient, dans cette pyramide, le grade de nyampara.

Le contact entre la civilisation arabo-swahilie et celle des autochtones transforma les villages claniques en espaces multiethniques. Ainsi, il a été constaté que l’expansion de la zone swahilie au Maniema eut des effets d’acculturation, transformant la population locale en wangwana (bangwana) c’est-à-dire en « arabisés ». À savoir ceux qui ont adopté la culture et le mode de vie swahili, le parler kiungwana79 ainsi que l’islam.

Dans cette même perspective est à signaler l’adoption par la population locale des habitudes alimentaires et de l’habillement des Arabo-Swahilis. Le kanzu (soutane), le kilemba (turban) et les mikalabanda (sandales en bois) sont quelques-unes des tenues vestimentaires empruntées aux Arabo-Swahilis.

79 Le kiungwana dont il est question est une variante locale du kiswahili.

Au Maniema, ceux qui intégrèrent la société swahilie se définirent comme wasilimu (musulmans et par extension,

Au Maniema, ceux qui intégrèrent la société swahilie se définirent comme wasilimu (musulmans et par extension,

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