• Aucun résultat trouvé

Relations entre système immunitaire et traitements antitumoraux

L’échappement tumoral à la réponse immunitaire, l’hématotoxicité induite par de nombreuses chimiothérapies, le développement de thérapies dites « ciblées » et l’utilisation concomitante de corticoïdes sont autant de facteurs qui jusqu’à présent ont conduit à négliger l’implication du système immunitaire dans les traitements anticancéreux – voire même ont amené à considérer chimiothérapie et immunothérapie comme incompatibles. D’ailleurs, les modèles utilisés pour le développement de nouveaux traitements passent par des techniques de xénogreffe de tumeurs humaines dans des souris immunodéficientes et négligent donc la capacité du système immunitaire à participer à la réponse antitumorale de ces nouveaux traitements 121.

Pourtant, de nombreux travaux ont permis de démontrer que la radiothérapie, certaines chimiothérapies ainsi que les thérapies moléculaires ciblées pouvaient générer ou favoriser l’induction d’une réponse immunitaire antitumorale qui participe à la réponse thérapeutique des traitements conventionnels.

Effets synergiques des chimiothérapies et du système immunitaire

Les premiers travaux suggérant qu'une partie de l'efficacité antitumorale des chimiothérapies pouvait être attribuée au système immunitaire ont été réalisé dès 1973. Dans ces expériences pionnières, Schwartz et al. montrent en effet que les anthracyclines induisent des réponses antitumorales plus intenses chez les souris immunocompétentes que chez les

souris immunodéprimées 122. Depuis, de nombreux travaux sont venus confirmer l’existence

d’une contribution du système immunitaire à l’efficacité des traitements anticancéreux et certains mécanismes – pouvant être communs à plusieurs molécules – ont pu être élucidés (Figure 3). Les chimiothérapies peuvent induire une immunité antitumorale en agissant directement sur les cellules tumorales, ou directement sur les cellules immunitaires en stimulant les propriétés des cellules effectrices ou au contraire en inhibant ou en éliminant les cellules immunosuppressives. Ces nombreux mécanismes sont abordés dans une revue de

littérature récente 123 et ceux faisant l’objet de recherche au sein de notre unité seront

développés dans la partie suivante.

33

Figure 3 : Mécanismes par lesquels les chimiothérapies affectent le système immunitaire. Les chimiothérapies peuvent induire une immunité antitumorale en activant directement les LT CD4+, CD8+ ou γδ, en augmentant la production d’INFγ, IL-17, ou d’IL-2, en favorisant la maturation ou l’activation des DC, en inhibant ou en éliminant les cellules immunosuppressives tels que les MDSC ou les Treg, en induisant une mort cellulaire immunogène, en augmentant l’expression des molécules du CMH-I à la surface des cellules tumorales, en augmentant la perméabilité des cellules tumorales au granzyme B. D’après Galluzzi et al. 2012 123.

Relations entre système immunitaire et traitements antitumoraux

Immunogénicité de la mort cellulaire

Contre toute attente, certains signaux émis par les cellules apoptotiques peuvent être à

l’origine d’une réponse immunitaire 124. Ce sont notamment les signaux permettant

l’attraction des phagocytes (« find me » signal) ainsi que ceux initiant la phagocytose (« eat

me » signal) 125. En régulant la phagocytose, l’apprêtement et la présentation des antigènes tumoraux ainsi que la maturation des DC, les mécanismes de co-stimulation, et la polarisation de la réponse lymphocytaire, ces signaux de danger sont capables d’induire une réponse immunitaire spécifique efficace. L’efficacité de cette réponse immunitaire est fonction du

type cellulaire, du contexte tissulaire mais également des composés cytotoxiques utilisés 126.

Parmi les molécules utilisées en oncologie, plusieurs ont montré une capacité à provoquer une mort cellulaire immunogène, c'est-à-dire capable d’induire une réponse

immunitaire spécifique efficace 127. C’est le cas notamment des anthracyclines et de

l’oxaliplatine dont l’efficacité est étroitement corrélée à l’intégrité du système immunitaire. La réponse immunitaire induite par les anthracyclines et l’oxaliplatine est également diminuée en présence d’inhibiteurs de caspases, soulignant le rôle majeur de la mort cellulaire – et plus précisément de l’apoptose – dans ce mécanisme.

Des travaux successifs réalisés par notre équipe de recherche ont permis d’élucider certains des paramètres moléculaires déterminant l’immunogénicité de la mort cellulaire

induite par les anthracyclines et l’oxaliplatine 128 (Annexe 1). Trois points-clés essentiels à

l’induction d’une mort immunogène ont été mis en évidence : la translocation du complexe CRT/ERp57 (calreticulin / endoplasmic reticulum resident protein 57), la sécrétion par les cellules tumorales de la protéine nucléaire HMGB1 (high mobility group box 1) et de la sécrétion toujours par les cellules tumorales de l’ATP (adenosine triphosphate). Ces différents signaux – CRT/ERp57, HMGB1 et ATP – favorisent la mise en place d’un dialogue entre cellules tumorales mourantes et système immunitaire, nécessaire à l’induction d’une immunité antitumorale.

L’exposition du complexe CRT/ERP57 favorise la reconnaissance et la phagocytose

des cellules tumorales mourantes par les DC 129. Le récepteur impliqué dans ce mécanisme

n’a pas pour l’instant pu être identifié avec certitude. HMGB1 est quant à lui sécrété par les corps apoptotiques dans l’espace intercellulaire où il est reconnu par TLR4 (Toll Like

Receptor-4) exprimé à la surface des DC 130. L’activation de la voie TLR4/Myd88 induite par la liaison de l’HMGB1 régule l’apprêtement et la présentation des antigènes tumoraux par les DC et est donc indispensable à l’établissement d’une réponse immunitaire antitumorale.

Enfin, l’ATP secrétée par les cellules tumorales mourantes stimule le récepteur purinergique

P2RX7 (purinergic receptor P2X, ligand-gated ion channel) exprimé à la surface des DC 131.

Cette interaction induit alors la production de cytokines essentielles à l’induction de réponses immunitaires spécifiques, tel que l’IL-1β.

Ces résultats obtenus à partir de modèles murins sont fortement renforcés en clinique par la mise en évidence de deux polymorphismes des gènes TLR4 et P2RX7. En effet, il existe chez l’homme un polymorphisme du gène TLR4, associé à une diminution d’affinité de ce récepteur pour son ligand HMGB1. La présence de ce polymorphisme a été corrélée à une progression métastatique plus rapide chez des patientes atteintes de cancer du sein non métastatique avec envahissement ganglionnaire et recevant des anthracyclines et de

l’irradiation locale en traitement adjuvant 130. De même, la présence de ce même

polymorphisme a été corrélée à une plus faible survie chez des patients atteints de cancer

colorectal avancé recevant de l’oxaliplatine 132. Il existe également chez l’homme, un

polymorphisme dans le gène P2RX7 (Glu496Ala) qui diminue la capacité de ce récepteur à se lier à l’ATP. Les monocytes présentant ce polymorphisme produisent moins d’IL-1β en réponse à une stimulation par l’ATP. Dans une cohorte de patientes atteintes de cancer du sein et traitées par des anthracyclines, la présence de ce polymorphisme est associée à une plus faible survie 131.

Recrutements de lymphocytes T γδ

Dans un modèle murin, nous avons mis en évidence le rôle des LTγδ producteurs

d’IL-17 dans l’efficacité thérapeutique de la doxorubicine 133,134 (Annexe 2). Les souris

déficientes pour les LTγδ, ou ayant reçu un anticorps neutralisant l’IL-17A ou incapables de

répondre à cette cytokine (IL-17ra-/-) ne développent pas de réponses IFN-γ spécifiques contre

des cellules tumorales exposées à des chimiothérapies immunogènes. L’efficacité des anthracyclines est par conséquent compromise dans ces différents modèles.

Elimination sélective de populations immunosuppressives

Si les fortes doses de cyclophosphamide (CTX) sont associées à un effet antitumoral cytotoxique direct et à une lymphoablation, de faibles doses de CTX, en administration répétée ou continue, sont associées à une stimulation de la réponse immunitaire antitumorale,

essentiellement par réduction du nombre de Treg et de MDSC 135. Les faibles doses de CTX

permettent également d’inhiber les fonctions immunosuppressives des Treg en agissant sur différents marqueurs clés, dont FOXP3 (forkhead box P3), et GITR (glucocorticoid induced

Relations entre système immunitaire et traitements antitumoraux

des LT naïfs en lymphocytes Th17 136, restaurent les fonctions effectrices des LT et des NK

de patients avec cancer avancé 137, stimulent l’expression d’IFN type I et inhibent l’expression

de cytokines immunosuppressives (notamment IL-4, IL-10 et IL-13) 138.

Immunomodulation par les thérapies ciblées

A la différence de la chimiothérapie, le concept des thérapies ciblées repose sur une connaissance approfondie des mécanismes moléculaires impliqués dans la cancérogenèse. Le développement de cette classe de produits a été rendu possible par les progrès réalisés dans la compréhension de la machinerie protéique de la cellule. Ainsi, le développement des thérapies ciblées est guidé par des principes rationnels, permettant de bloquer le fonctionnement d’une protéine bien définie.

La spécificité est pourtant loin d’être totale. Par exemple, l’Imatinib mésylate (IM) a été développé afin d’inhiber sélectivement l’activité tyrosine kinase d’une protéine oncogénique n’existant que dans une seule maladie, en l’occurrence la LMC. Mais, même dans ce cas présent, la spécificité n’est pas totale puisque des récepteurs à activité tyrosine kinase (dont c-kit et PDGFR (platelet derived growth factor receptor)), exprimés par de nombreuses autres cellules normales, sont aussi inhibés par l’IM. Fort heureusement, cette situation présente des avantages et confère à ce médicament une efficacité très intéressante

sur les tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST : gastrointestinal stromal tumors) 139.

Dans d’autres situation, cette interaction non spécifique peut être responsable d’effets indésirables comme c’est le cas pour certains anticorps monoclonaux ou inhibiteurs de tyrosine kinase à l’origine de toxicité cardiaque.

De façon intéressante, les effets « off-target » de certaines thérapies ciblées semblent capables d’agir sur le système immunitaire. En effet, l’efficacité thérapeutique de plusieurs thérapies ciblées repose – au moins en partie – sur des mécanismes impliquant le système immunitaire (Figure 4). Comme pour les chimiothérapies, ces mécanismes sont multiples, complexes

Les anticorps thérapeutiques présentent des modes d’action très variés et souvent multiples. Le mode d’action le plus commun correspond à la fixation de l’anticorps sur sa cible pour bloquer son activité biologique et l’interaction avec d’autres partenaires. Ils peuvent aussi empêcher les processus d’homo- ou d’hétéro-dimérisation de récepteurs, ou même induire des voies de signalisation provoquant l’internalisation des récepteurs ou bien l’apoptose des cellules cibles. Cependant, les anticorps monoclonaux n’ont pas nécessairement besoin de posséder une activité pharmacologique sur leur cible pour être de

puissants agents thérapeutiques. En effet, grâce à leur fragment Fc, les anticorps peuvent interagir avec le système immunitaire de l’hôte et déclencher l’élimination de l’antigène ciblé par différents mécanismes cytotoxiques : ADCC (antibody dependent cell-mediated

cytotoxicity), ADCP (antibody dependent cell-mediated phagocytosis) et CDC (complement dependent cytotoxicity). Ces trois modes d’action entraînent la destruction de l’antigène ou de

la cellule cible et participent à l’efficacité clinique des anticorps anti-tumoraux. D’autres processus permettant aux anticorps monoclonaux de synergiser avec le système immunitaire ont également été mis en évidence. Le trastuzumab, par exemple, est un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain (HER2 : Human

Epidermal Growth Factor Receptor 2). En plus de bloquer la transduction du signal HER2, le

trastuzumab favorise la production de LT CD8+ spécifique de HER2 140 et améliore

l’infiltration des tumeurs par les cellules NK 141.

Parfois une même molécule peut avoir des effets en faveur d’une activation du système immunitaire et au contraire des effets inhibant le système immunitaire. L’erlotinib par exemple, est associé à une augmentation de l’expression des molécules CMH de classe I

et II 142, facilitant ainsi la reconnaissance des cellules tumorales par les effecteurs

immunitaires. Pourtant, en inhibant les voies de signalisation c-Raf/Erk et Akt, l’erlotinib semble également capable de compromettre la réponse immunitaire notamment en inhibant l’activation et la prolifération des LT.

Le sunitinib et le sorafénib sont deux inhibiteurs de tyrosine kinase utilisés dans le cancer du rein et dans le carcinome hépatocellulaire. Dans les cancers du rein, ces deux

molécules ont été associées à une diminution de l’infiltrat Treg et MDSC 143-147, facilitant

ainsi le développement de réponse antitumorale Th1 145. D’un autre côté, le sorafénib – mais

pas le sunitinib – inhibe in vitro les fonctions et la maturation des DC 148. En effet,

l’activation des DC par les ligands TLR est diminuée en présence de sorafénib. On observe notamment une diminution de sécrétion des cytokines, une diminution de l’expression des molécules de co-stimulation, d’adhésion et des CMH ainsi qu’une diminution de l’activation des LT.

Enfin, un grand nombre d’études met en évidence les effets immunomodulateurs de l’IM. Le rôle immunomodulateur de l’IM sera donc abordé en détail dans la partie suivante.

38

Figure 4 : Mécanismes par lesquels les thérapies ciblées affectent le système immunitaire. D’après Galluzzi et al. 2012 123. Les thérapies moléculaires ciblées peuvent déclencher une réponse immunitaire en activant directement les LT, NK ou DC et/ou en inhiber les MDSC ou les Treg. Les anticorps monoclonaux peuvent aussi favoriser l’ADCC (antibody dependent cell-mediated cytotoxicity), l’ADCP (antibody dependent cell-mediated phagocytosis) ou la CDC (complement dependent cytotoxicity). Au contraire, les thérapies moléculaires ciblées peuvent inhiber une réponse immunitaire en déplétant les LB, LT, NK ou DC, ou en favorisant le recrutement de macrophages.