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Les relations anaphoriques temporelles

1. Types d’anaphores temporelles

Pour inventorier les catégories syntaxiques qui peuvent entretenir des relations anaphoriques temporelles, Hinrichs 1distingue trois types de classes grammaticales susceptibles d’exprimer le temps dans un cadre anaphorique : morphème temporel, conjonction temporelle et adverbe temporel. Ces différentes catégories sont représentées dans le tableau suivant :

1ère phrase → 2ème phrase

Morphème temporel Conjonction temporelle

Adverbe temporel

Morphème temporel Il se déshabilla, entra dans la salle de bain, prit une douche, et se mit au lit.

Lorsque Suzanne

entra, Pierre

partait.

Sheila a donné une réception vendredi dernier et Sam s’est saoulé.

Conjonction temporelle Ils commandèrent deux salades italiennes et une bouteille de Frascati. Lorsque le garçon apporta le vin, ils remarquèrent qu’ils avaient oublié leurs chéquiers.

Lorsque tous les cars sortirent après que le concert fut terminé, il y eut un gros embouteillage. Samedi passé, lorsque le Salon de l’Automobile a

débuté, tous les hôtels de Genève étaient complets.

Adverbe temporel Ils me conduisirent

dans la salle

d’opération et me mirent sous narcose. Trois heures plus tard, je me réveillais. Lorsque Mélissa quitta la réception, je venais de rencontrer la femme de ma vie un quart d’heure plus tôt.

Cette semaine, j’ai visité Paris. Mardi, je suis allé au Louvres.

1

Hinrichs, 1986 cité par MOESCHLER J., 1994 « Anaphore et deixis temporelles. Sémantique et pragmatique de la référence temporelle », in Moeschler et al. , Langage et pertinence. Référence temporelle, anaphore,

D’après ce tableau, ce sont essentiellement les temps verbaux et les adverbes temporels qui peuvent entrer dans une relation d’anaphore temporelle où antécédent et expression anaphorique ne sont pas coréférentiels. C’est pour cette raison que dans le cadre de ce travail, nous nous limiterons à l’examen des temps verbaux et des adverbiaux temporels dans un type particulier d’anaphore, à savoir l’anaphore associative méronymique, et nous les traiterons séparément.

2. Les temps verbaux

Pour la description des temps verbaux d’une manière générale, il faudrait s’attarder sur le système qui les gouverne. Le temps est marqué linguistiquement par des catégories linguistiques variées : suffixe verbal, auxiliaire, adverbe de temps, complément circonstanciel, subordonnée temporelle qui peuvent être exemplifiées par les phrases suivantes :

(a)Pierre sortait tous les jours. (b) Pierre était sorti.

(c) Alors, Pierre sortit en courant. (d) Hier, Pierre est sorti.

(e) Lundi 3 avril, Pierre entra, Marie téléphonait.

Moeschler 1distingue deux types d’approches qui pourraient être adoptées pour la description du système temporel en français :

Les approches systémiques qui décrivent l’organisation du système temporel en termes fonctionnels et les approches textuelles qui situent la fonction des temps verbaux relativement à leurs distributions dans les textes et à leurs fonctions sémantiques et énonciatives.

C’est ce deuxième type d’approche qui nous intéresse dans le cadre de ce travail, car il privilégie, non pas l’aspect paradigmatique des temps verbaux, mais leurs emplois dans les textes.

1

3. Le marquage temporel du verbe

La morphologie verbale apporte des informations en l’occurrence sur le fonctionnement du couple imparfait/ passé simple dans le site anaphorique.

L’analyse de Weinrich1est d’un grand apport pour la description des temps verbaux sur le plan référentiel dans la mesure où elle constitue la prolongation à la fois de la théorie de Benveniste (les temps verbaux s’organisent en deux systèmes renvoyant à deux plans d’énonciation), et celle de Hamburger2 : les temps verbaux sont démunis de toute référence temporelle et consistent en « des signes obstinés » à haut degré de fréquence indiquant une « attitude de locution » (commentaire ou récit) et une « perspective de locution » (rétrospective, prospective ou nulle).

La classification obtenue se caractérise par une répartition complémentaire des temps verbaux et résout de manière textuelle la différence entre passé simple (défini comme temps de l’avant-plan et l’imparfait (défini comme temps de l’arrière-plan) opposés sur l’axe de la mise en relief.

Perspective de locution Attitude de locution

Récit Commentaire

Rétrospection Prospection

Point zéro

Plus- que- parfait Passé antérieur Conditionnel

Imparfait, passé simple

Passé composé Futur Présent Mise en relief Arrière-plan Avant-plan Imparfait Passé simple

Les temps verbaux chez Weinrich (1973)

1

WEINRICH H., 1973, Le temps, Paris, Le seuil.

2

4. L’imparfait

Pour analyser l’imparfait, Berthonneau et Kleiber rappellent1, qu’on dispose aujourd’hui principalement de deux paradigmes explicatifs, l’option aspectuelle et l’option en termes de renvoi (global) à une entité temporelle du passé. La première, solidement ancrée dans les travaux de Guillaume, exprime la différence fondamentale entre l’imparfait, le passé simple en postulant que l’imparfait est « imperfectif » alors que le passé simple est « perfectif ». La seconde, dans les travaux de Ducrot qui considère que « l’imparfait réfère à un moment qu’il n’identifie pas lui-même, il n’a pas d’autonomie référentielle, et il renvoie à une entité temporelle du passé déjà introduite dans le contexte ou accessible dans la situation extra- linguistique »2.

Dans ce même cadre, Moeschler affirme que « l’imparfait semble un temps typiquement anaphorique pour des raisons liées à son orientation non dynamique : il ne fait pas avancer la référence temporelle et utilise, au contraire, le point de référence de l’énoncé précédent ». et c’est dans ce sens qu’il est considéré comme un temps anaphorique3.

2-4-1 L’imparfait : temps anaphorique

Rappelons que Moeschler (1992) Vet et Molendijk (1986), Anscombre, 1992) et d’autres qui ont travaillé sur le fonctionnement de l’imparfait dans le discours n’admettent pas tous l’idée que l’imparfait est un temps anaphorique « lié » à un antécédent. En revanche, ils sont tous d’accord pour reconnaitre que- contrairement au passé composé ou au passé simple - auxquels ils l’opposent- l’imparfait ne localise pas lui-même la situation qu’il introduit, et il ne peut être utilisé s’il ne renvoie pas à une entité temporelle du passé, déjà disponible dans le contexte antérieur ou accessible dans la situation immédiate et c’est ce qui confère à l’imparfait le statut de temps anaphorique.

Berthonneau et Kleiber parlent de trois configurations possibles de l’imparfait anaphorique qui sont les suivantes :

1- L’imparfait dont l’intervalle temporel est donné par celui d’une expression temporelle au passé mentionnée dans le texte antérieur qui joue le rôle d’antécédent.

1

BERTHONNEAU A.- M. et KLEIBER G., 1993, « Pour une nouvelle approche de l’imparfait : l’imparfait, un temps anaphorique méronymique » Langages n°112 :55-73.

2

Ibid.

3

2- Quand l’imparfait est dépourvu d’antécédent temporel explicite, on peut toujours récupérer par inférence un intervalle temporel soit dans le texte, soit dans la situation. Cela suppose que l’on adhère à une conception de l’anaphore qui ne soit pas seulement textuelle, mais qui intègre aussi les cas de saillance situationnelle et que l’on accepte à côté des anaphores « directes », les anaphores « indirectes » ou « inférentielles », c’est à dire où le référent de l’expression anaphorique n’est pas donné explicitement, mais fourni par des éléments figurant dans les sites anaphoriques.

Nous reviendrons sur ce deuxième cas de l’imparfait anaphorique sans antécédent qui nous intéresse particulièrement vu qu’il concerne les deux problématiques essentielles de notre travail, à savoir l’anaphore et l’ellipse.

3- La troisième configuration consiste à souligner qu’un imparfait pour lequel on n’arrive pas à trouver, ni dans le texte ni dans la situation, un intervalle temporel du passé, donne lieu à un « emploi ressenti comme déviant, parce qu’ininterprétable » selon l’expression de Berthonneau et Kleiber 1.

La conclusion, d’après ces deux auteurs, est que l’imparfait est un temps anaphorique « en ce qu’il nécessite la récupération d’un moment du passé soit directement donné par une expression antérieure, soit accessible par une mention d’une autre nature ou par des éléments situationnels ».

Mais de quel type d’anaphore s’agit-il avec l’imparfait ?

Nous essayerons de répondre à cette question dans le sous-chapitre suivant.

4.1. L’imparfait, un temps anaphorique méronymique

Cette hypothèse a été formulée par Kleiber2 qui précise que le statut anaphorique d’un temps grammatical ne peut plus se limiter au seul temps « puisque le référent est la situation elle –même, d’une certaine façon c’est aussi celle –ci qui, dans le cas d’un temps anaphorique, est anaphorique, c’est –à- dire qu’elle est en relation avec un état de choses déjà mentionné ou manifeste d’une autre façon. Il est alors normal que cette relation d’anaphoricité ne se limite pas seulement au temps, puisqu’il s’agit de situations ayant leurs caractéristiques propres qui sont en rapport, mais qu’il faille encore un autre type de continuité référentielle »

1

Ibid.

2

Il s’en sort de ce qui précède que l’anaphoricité de l’imparfait ne se limite pas uniquement au temps verbal, mais relève également de la situation dénotée par le verbe. Mais si l’on admet que l’imparfait dénote une « anaphore situationnelle », est-il possible de parler de relation de coréférentialité entre l’imparfait et son antécédent ?

Selon Berthonneau et Kleiber, l’usage de l’imparfait anaphorique ne peut pas établir une relation de coréférentialité avec son antécédent. Ils expliquent cette non coréférentialité par le fait que c’est un temps qui « engage à chaque fois une situation nouvelle ». Il ne peut, donc, être en relation de coréférence avec la situation qui lui sert d’antécédent.

Le lien entre l’imparfait et son antécédent serait plutôt celui d’une anaphore associative qui introduit un référent nouveau par rapport au référent de l’expression- antécédent. Ce référent nouveau serait un ingrédient du Tout- antécédent. Il s’agit donc « d’une situation vue comme partie ou élément d’une situation antécédent elle-même conçue comme un tout ». Ce qui nous permet de considérer l’imparfait comme temps anaphorique méronymique.

Pour illustrer cette thèse, Berthonneau et Kleiber citent l’exemple suivant proposé par Tasmowski :

« Regardez ! Ils ne dirent plus rien. L’homme se levait d’un mouvement si soudain qu’il faillit renverser la bougie. Il reculait dans l’ombre, tandis que la porte s’ouvrait.

SIMENON, Le chien jaune, Paris, Presses pocket, 1976, 211)

Selon l’analyse de Tasmowski, c’est le verbe de perception Regardez qui sert de « déclencheur » et lie temporellement l’imparfait.

Cette analyse du fonctionnement anaphorique de l’imparfait nous permet d’interpréter plusieurs énoncés dans notre corpus où l’imparfait établit une relation de partie/ tout entre la situation dénotée par l’imparfait et une situation passée dénotée par la situation « antécédent » qui peut être soit mentionnée explicitement soit inférée à partir des éléments disponibles dans le texte ou dans la situation d’énonciation.

4.2. Récupérabilité de l’antécédent de l’imparfait anaphorique

« La présence d’un antécédent linguistique pour la référence temporelle n’est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour la relation anaphorique », affirme

Moeschler1 . En effet, l’imparfait peut être dépourvu d’un antécédent temporel explicite et dans ce cas « sa situation est analogue à celle des pronoms sans antécédent »2. On peut donc récupérer par inférence un intervalle temporel soit dans le texte soit dans la situation. Pour illustrer cette idée, nous allons nous intéresser aux exemples suivants3 :

(1)Jean alluma une cigarette. La fièvre donnait au tabac un goût de miel.

(Vet, 1991)

(2)Jean se mit en route dans sa nouvelle Mercedes. Il attrapa une contravention. Il roulait vite. (Molendijk, 1993 )

Dans (1), c’est l’implication la cigarette allumée qu’on infère de Jean alluma une cigarette, qui joue le rôle de l’intervalle temporel disponible dans le contexte pour saturer l’imparfait. Dans l’exemple (2), c’est l’implication Jean se déplacer dans un véhicule qui joue ce même rôle.

Ainsi, pour récupérer l’intervalle temporel qui sert de « déclencheur » pour l’imparfait dans les séquences suivantes, nous avons besoin de revenir à la situation fournie par le contexte. (31) Je me suis rendu dans les couloirs du métro Roosevelt, où un aveugle chantait en

s’accompagnant d’un mini-radio-cassette.

ARNAUD Claude, Qu’as-tu fait de tes frères ? ,2010.p.206 ( 32) Lorsqu’elle fut de retour à la maison, elle monta sans bruit dans la chambre de Julien. Le père se reposait à côté.

CLAVEL Bernard, Celui qui voulait voir la mer, 1963, p.112

L’imparfait dans les deux cas est lié à un intervalle de temps évoqué dans le contexte et inférable à travers des actions. En (31), se rendre dans les couloirs du métro et en (32)

monter dans la chambre.

1

MOESCHLER J., 1993, « Aspects pragmatiques de la référence temporelle : indétermination, ordre temporel et inférence », Langage n° 112 : 39-54.

2

KLEIBER, 1990.

3

En (33), Aline se souvient. L’achat d’un shampooing était important. On ne se lavait pas la tête tous les jours.

DUPUY Aline, Journal d’une lycéenne sous l’occupation. Toulouse, 1943-1945, 2013, p.118

L’imparfait est lié au prédicat d’action se souvenir, ce dernier renvoie à un intervalle de temps dans le passé qui n’est pas mentionné explicitement dans le cotexte antérieur.

En revanche, dans

(34) Au matin du lundi 28 mars !

Je n’étais évidemment pas en état de suivre les problèmes juridiques consécutifs à cet accident. Des amis qui s’en occupaient pour moi à Alger avaient confié ma défense à un avocat algérien.

PICQUET Pauline, sans illustration, 2013, p .79

L’antécédent est une date, donc un repère absolu. Pour l’interprétation de l’imparfait, on recourt à un savoir conventionnel entre locuteur et interlocuteur qui permet d’interpréter la date du 28 mars comme étant révolue pour constituer ainsi l’intervalle de temps auquel renvoie l’imparfait c'est-à-dire son antécédent.

On retient de ce qui précède que :

(i) la situation peut aussi servir à saturer l’imparfait « sans antécédent ».

(ii) La relation anaphorique entre l’imparfait et son antécédent « implicite » est une relation de simultanéité et elle vaut pour toute la durée de celle de l’antécédent, elle « l’englobe »

(iii) L’imparfait s’étend sur une période qui inclut l’événement de l’antécédent au passé simple et on rejoint ainsi la thèse formulée par Ducrot1 que l’état ou l’événement à l’imparfait qualifie le thème « dans sa totalité »

(iv) Quand l’imparfait est dépourvu d’antécédent temporel explicite on peut toujours, comme l’ont déjà affirmé Berthonneau et Kleiber (1993), récupérer un intervalle temporel soit dans le texte soit dans la situation.

1

(v) Le statut anaphorique d’un temps grammatical ne peut plus se limiter au seul temps.

En plus des temps verbaux, les noms de temps et les adverbes temporels peuvent entrer en relation d’anaphore temporelle. Ainsi, traiterons-nous dans un premier temps les relations de partition entre les entités dénotées par les noms de temps et dans un deuxième temps, les adverbes temporels qui en plus de leur interprétation anaphorique, peuvent entrer dans un emploi associatif méronymique en entretenant des relations d’inclusion.