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Anaphore associative méronymique et ellipse

1. Définition de l’ellipse

Etymologiquement le terme ellipse (gr. elleipsis) désigne « manque ». Cette acception du terme nous conduit à considérer comme ellipses toutes sortes de phénomènes linguistiques allant des énoncés fragmentaires (Oui. Quelle catastrophe !, etc) à la présupposition, en passant par les formes dites lacunaires (synecdotes, métonymies, effacements, etc.).

Pour restreindre l’acception de cette notion et en faire un concept linguistique opératoire, il serait nécessaire de revenir aux différentes définitions proposées par les linguistes.

1.1. La notion d’ellipse selon T. Shopen

Avec la grammaire générative pour arrière-plan théorique, T. Shopen 1 propose une définition générale de l’ellipse fondée sur une notion de complétude. Ainsi, sera considéré elliptique tout énoncé incomplet du point de vue de sa forme interne. Selon ce linguiste, la complétude peut avoir deux aspects : un aspect structural, et un aspect sémantique :

La complétude structurale est la satisfaction d’un schéma phrastique acceptable pour la langue considérée, tandis que la complétude sémantique est la réalisation de tous les arguments associés dans le lexique à un prédicat quelconque.

Par ailleurs, Shopen évoque la notion de « complétude » comme étant une propriété interne des énoncés, par exemple, le prédicat manger suppose la présence de deux arguments. L’absence de l’un des deux arguments dans un discours engendre dès lors, selon l’auteur, une « incomplétude » et donc un cas d’ellipse.

1.2. La notion d’ellipse selon Grevisse

Grevisse, inspiré de la tradition rhétorique française, écrit : « L’ellipse est […] l’omission d’un ou de plusieurs mots que requerrait la régularité de la construction grammaticale, et que l’on considère comme facile à suppléer ».2

1

SHOPIN T., 1985, Language typology and syntactic description Vol. 1, Clause structure, Cambridge University Press.

2

Cette définition suppose que pour l’interprétation des positions vides ou gapping l’usager doit récupérer le matériel lexical manquant à partir du contexte ou de la situation.

1.3. La notion d’ellipse selon Chomsky

Chomsky1 établit un rapprochement entre la grammaire générative et les théories traditionnelles de l’ellipse. En effet, la distinction qu’établit Dumarsais entre « construction » et « syntaxe » sera mise en opposition avec « structure profonde » et « structure de surface » et c’est à cette structure profonde que revient le rôle de la restitution de la structure canonique.

1.4. L’approche interprétative de l’ellipse

Bilbiie G. définit l’ellipse comme étant « une relation entre une séquence de constituants dont l’interprétation requiert plus que ce qui est donné par les mots qui la composent et une expression inférée à partir du contexte extra-linguistique, qui fournit à cette séquence le matériel dont elle a besoin pour être interprétée. » 2

Cette définition nous permet de retenir les deux caractéristiques suivantes :

(i)Une structure elliptique est une structure où une partie du matériel nécessaire à l’interprétation de la structure en question manque, ce qui fait que syntaxiquement il y a un vide.

(ii) Les éléments réalisés dans la structure elliptique doivent pouvoir être analysés comme argument, ajout ou prédicat du matériel manquant et l’interprétation d’une structure dite elliptique est toujours obtenue contextuellement, grâce à la présence d’un antécédent linguistique ou non linguistique, explicite ou implicite.

Dans le cadre de ce travail, nous nous intéresserons aux cas d’ellipse dans le cadre des énoncés comportant une anaphore associative méronymique où l’on assiste dans tous les cas à une structure lacunaire nécessitant pour son interprétation une restitution des éléments manquants . La récupération de ces éléments est susceptible de permettre l’inférence des liens méronymiques qui existent entre les éléments figurant en surface dans l’anaphore associative de type méronymique, tel est le cas de l’ellipse du complément du nom dans la structure N

DE N, structure profonde qui caractérise la quasi-totalité des relations méronymiques.

1

CHOMSKY N., 1969, La linguistique cartésienne, Paris, Seuil.

2

BILBIIE G. , 2011, Thèse de Doctorat .Grammaire des constructions elliptiques : Une étude comparative des

2. Anaphores associatives et reconstruction d’une suite elliptique

Denis Le Pesant 1postule que pour l’interprétation des anaphores associatives la reconstruction de la suite elliptique est essentielle. Il précise qu’il existe des termes non prédicatifs qui sélectionnent un complément effaçable notamment les noms qui sont en première position d’un SN de forme un N de N [0], tels que :

Une hélice (d’avion, de bâteau,….[0])

Une table (de salle à manger, de jardin,…, [0] Une fleur (d’héliotrophe, de cerisier,…., [0]

Selon le même auteur, « opérer un rétablissement de la suite la plus longue c’est, en présence d’un terme employé absolument, expliciter (on dit aussi « récupérer ») ce type d’effacements »2.

L’occasion de reconstruction la plus favorable est celle qui consiste à récupérer une ellipse idiomatique (figée) comme dans : la circulation (des véhicules, [0])

Un exempté (du service militaire, [0])

L’auteur propose une analyse de l’anaphore associative en général et l’anaphore associative méronymique de façon particulière en tenant compte des cas d’ellipse. Ainsi, la notion d’ellipse récupérable a permis au linguiste de distinguer deux grandes catégories d’anaphores associatives : Celles qui résultent d’un effacement d’anaphore fidèle et celles qui résultent d’un effacement d’antécédent d’anaphore fidèle.

En d’autres termes, une opération de rétablissement de la suite la plus longue peut révéler qu’une anaphore dite associative est soit le reliquat d’un syntagme elliptique dans lequel une anaphore fidèle a été effacée, soit une anaphore fidèle dont l’antécédent a été effacé.

2.1. Ellipse d’anaphore fidèle

Selon ce même linguiste, pour pouvoir interpréter la tête du syntagme elliptique, il faut effectuer la reconstruction de ce syntagme ; pour caractériser le syntagme effacé comme

1

LE PESANT, 2000.

2

anaphore fidèle, il faut le récupérer en identifiant l’antécédent dans le contexte proche, qui serait « l’antécédent adéquat ».

Soit l’exemple suivant :

Je sors d’un restaurant…Le cuisinier [0] est remarquable

Dans cet exemple, l’antécédent adéquat est restaurant comme le montre la reconstitution suivante :

Je sors d’un restaurant…le cuisinier de ce restaurant est remarquable

2.2. Ellipse de l’antécédent d’une anaphore fidèle

L’exemple suivant :

Il prend sa température [0]. Le thermomètre indique 39°.

illustre bien le cas d’ellipse de l’antécédent de l’expression anaphorique. La reconstruction de l’énoncé sera comme suit :

Il prend sa température avec un thermomètre. Le thermomètre indique 39°.

Denis Le Pesant précise, dans ce cadre, que les effacements de l’un ou l’autre des deux éléments d’une relation d’anaphore fidèle sont soumis à de rigoureuses conditions. En effet, pour qu’une expression soit interprétée comme étant une anaphore fidèle à antécédent effacé, il faut que ce dernier puisse être reconnu dans le contexte proche.

Comme c’est le cas dans l’exemple suivant:

Un homme est entré dans un magasin et a demandé à un employé à parler au gérant.

où le nom gérant est un prédicat nominal transitif.

Il s’ensuit que le syntagme nominal défini est elliptique et qu’il appelle un rétablissement de la suite la plus longue : Le nom magasin, du moins dans une de ses conceptions, fait partie de la classe d’objet des <entreprises >.

Ainsi le rétablissement de la suite N<partie> de N< > s’avère nécessaire.

Le Pesant constate qu’un grand nombre d’ellipses d’anaphores fidèles se produisent au sein d’un syntagme N de N où les deux noms entretiennent une relation sémantique de partie à tout.

C’est le cas par exemple des syntagmes de forme N< partie de bâtiment> de N <bâtiment> Le deuxième élément du syntagme peut être une anaphore fidèle d’un élément présent dans le contexte proche comme dans cet exemple:

Entre dans cette église, (les chapelles latérales, le chœur, la nef,…) te plairont.

Le critère d’effacement d’anaphore fidèle semble être le test syntaxique le plus pertinent pour décider si tel nom entretient avec tel autre nom une relation de partie- tout.

Le Pesant affirme à ce sujet que dans le dictionnaire de la langue française, le nom vitraux doit être considéré comme un nom de partie approprié de l’église, mais aucun dictionnaire d’architecture ne prétend que le nom vitraux signifie une des propriétés spécifiques du lieu de culte catholique à cause de l’effacement de nom du tout qu’il autorise, à condition que ce soit une anaphore fidèle dont l’antécédent est présent dans le contexte :

Entre dans cette église, les vitraux (de cette église, [0]) te plairont.

Le phénomène de l’effacement d’une anaphore fidèle est donc pour le linguiste une fin et un moyen. Il constitue (au moins dans les cas des syntagmes nominaux de forme N partie de N tout) un critère de classification efficace.

Cependant, il est clair que toute anaphore fidèle n’est pas effaçable, alors que les conditions distributionnelles et sémantiques paraissent favorables à une éventuelle récupération d’un élément effacé.

Un exemple d’interdiction d’ellipse non prédictible concerne le cas des syntagmes de forme N <partie du corps> de N< humain> ou N <partie de corps> de N <animal>.

En règle générale, quand ces syntagmes sont en position d’anaphore fidèle, le deuxième élément ne peut être effacé comme le montre l’exemple suivant :

Regarde cet homme. Les mains de cet homme sont couvertes de sang. ? Regarde cet homme. Les mains [0] sont couvertes de sang.

Regarde cet homme. Ses mains sont couvertes de sang.

C’est pour cette raison que nous écarterons de notre corpus les syntagmes de forme N <partie du corps> de N< humain> ou N <partie de corps> de N <animal> parce qu’ils ne

permettent pas ce type d’effacement, d’autant plus que ce type de syntagme est réputé pour faire difficilement partie des anaphores associatives méronymiques.1

Notons à ce titre, suite à Le Pesant, que le discours spécialisé, notamment le discours professionnel (médical), offre la possibilité de rencontrer ces noms de parties de corps en position d’anaphorisant avec effacement du deuxième élément comme cela se manifeste dans l’énoncé suivant employé dans un contexte médical.

Regarde cet homme. La main droite a besoin d’un point de suture.

Pour l’ellipse de l’antécédent de l’anaphore fidèle, elle intervient régulièrement dans le cas des verbes transitifs qui acceptent un emploi absolu et qui sélectionnent des noms appartenant à une classe d’objets sémantiquement très homogène, tel est le cas des verbes manger et boire qui sélectionnent respectivement la classe des <aliments> et celle des <boissons>.

Il mange (de la salade [0]) avec voracité, bien que la salade soit mal assaisonnée. Il buvait tranquillement (du vin, [0]), le vin était délicieux.

Dans les deux énoncés les verbes manger et boire sont en emploi absolu en (P1) et les éléments anaphoriques salade et vin en (P2) sont dépourvus d’antécédents.

Mais il apparaît qu’il y a beaucoup d’irrégularités et qu’il est difficile d’établir des règles syntaxiques et sémantiques qui précisent dans quels cas il est possible ou non d’opérer une ellipse d’anaphore fidèle , ainsi, Le Pesant propose-t-il de recourir à une approche de la langue « en extension », qui consiste à se contenter d’enregistrer la présence ou l’absence d’ellipses d’anaphores fidèles ou d’antécédents d’anaphores fidèles, comme étant une des propriétés syntaxiques des phrases.

Nous nous inscrivons dans cette même perspective et nous proposons par conséquent de traiter nos cas d’anaphores associatives méronymiques en mettant les propriétés qui concernent les ellipses d’anaphores fidèles ou d’antécédents d’anaphores fidèles sur le même plan que les propriétés syntaxiques traditionnelles telles que l’emploi absolu d’un prédicat transitif ou la forme de la pronominalisation.2

1

Pour ce faire nous nous référons à la typologie de l’anaphore associative selon G. kleiber ,2001.

2

A travers l’examen des principaux problèmes conceptuels et terminologiques afférant à la notion d’anaphore et à celle de l’ellipse, nous pouvons constater qu’anaphore et ellipse sont deux phénomènes distincts sur le plan théorique, mais qui se réunissent dans le fait qu’ils trouvent leur origine dans un antécédent discursif qui est le segment à restituer dans le site elliptique.

Nous exposerons dans ce qui va suivre les différents anaphoriques que nous traiterons dans notre corpus et que nous avons répartis en quatre classes, suivant la nature grammaticale de l’anaphorisant : la classe des anaphoriques nominaux, la classe des anaphoriques verbaux, enfin celle des adverbiaux de temps et d’espace en établissant pour chaque cas un lien avec les ellipses auxquelles il se prête.