• Aucun résultat trouvé

La relation Patient – Médecin dans l’arrêt du tabac : une affaire de communication

D- LES ATTENTES DES PATIENTS

IV. DISCUSSION

5- La relation Patient – Médecin dans l’arrêt du tabac : une affaire de communication

après le sevrage (le souffle, l’odorat, le goût, les problèmes dentaires cités par les patients), ou sur le plan médical. Les patients fumeurs sous-estiment les risques pour la santé du tabac par rapport aux non-fumeurs ou ex-fumeurs, mais aussi les bénéfices à l’arrêt du tabac (50). Pour la communauté scientifique, les bénéfices à l’arrêt ne sont plus discutés. En prévention secondaire d’un infarctus du myocarde, le sevrage tabagique réduit la mortalité de 36%, c’est la mesure de prévention la plus efficace chez un fumeur. L’intérêt d’agir le plus tôt possible est majeur. En effet l’excès de risque de cancer bronchique augmente proportionnellement avec la quantité de tabac fumée, et avec un facteur 4 ou 5 de la durée (9). Plus les fumeurs commencent tôt, plus le risque de mortalité liée au tabac augmente. Et plus ils arrêtent tôt, plus leur risque cumulé de cancer du poumon au même âge diminue (51). Une étude portant sur un million de femmes au Royaume Uni a elle aussi montré le bénéfice de l’arrêt précoce du tabac : arrêter de fumer autour de 40 ans réduisait la mortalité globale liée au tabac de 90%, les femmes arrêtant de fumer autour de 30 ans réduisaient, elles, leur risque de cancer du poumon et la mortalité totale de 97% (52), ces résultats rejoignent ceux trouvés par des médecins britanniques: en arrêtant de fumer à 40ans, on augmentait son espérance de vie de 9 années (53).

Les bénéfices pour la santé peuvent être un élément très utile dans la balance décisionnelle. La délivrance de cette information ayant un impact si elle est délivrée de manière motivationnelle, et non en argumentant ou essayant de convaincre au risque de voir le patient défendre les avantages à ne pas changer. Par ailleurs il est intéressant d’aider le patient à trouver les avantages à l’arrêt du tabac qui lui sont propres, dépendant du contexte social dans lequel il évolue, de ses représentations d’une vie sans tabac, et à le faire développer les inconvénients au statu quo. Le tout a pour but de faire émerger du « discours-changement » (= discours du patient en faveur du mouvement vers un objectif de changement), qui amène à passer d’un stade de maturation au changement vers le suivant (stade de préparation, de la planification de l’arrêt du tabac).

5- La relation Patient – Médecin dans l’arrêt du tabac : une affaire de communication

Les entretiens ont permi de dégager un « profil » de Médecin Généraliste qui permettrait d’aider les patients sondés à arrêter de fumer. Ce médecin aborde le sujet du tabac et explique qu’il possède les outils pour aider son patient à arrêter de fumer, il expose les différentes méthodes existantes. Il est impliqué dans la démarche d’arrêt du tabac et soutient son patient dans sa démarche en l’encourageant. Il est à l’écoute de ses attentes, de ses craintes, et le guide tout au long de l’arrêt par un suivi prolongé, en accordant du temps de consultation pour le sevrage tabagique, en l’aidant à gérer les symptomes de manque de nicotine, les situations sources de stress et nécessitant des stratégies d’adaptation. Il l’aide à trouver la solution qui lui est adaptée,

53

et adapte par ailleurs son discours à son degré de motivation. Il oriente le cas échéant vers un autre thérapeute (tabacologue, autres types de thérapie complémentaire).

Certains Médecins Généralistes informaient leur patient de leur statut de fumeur ou d’ancien fumeur et partageaient leur expérience personnelle. Le discours médical semblait plus banalisant et les patients ne semblaient pas y trouver une source de motivation. Les patients en effet ne sont pas sensibles à la thérapeutique éventuellement proposée par un médecin qui n’arrive pas lui-même à la suivre (54). Les Médecins Généralistes fumeurs demandent par ailleurs moins fréquemment le statut tabagique de leurs patients, et sont moins convaincus de l’efficacité du conseil minimal (55). Dans une relation Patient – Médecin, lorsque le soignant parle de lui, il prend le risque de se disqualifier. On a vu que le statut de fumeur peut faire perdre de la crédibilité au Médecin. En disant qu’il est non-fumeur, il prend le risque de se présenter comme quelqu’un qui n’a pas l’expérience de la dépendance au tabac, et qui ne peut pas comprendre ce que traverse son patient. En expliquant son statut d’ancien fumeur, le praticien prend le risque de se centrer sur sa propre expérience, inutile au patient car inadaptée à sa propre situation (56). Un des obstacles avancés par les Médecins Généralsites pour l’aide au sevrage est le manque de temps et un autre le manque de formation. Il existe un DIU de tabacologie et d’aide au sevrage tabagique. Mais il est difficilement envisageable de former chaque Médecin Généraliste à ce domaine, qui doit s’intégrer parmi les autres mesures de prévention de santé, l’éducation thérapeutique, et les nombreux autres motifs de consultations quotidiennes.

54

Parmi les attentes des patients sondés, certaines caractéristiques recherchées dans la relation Patient-Médecin relevaient du domaine de l’attitude du praticien, de sa manière de communiquer avec le patient.

Ces caractérisqtiques se retrouvent dans un modèle relationnel développé dans les année 1980 par W. MILLER et S. ROLLNICK, « qui consiste en une méthode de communication directive centrée sur le client visant à l’augmentation de la motivation intrinsèque par l’exploration et la résolution de l’ambivalence » (41). Cette manière de communiquer avec le patient est adaptée à toute situation thérapeutique générant une ambivalence, requérant la motivation pour procéder à un changement (addictions, éducation thérapeutique, éducation diététique…).

L’idée première pour le praticien est d’accompagner son patient et de le faire évoluer à travers les différentes étapes du changement comportemental (cycle de Prochaska et Di Clemente). Le but est d’augmenter la motivation intrinsèque au changement du patient, en le faisant identifier l’importance qu’il accorde à ce changement, la confiance qu’il a en sa réalisation, et sa disposition à opérer le changement. Cette stratégie est centrée sur le patient, et « l’engage » dans sa démarche.

Les soignants en général, et les Médecins en particulier, étant soucieux de la santé de leurs patients cherchent à les aider en corrigeant le comportement source de risques pour leur santé, cette attitde bienveillante est appelée « réflexe correcteur ». Lorsque le point de vue du patient diverge de celui du Médecin, une résistance émerge du patient. Deux argumentations se confrontent et la collaboration cesse.

L’entretien motivationnel repose donc sur la collaboration entre les deux intervenants, cela implique pour le praticien d’éviter la confrontation, d’être en accord avec les aspirations propres de son patient. L’évocation par le praticien vise à ne pas imposer les choses, mais « fait sortir la motivation de la personne », en la faisant émerger. Enfin, l’échange se fait dans le respect de l’autonomie du patient, la responsabilité du changement lui incombe.

Quatre grands principes sous-tendent l’esprit de l’entretien motivationnel :

- Exprimer de l’empathie, à travers une écoute réflective sans juger, critiquer ou blâmer. Le praticien peut exprimer son désaccord, mais accepte et cherche à comprendre le point de vue du patient

- Développer les divergences du patient dans le but de lui faire résoudre son ambivalence (en amplifiant chez le patient la divergence entre son comportement actuel et ses valeurs de référence ou ses objectifs personnels)

- Rouler avec la résistance du patient sans s’y opposer. La résistance du patient est un indicateur de dissonnance dans la relation. Il est nécessaire d’éviter le plaidoyer,

55

l’argumentation, mais il faut plutôt amener le patient à devenir acteur dans la résolution de ses problèmes

- Renforcer le sentiment d’efficacité personnelle en augmentant la confiance du patient en sa capacité de changer de comportement

L’entretien motivationnel comporte deux phases : la première vise à aider le patient à élaborer et renforcer sa motivation au changement, en faisant émerger du discours-changement. Dans une deuxième phase, le Médecin aide à consolider la décision de changement et à le mettre en œuvre.

Il est nécessaire d’éviter certains pièges relationnels :

- Les « questions-réponses », où le praticien se pose en expert et recherche des réponses courtes, elles peuvent être évitées par l’utilisation de questions ouvertes

- La prise de parti pour le changement, utilisant l’argumentation - L’expertise du praticien qui détient toutes les réponses

- L’étiquetage, c’est-à-dire l’importance donnée au diagnostic à tout prix

- La focalisation prématurée : il convient de tenir compte de ce qui est jugé important par le patient, et pas seulement de ce qui est considéré comme un problème par le praticien - Le reproche

La communication dans l’entretien motivationnel repose sur l’utilisation de (acronyme OuVER): - Les questions ouvertes, qui font émerger les préoccupations, les ressources et les

motivations du patient

- La valorisation qui augmente l’estime de soi et la confiance en soi dans le changement, permettant l’engagement dans la relation de soin

- L’écoute réflective (avec reformulation)

- Le résumé des propos énoncés, pour rassembler les données et les faire entendre à nouveau au patient, afin de lui permettre de poursuivre l’élaboration

L’objectif de ces techniques est de faire émerger le maximum de « discours-changement » du patient (Esprit de l’entretien motivationnel illustré en Annexe 3).

L’entretien motivationnel est un modèle de relation thérapeutique qui a montré une efficacité dans l’aide au sevrage tabagique (57) ainsi que dans différents autres domaines comme la prévention des facteurs de risques cardio-vasculaires (58). Dans une méta-analyse sur l’entretien motivationnel, 3 études sur 4 montraient une efficacité de cette technique, les praticiens ressentaient un bénéfice à son utilisation dans près de 80% des cas, et son application dans un

56

temps habituel de consultation (15 minutes) semblait efficace dans 64% des cas, efficacité renforcée par des consultations ultérieures. Certains Médecins Généralistes pratiquant l’entretien motivationnel depuis longtemps, intérogés par le Dr ALAM SOLTY en 2013 pour son travail de thèse, considéraient même qu’ils gagnaient du temps en consultation. Leur sentiment d’efficacité personnel et leur épanouissement professionnel était amélioré, ainsi que la satisfaction de leurs patients (59).

La formation à l’entretien motivationnel se développe en France, en particulier grâce à l’AFDEM (Association Francophone de Diffusion de l’Entretien Motivationnel), qui propose plusieurs formations de base et d’appronfondissement chaque année. L’université de Tours proposait en 2013 une formation aux internes de médecine générale lors d’un séminaire intitulé « Initiation à l’entretien motivationnel », dont l’impact avait été évalué en 2014 par le Dr Morgane VIDAILLAC dans son travail de Thèse. Les internes avaient noté une amélioration de la qualité relationnelle et une meilleure compétence d’écoute, ils se sentaient plus confiants dans leur prise en charge (60). L’enseignement de l’entretien motivationnel dans le cursus de troisième cycle est une piste intéressante.