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2.3 Information quantique

2.3.6 Registre, états et opérations quantiques

L’élément central de l’information quantique est le registre quantique. Un registre est un concept abstrait qui permet de représenter un système physique. Dans cette sous-section, nous allons introduire

l’état d’un registre, les transformations quantiques qui modifient l’état d’un registre et les mesures qui produisent de l’information classique sur l’état d’un registre.

Tout au long de cet ouvrage, nous utiliserons les majuscules sans empattements du début de l’alphabet1

(A, B, C, . . .) pour représenter des registres quantiques. À tout registre A, on associe un espace de Hilbert qu’on dénote HA et qui nous permettra de définir les états et opérations faites sur A en termes des

vecteurs, opérateurs et super-opérateurs définis plus tôt dans cette section. Pour deux registres A et B, leur composition C = AB est aussi un registre dont l’espace de Hilbert associé est HC= HA⊗ HB. On dit

qu’un registre est vide si l’espace de Hilbert associé est de dimension 1. Le plus petit registre non vide est le qubit, qui est représenté par un espace de Hilbert à dimension 2.

Pour un registre quantique A, on utilise la notation An pour représenter un registre composé de n copies identiques de A et on les numérote par An = A

1A2. . . An lorsqu’on doit distinguer les registres

individuels.

État d’un registre

L’état d’un registre A est décrit par un opérateur positif semi-défini de trace 1 ρA, c’est-à-dire un

opérateur appartenant à l’ensemble suivant :

D(HA) := {ρ ∈ L(HA) : ρ ≥ 0 et tr (ρ) = 1} ⊂ L(HA) . (2.27)

Les éléments de D(HA) sont appelés les opérateurs de densité sur HA. On dit que ρ ∈ D(HA) est pur si

ρ = |φihφ| (2.28)

pour un vecteur |φi ∈ HA. Remarquons que la condition tr(ρ) = 1 implique que |φi est un vecteur

normalisé. Définissons également l’ensemble

D≤(HA) := {ρ ∈ L(HA) : ρ ≥ 0 et tr (ρ) ≤ 1} ⊂ L(HA) . (2.29)

S’il est connu que le registre A est dans un état pur, on décrit alors son état par un vecteur |φiA qui appartient à l’ensemble

S(HA) := {|φi ∈ HA : k|φik = 1} ⊂ HA . (2.30)

On dit de l’état du registre A qu’il est mixte s’il n’est pas pur.

1. Les majuscules sans empattements de la fin de l’alphabet (X, Y, Z, . . .) représenteront généralement des registres classiques.

Puisque tout opérateur positif semi-défini est normal, le théorème spectral (théorème2.3.1) implique que tout état mixte peut s’écrire de la forme

ρA =

X

i

λi|φiihφi|A . (2.31)

Puisque ρA ≥ 0 et tr(ρA) = 1, on peut en déduire que λi ≥ 0 pour tout i et quePiλi = 1. Pour cette

raison, les états mixtes sont parfois interprétés comme une distribution de probabilité sur les états purs : le registre A est dans l’état |φiiA avec probabilité λi.

Une autre interprétation possible d’un état mixte ρAest qu’il est l’état d’un sous-registre A appartenant

à un plus grand registre AB dont l’état ρAB est pur. On dit alors que ρAB purifie ρA et que ρA est l’état

réduit de ρABobtenu en prenant la trace partielle sur le registre B. Il est facile de voir que tout état mixte

A admet une purification dans un registre plus grand AB (pour tout registre B tel que dim HB≥ dim HA).

Soit ρA dont la décomposition spectrale est donnée par (2.31) et soit {|uii}i un ensemble de vecteurs

orthogonaux de HB, alors l’état pur

|ΦiAB=X i p λi|φiiA|uiiB purifie ρA car trB(|ΦihΦ|AB) = X i λi|φiihφi|A .

Remarquons que le choix de l’ensemble {|uii}iest arbitraire puisque pour toute isométrie U ∈ U (HA, HB),

{U |uii}i forme également un ensemble de vecteurs normalisés orthogonaux. En fait, cette observation se

généralise à la propriété suivante des purifications.

Théorème 2.3.4 (Équivalence des purifications). Soient A, R1, R2 trois registres quantiques et soit |ΦiAR1

et |ΨiAR

2 deux purifications de ρA, c’est-à-dire tels que

trR1 |ΦihΦ|AR1 = trR2 |ΨihΨ|AR2 = ρA ,

alors il existe une isométrie U ∈ U (HR1, HR2) telle que |ΦiAR1= (1 ⊗ U)|ΨiAR2.

Chaque registre aura une base de préférence, identifiée simplement par {|1iA, . . . , |niA} où n = dim HA

qu’on appelle la base calculatoire. On dit qu’un registre X est classique si son état ρX est diagonal dans

la base calculatoire (c’est-à-dire qu’on peut l’écrire sous la forme (2.31) où chaque |φii appartient à la

base calculatoire). On dit que ρXA est un état classique-quantique si X est un registre classique et A est

quantique.

Pour les registres à un qubit, deux bases auront une importance particulière pour nos travaux. Il s’agit de la base calculatoire {|0i, |1i} et de la base diagonale (aussi appelée base de Hadamard ) composée des

vecteurs |+i := H|0i = √1

2(|0i + |1i) et |−i := H|1i = 1 √

2(|0i − |1i) où

H := √1 2   1 1 1 −1   (2.32)

est la matrice unitaire nommée transformée de Hadamard. Cette base s’étend facilement à plusieurs qubits de la manière suivante. À tout θ ∈ {0, 1}n, on associe la base d’un registre de n qubits {H⊗θ|xi}

x∈{0,1}n

où H⊗θ est défini en (2.11). Par léger abus de langage, on parle de la base θ pour désigner l’ensemble {H⊗θ|xi}

x.

Transformations quantiques

Pour faire évoluer l’état d’un registre quantique dans le temps, on lui appliquera certaines transfor- mations. Ces transformations sont modélisées par des super-opérateurs puisqu’elles doivent agir sur l’état d’un registre qui est représenté par un opérateur de densité. Nous utiliserons la notation EA→B comme

raccourcis pour EHA→HB (et EA lorsque A = B) pour désigner un super-opérateur qui prend en entrée un

état du registre A et le transforme en un état du registre B. Pour qu’une opération soit physiquement réalisable, elle doit produire en sortie un opérateur de densité, c’est-à-dire un état valide, lorsqu’elle est appliquée sur un opérateur de densité. Ainsi, une transformation prenant en entrée un état du registre A et produisant un état de sortie dans le registre B doit satisfaire les deux conditions suivantes :

— EA→Best complètement positive et

— EA→Bpréserve la trace.

Ces propriétés sont décrites à la section2.3.4. Les super-opérateurs satisfaisant ces deux propriétés sont parfois appelés des CPTP2. Les théorèmes 2.3.2 et 2.3.3 permettent une caractérisation des CPTP en

termes d’opérateurs linéaires. Comme pour les super-opérateurs, nous utilisons la notation VA→Bcomme

raccourcis pour VHA→HB et la notation VA si VA ∈ L(HA).

Une classe spéciale d’opérations quantiques est celle composée des transformations unitaires et, plus généralement, des isométries. Ces transformations ont la propriété de transformer un état pur en un autre état pur. Lorsqu’on fait évoluer un registre A dans l’état |φiAà l’aide d’une isométrie UA→B∈ U (HA, HB),

l’état produit est UA→B|φi ∈ S(HB). Cette opération appliquée sur un état quelconque ρA produit l’état

UA→BρAUA→B∗ ∈ D(HB) .

Il sera aussi utile de considérer une catégorie de transformations qui ne préservent pas la trace. On appelle ces transformations CPTN3 et elles sont modélisées par les super-opérateurs complètement posi- tifs, mais qui n’augmentent pas la trace. On peut interpréter ces super-opérateurs comme encapsulant à

2. De l’anglais Completely Positive Trace-Preserving. 3. De l’anglais Completely Positive Trace Non-increasing.

la fois l’action de la transformation et la probabilité que celle-ci survienne. Par exemple, si E consiste à tirer une pièce et appliquer une certaine opération dépendant du résultat, alors on peut décrire l’action de E sur un état ρ par

E(ρ) = E0(ρ) + E1(ρ)

où tr(E0(ρ)) = tr(E1(ρ)) = 12. Le super-opérateur E est un CPTP, alors que E0 et E1 sont des CPTNs.

Mesure quantique

Pour extraire de l’information classique sur l’état d’un registre quantique, on doit le soumettre à une mesure. Une mesure destructive, ou un POVM4, sur un registre A est décrite par un ensemble

d’opérateurs positifs semi-définis {Ea}a∈Σ⊂ L(HA) tels quePa∈ΣEa =1A. L’ensemble Σ représente les

résultats possibles de la mesure et les opérateurs Ea correspondants sont appelés les éléments de POVM.

Lorsqu’une mesure de ce type est effectuée sur le registre quantique A dans l’état ρA, deux choses se

produisent :

— le résultat a ∈ Σ est obtenu avec probabilité tr(EaρA) et

— le registre A est détruit.

Il est possible de représenter une mesure destructrice comme CPTP prenant un registre quantique A et produisant un registre classique X par l’opération

ρA7→

X

a∈Σ

tr (EaρA) |aiha|X . (2.33)

Il est parfois utile de considérer des mesures qui ne détruisent pas complètement le registre, mais qui produisent un état résiduel. En général, ces mesures perturbent l’état de manière non réversible (c’est-à- dire non unitaire). Soit {Ea}a∈Σ un POVM, alors puisque chaque Ea ≥ 0, il existe Ma ∈ L(HA) tel que

Ma∗Ma = Ea. Considérons alors le CPTP suivant inspiré de (2.33) :

ρA 7→

X

a∈Σ

MaρAMa∗⊗ |aiha|X (2.34)

produisant un état résiduel dans le registre A et le résultat de la mesure dans X. L’état de droite de (2.34) peut être interprété comme étant dans l’état

MaρAMa∗ tr (MaρAMa∗) ⊗ |aiha|X (2.35) avec probabilité tr (MaρAMa∗) = tr (M ∗ aMaρA) = tr (EaρA) .

Ceci motive la définition de mesure non destructive comme une mesure décrite par un ensemble d’opéra- teurs {Ma}a∈Σ satisfaisantPa∈ΣMa∗Ma=1A. Cette mesure donne lieu aux mêmes statistiques d’obser-

vation que la mesure destructive avec éléments de POVM Ea= Ma∗Ma pour a ∈ Σ, mais donne aussi l’état

résiduel du registre A (d’où le choix du terme non destructive). Soit X la variable aléatoire représentant le résultat de la mesure, c’est-à-dire prenant la valeur a ∈ Σ avec probabilité Pr[X = a] = tr(Ma∗MaρA),

alors on définit l’état du registre A conditionné sur l’évènement X = a par ρX=aA := MaρAM

∗ a

tr (MaρAMa∗)