• Aucun résultat trouvé

3. Le monde esthétique 1. Idée générale

3.2. Regard sur l’intérêt de l’art

L'homme a toujours cherché dans l’art un certain intérêt.

Alors, quel est donc cet intérêt éternel vis-à-vis du monde de l'art, esthétique ? Pourquoi ?

Le monde de l'art, esthétique est un monde comme volonté où la pure connaissance de l'homme fonctionne comme un élément primordial pour y saisir des Idées esthétiques, comme nous l’avons évoqué précédemment. Le monde esthétique nécessite ainsi deux éléments : la pure connaissance et les Idées esthétiques. Tout en étant libre après son développement, la connaissance de l'homme devient une pure connaissance, indépendante de son corps, puis elle arrive finalement à voir des Idées esthétiques.

L'homme trouve alors une paix sublime dans ce monde esthétique où la loi de la nature, de la causalité, n'existe pas. D'où l'absence totale de souffrances humaines. C’est le monde du bonheur idéal, celui du paradis.

Nous pourrions dire que c'est principalement pour cela que tous les artistes poursuivent, durant leur vie, ce monde esthétique, celui de la paix sublime.

Il leur faut sortir de ce monde réel où il y a les volontés humaines, l'origine des désirs, qui sont la cause des souffrances humaines. C’est ce que nous avons imposé à l’art comme valeur de la première importance dans la partie précédente.

Précisons cependant que l'homme fait face aux souffrances dans sa vie quotidienne. L'homme, être humain avec une capacité cognitive exceptionnelle, crée dans ce monde de la représentation son propre monde à part du monde de la nature. C'est le monde de l'homme dans lequel celui-ci, grâce à ses connaissances, démontre souvent sa capacité réelle contre la nature. L'homme réalise ainsi sa vie entre les deux mondes, celui de la nature et celui de l'homme.

Ce faisant, il est vrai que l'homme rencontre des difficultés au milieu de ces deux mondes, d'autant plus que le monde de la nature n'est pas un monde parfait comme nous le verrons précisément dans l’annexe, 2.Taoïsme. La nature n'est pas le résultat parfait de la représentation de la Volonté, malgré son état actuel magnifique. Mais, elle est en train de se développer et d’évoluer vers un état meilleur. Le monde de la nature n'est donc pas encore tout à fait comme la Volonté voudrait le représenter.

C’est justement ce que nous avons aussi confirmé du point de vue artistique dans la partie précédente, et comme l’explique Schopenhauer dans le

chapitre 4558 : « A peine a-t-il entrevu l'Idée dans les choses particulières, aussitôt il comprend la nature comme à demi-mot ; il exprime sur-le-champ d'une manière définitive ce qu'elle n'avait fait que balbutier ; cette beauté de la forme qu'après mille tentatives la nature ne pouvait atteindre, il la fixe dans les grains du marbre ; il la place en face de la nature, à laquelle il semble dire : " Tiens, voilà ce que tu voulais exprimer."

- " Oui, c'est cela", répond une voix qui retentit dans la conscience du spectateur: - C'est ainsi seulement que le génie grec a pu trouver l'archétype de la forme humaine et l'imposer comme canon à son école de sculpture. »

De ce fait, l'homme avec sa capacité cognitive, grâce à sa raison, peut lui aussi évoluer vers un état meilleur ou pire que celui de la nature. Ceux qui évoluent vers un état meilleur sont des gens tels que les véritables artistes, les grands bouddhistes, ou les Saints, ce qui est très exceptionnel et très rare. Ils vivent au-delà du monde de la nature, autrement dit dans le monde esthétique, celui de la volonté, où les souffrances humaines n'existent pas.

Ils sont déjà à l’intérieur, sans souffrance humaine.

En revanche, ceux qui évoluent vers un état pire sont aussi les gens rationnels, mais pas dans ce bon sens. C’est le cas pour la plupart des gens normaux. Ils se servent des connaissances abstraites grâce à leur raison.

Mais leurs connaissances abstraites ne sont pas correctes, car elles sont dérivées des connaissances intuitives originelles et donc de la caractéristique de la nature.59 Ils se placent alors aussi en dehors du monde de la nature, mais dans un état pire que celui de la nature. Ils vivent ainsi contre la nature et ils entrent en conflit avec elle.

C'est ainsi que l'homme éprouve souvent des difficultés et connaît réellement des souffrances quotidiennes, en menant sa vie dans ce monde de la nature. Placé dans une telle situation, l'homme doit donc rechercher sans cesse la solution pour en sortir. Ce sont les Idées esthétiques et le monde esthétique qu'il trouve comme solution de sortie, avant d'arriver dans le monde comme volonté. Il essaie alors d’être artiste et de trouver le monde de paix sublime sans souffrance. Alors, l’art se présente à lui comme l’intérêt de première importance.

En revanche, en dehors de cette raison apparente, nous pouvons comprendre autrement la poursuite des artistes du monde de l'art et des

58 : Ibid., p. 285, 286

59: Nous préciserons plus tard.

Idées esthétiques. Nous pouvons ensuite l'interpréter différemment du sens esthétique.

Nous comprenons bien à présent que notre monde réel n'est rien d'autre que le monde comme représentation, réalisé à partir de celui de la volonté. C'est ainsi que notre monde réel n'est pas différent de celui de la volonté et qu'il porte les mêmes caractéristiques originales du monde comme volonté. Ce sont les caractéristiques selon la force absolue de la Volonté. Ainsi le monde, quoi qu'il en soit, celui de la représentation ou celui de la volonté, est-il un monde unique placé sous la dépendance de la Volonté, malgré ses faces différentes, comme nous l’avons constaté dans la partie précédente.

Toutes les choses existant dans le monde font donc partie de ce monde unique, à savoir celui de la Volonté, et elles sont la Volonté elle-même.

Toutefois, il est vrai que le monde comme représentation, y compris l'homme, n'est pas encore parfaitement réalisé et est en train d’évoluer de la même manière que la nature. Le monde comme représentation, notre monde réel, est donc un lieu de conflit et de guerre permanents entre des volontés qui attendent de toute leur force la chance de se réaliser dans ce monde, tout ceci pour atteindre l’état parfait, tel que la Volonté l’impose.

Par conséquent, après ou pendant le conflit, il est certainement possible que des choses dérivent plus ou moins momentanément de la volonté de la Volonté, de son attention, bien qu'elles restent toujours soumises à la force absolue de la Volonté (c’est justement le cas en ce qui concerne les connaissances abstraites.).

C'est à ce moment précis que de telles choses dérivées se dirigent vers le point de concorde, vers le point d'origine. C'est une sorte d'attraction, de la périphérie vers le centre de la force absolue de la Volonté, étant donné que la Volonté règne toujours sur toutes les choses qui existent en ce monde en les prenant à tout moment et n'importe où, en tant que créateur et administrateur du monde. C’est justement la nature d’ « Une » de la Volonté, celle d’identité « qui comprend tout, et qui règne partout et sur tout », comme déjà évoqué auparavant. La Volonté se représente ainsi comme une « Force d’unité ».

C'est ainsi que le monde comme représentation est attiré par le monde comme volonté, par la force d’unité, « Une », et que des choses matérielles et humaines dans le monde comme représentation se dirigent vers des choses comme les Idées, les volontés dans le monde comme volonté. Les Idées et les volontés peuvent se conserver ainsi dans leurs propres choses

réalisées, celles de la représentation, sous la nature de la Volonté, celle d’« Une ».

Donnons un exemple concret ; c'est tout à fait comme la pomme qui tombe sur le sol à cause de la pesanteur et comme le fer qui colle à l'aimant à cause du magnétisme. La force de la pesanteur et celle du magnétisme sont des Idées esthétiques les plus basses, en tant que forces de la nature. Elles font donc partie du monde comme volonté. Et il est tout à fait compréhensible que la pomme qui fait partie du monde comme représentation, attirée par l'Idée de pesanteur qui appartient au monde comme volonté, tombe sur le sol sans aucune hésitation, de même que le fer l'est avec l'Idée du magnétisme.

Une telle logique s'applique encore dans le monde de l’homme, à cause de sa capacité cognitive. Ainsi l'homme montre-t-il souvent dans sa pensée et dans son comportement de telles choses dérivées, telles que celles dues au conflit entre les connaissances intuitives et abstraites.

L'homme fait tout d'abord partie du monde de la nature, et il a donc des connaissances intuitives conformes à la nature, puisqu’il est dans le même circuit que la nature et sous la même force absolue de la Volonté. Ce sont ainsi les connaissances intuitives de l'homme qui sont toujours identiques à la valeur et à la volonté de la nature. Elles arrivent ainsi à concevoir sans problème la vérité des choses dans le monde de la nature. C’est justement pour cela que « nous voyons dans l’entendement le corrélatif subjectif de la causalité, et nous disons que la matière (c’est-à-dire le monde entier comme représentation) n’existe que pour l’entendement, qu’il était sa condition, son support, son corrélatif nécessaire.»60

D’un autre côté, il est aussi possible pour l'homme de garder les connaissances abstraites, volontairement à partir de connaissances intuitives, grâce à sa raison qui lui donne en fait la capacité de penser, mais avec aussi la possibilité de commettre des erreurs. C'est ainsi que la valeur de telles connaissances abstraites n'est pas toujours assurée par rapport à celle des connaissances intuitives, à celle de la nature, et à celle du monde comme volonté, qui sont leur propre valeur permanente, identique et qui sont celle de la force absolue de la Volonté.

En effet, les connaissances abstraites de l'homme sont le résultat dérivé du centre de la force absolue de la Volonté et ne sont pas souvent identiques

60 : A. Schopenhauer, op. cit. p. 181

aux connaissances intuitives qui gardent toutefois la même valeur de la nature, identique à celle du monde comme volonté (identique par rapport à celle de l’homme), malgré son état imparfait. Ainsi les connaissances abstraites montrent-elles souvent leur désir de se diriger vers le point de concorde, de la périphérie vers le centre de la force absolue de la Volonté.

Au début, avec des connaissances abstraites erronées, on a des craintes, des remords et des soucis. Puis, on arrive finalement à confirmer leurs valeurs, grâce aux connaissances intuitives. Schopenhauer s’explique à ce propos dans le chapitre 861 ; « Comme on passerait de la lumière directe du soleil à cette même lumière réfléchie par la lune, nous allons, après la représentation intuitive, immédiate, qui se garantit elle-même, considérer la réflexion, les notions abstraites et discursives de la raison, dont tout le contenu est emprunté à l’intuition et qui n’ont de sens que par rapport à elle. Aussi longtemps que nous demeurons dans la connaissance intuitive, tout est pour nous lucide, assuré, certain, Ici, ni problèmes, ni doutes, ni erreurs, aucun désir, aucun sentiment de l’au-delà ; on se repose dans l’intuition, pleinement satisfait du présent.

…..

…….

Mais, avec la pensée abstraite, avec la raison, s’introduisent dans la spéculation le doute et l’erreur, dans la pratique l’anxiété et le regret. Si, dans la représentation intuitive, l’apparence peut un instant déformer la réalité, dans le domaine de la représentation abstraite l’erreur peut régner pendant des siècles, étendre sur des peuples entiers son joug de fer, étouffer les plus nobles aspirations de l’humanité, et faire charger de chaînes par ses dupes et ses esclaves celui-là même qu’elle n’a pu abuser. »

C'est donc le grand moment rassurant. Les craintes, les remords et les soucis disparaissent. C'est alors la victoire dans le conflit entre les connaissances intuitives et les abstraites, symbolisée particulièrement par le sourire, physionomie joyeuse de l'homme comme signe de la victoire.62 Le monde de l'homme dérivé retrouve ainsi son état d'origine et arrive à sa source, attiré par la force absolue de la Volonté.

Un tel phénomène d'attraction est davantage perçu quand il s'agit du monde de l'art, esthétique. L'attraction vers le monde de l'art, esthétique, est une poursuite passionnée chez les artistes vers le monde comme volonté, durant toute l'histoire de l'humanité. Toutefois, une telle attraction vers le monde de l'art mériterait une autre explication, plus raffinée.

61 : Ibid., p. 64

62 : Ibid., p. 779, 780

En effet, l'attraction vers le monde de l'art n'est pas vraiment une attraction entre deux mondes différents, celui de la représentation et celui de la volonté, mais une attraction au sein du même monde, celui de la volonté.

Comme nous le savons déjà, l'homme avec sa capacité cognitive excellente est le seul être dans le monde de la nature, qui sache entrer dans le monde comme volonté. Ses connaissances deviennent alors une pure connaissance indépendante et libre de son corps. Il arrive par là à entrevoir le monde comme volonté, esthétique. Ainsi entre-t-il réellement dans le monde comme volonté et réussit-il à saisir les Idées esthétiques, grâce à sa pure connaissance. C'est donc à partir de ces deux éléments, la pure connaissance et les Idées esthétiques, que le travail de l’artiste fonctionne avec tant de passion.

Pourtant, une telle capacité cognitive, la pure connaissance, n'est pas disponible pour n'importe qui, mais uniquement pour une minorité de personnes, sélectionnées parmi d'autres pour leur capacité cognitive excellente et, en particulier, leur intuition exceptionnelle. Elles sont ainsi sélectionnées et font déjà partie du monde comme volonté.

Les artistes sont déjà dans le monde comme volonté, même si ce n’est que provisoirement, au moment de leur travail. Ce dernier n’est pas un travail entre deux mondes différents, mais un travail au sein du même monde, de celui de la volonté. Par conséquent, l'attraction vers le monde de l'art n'est pas vraiment une attraction entre des choses différentes, mais plutôt une réunion soudée, bien accomplie entre des choses identiques au sein du même corps. Ils y deviennent « Une » avec la Volonté, donc un ensemble indivisible. C'est pour cela que le monde de l'art se révèle si passionnant pour les artistes, une fois qu'ils y sont entrés. Les artistes cherchent ainsi à l’aveugle et ils continuent durant toute leur vie, sans aucune hésitation.

Cependant, un tel monde de l’art est un problème délicat, un véritable dilemme éternel pour les artistes ; la pure connaissance artistique n'est pas permanente, elle n'est disponible qu'au moment d'effectuer le travail artistique. En effet, les artistes ne sont pas capables de la garder longtemps, à la différence des saints et des grands bouddhistes, étant donné que leur capacité cognitive n’est pas aussi élevée que celle de ces derniers.

Alors, les deux facteurs inséparables pour le monde de l'art se trouvent soudainement séparés dès que le travail artistique est accompli. Les artistes tombent ainsi dans une situation dramatique et épouvantable. La réunion artistique évoquée plus haut, bien soudée, et plus forte que d'autres

attractions, prend fin brusquement. Les artistes doivent alors absolument retrouver leur union dans le monde de l’art. Ils la recherchent de toutes leurs forces, pendant toute leur vie, même s’il n'est pas possible pour eux de la retrouver. L'atteindre ou ne pas l'atteindre, n'est pas vraiment le problème pour eux. Mais, ils doivent à tout prix courir après ce monde de l’art, esthétique. Ils y sont obligés, puisque ce n'est pas leur volonté, mais celle de la Volonté, si forte qu'elle est incomparable à l'attraction par les forces de la nature (comme celle de la pesanteur et du magnétisme).

C'est ainsi que le monde de l'art se révèle en attirant les artistes ; cela forme alors une union soudée entre le monde de l’art et les artistes. Cependant, ce n’est que temporaire, et la désunion est inévitable, en attendant une prochaine réunion. Le monde de l'art devient ainsi un monde à part, particulier, un monde de dilemme pour les artistes. C'est un monde attirant et sans équivoque pour les artistes, une fois qu'ils y sont entrés.

Ils ne peuvent pas en sortir sans être épuisés, car le monde de l'art est un monde, disons de « vampire », qui absorbe sans cesse les esprits des artistes, jusqu'à épuisement, attendant qu'ils soient à nouveau remplis. Les artistes n’entrevoient aucune chance, aucun espoir d'en sortir, face à une telle force d'absorption. C'est le monde sans raison, sans source et sans valeur, parce que l’on est dans le monde comme volonté.

Le monde esthétique chez Schopenhauer nous fait ainsi voir une telle attraction incomparable parmi des phénomènes dans notre monde comme représentation.

Il est vrai que cet intérêt de l’art vient d’abord de l’état de l’esprit des artistes où les souffrances disparaissent par le travail artistique. Ils y trouvent ainsi une paix sublime et entrent dans le monde du paradis, celui de la volonté.

Par contre, cette attraction artistique concernerait aussi le problème d’origine entre deux mondes différents, celui de la volonté et celui de la représentation.

Il est normal que le monde comme représentation soit attiré par le monde comme volonté et par la Volonté, ainsi que les artistes le sont par des Idées esthétiques.

C’est une attraction sans raison et sans source, puisque c’est un travail fait par la Volonté, grâce à sa nature « Une ».

Les artistes continuent et continueront ainsi de courir après l’art par leur travail, avec une grande passion éternelle et sans condition.

4. Conclusion

Après l’aperçu sur la philosophie de Schopenhauer dans cette partie, nous avons en effet compris la logique de sa philosophie.

Elle commence tout d’abord par son grand constat, l’existence de la Volonté en tant que force absolue de puissance.

La Volonté s’active pour faire en sorte que les deux mondes se réalisent, celui de la volonté et celui de la représentation. Notre monde réel comme représentation se voit ainsi à travers les étapes du processus de l’Objectivation et de l’Individuation de la part de la Volonté.

Finalement, la Volonté parvient à prendre connaissance d’elle-même, ceci grâce à la pure connaissance de l’homme. L’homme devient ainsi le miroir de la Volonté en tant que sa meilleure représentation et y joue un rôle important en tant que pont entre les deux mondes.

Schopenhauer insère donc une réflexion humaine dans sa philosophie.

C’est justement là que le problème de sa philosophie se voit, sachant qu’il ne s’y trouve théoriquement aucune place pour l’homme.

C’est ainsi que les souffrances de la vie humaine et les essais pour en sortir s’y présentent, parallèlement au monde de la négation du vouloir-vivre, considéré comme le monde idéal, celui du paradis, sans aucune souffrance.

C’est une valeur humaine imposée par la philosophie de Schopenhauer, qui va affaiblir l’intensité de son origine.

C’est une valeur humaine imposée par la philosophie de Schopenhauer, qui va affaiblir l’intensité de son origine.