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Au regard de la dualité traditionnelle opposant le temps de travail effectif au temps de repos

Dans le document Les temps de déplacement professionnel (Page 34-37)

SECTION I – LA DUALITE DES QUALIFICATIONS

A. Au regard de la dualité traditionnelle opposant le temps de travail effectif au temps de repos

44. Le droit de la durée du travail s’est bâti sur une conception dualiste opposant le temps de travail, né de l’exécution du contrat de travail, ouvrant droit à rémunération et soumis à la législation du travail, au temps libre du salarié durant lequel il lui est possible de se livrer aux occupations qu’il souhaite sans qu’il soit tenu d’exécuter sa prestation de travail.

Cette dualité était parfaitement adaptée à l’ère industrielle où le droit du travail, droit ouvrier, régissait principalement la situation du travailleur à la chaine exécutant sa tâche au sein de l’entreprise. Que faire de cette distinction à une époque où l’organisation du travail permet une plus grande disponibilité des salariés ?

45. Emergence d’un temps gris ? – La distinction traditionnelle opposant temps de travail effectif et temps de repos est aujourd’hui remise en cause par un certain nombre d’auteurs qui plaident en faveur d’un « temps de troisième type »33

ou « temps gris ». Ces temps sont considérés par ceux-ci comme ne relevant ni du temps de travail effectif, ni du temps de repos. Ils seraient, par nature, nécessités par le contrat de travail, et contraignants, pour le salarié. Ils ne lui laisseraient donc pas toute latitude quant à son emploi du temps et à des occupations privées.

La thématique des temps de déplacement professionnel tient une place particulière dans cette réflexion globale au regard de la contrainte qu’ils induisent. En effet, le déplacement professionnel du salarié est, dans tous les cas, et comme son nom l’indique, nécessité par son

33 J.-E. RAY, D’un droit des travailleurs aux droits de la personne au travail, Droit social, n° 1, Janvier 2010,

34 contrat de travail. Ce n’est donc pas un temps complètement libre. C’est en ce sens que sa qualification et le régime qui en découle restent complexes.

Il serait tentant d’élaborer un régime mixte, qui ne relèverait ni du temps de repos, ni du temps de travail effectif. Tel n’est pas, aujourd’hui, la position du législateur et de la Cour de cassation qui tiennent à différencier clairement ces régimes. En effet, cette distinction de principe, malgré l’évolution historique et sociologique des conditions de travail, reste pleinement présente.

La Cour de cassation s’efforce, en dehors de la problématique spécifique des temps de déplacement professionnel, de protéger le temps de repos et la vie privée du salarié, empêchant à l’employeur d’imposer au salarié de travailler à son domicile. Cette jurisprudence34, rendue au visa de l’article L. 120-2 du Code du travail (L. 1121-1 du Code du travail) et de l'article 9 du Code civil protégeant la vie privée de tout individu, témoigne de la volonté des juges du droit de tracer une frontière claire entre vie privée et vie professionnelle du salarié et, par là-même, entre temps de repos et temps de travail effectif. Dès lors, il n’est pas concevable d’admettre l’existence d’une qualification spécifique fondée sur la « télé- disponibilité du salarié »35 en droit français.

46. Influence du droit européen. – Il est utile, dans le cadre d’une européanisation des relations de travail, de s’interroger sur la pérennité de cette conception dualiste face à l’influence grandissante du droit européen dans l’ordre interne. Comme en témoigne l’arrêt SIMAP36, la Cour de Justice de l’Union Européenne ne remet pas en cause l’exigence d’une distinction unique entre temps de repos et temps de travail effectif du salarié.

La jurisprudence SIMAP a été rendue à l’occasion du cas particulier des temps de garde des médecins. La Cour a jugé que le temps de garde des médecins à leur domicile ne pouvait pas constituer du temps de travail effectif quand bien même, pouvant être joints à n’importe quel moment, ils seraient à la disposition de leur employeur. Les salariés disposent d’une marge de manœuvre suffisamment importante lors de ces temps de garde empêchant de les qualifier de temps de travail effectif.

Ainsi, il est constant que les juges, tant en droit interne qu’en droit européen, s’attèlent à qualifier les temps qui peuvent poser des difficultés théoriques de qualification en fonction de la dualité historique.

34 Cass. soc., 2 octobre 2001, M. Abram contre société Zurich assurance, n° 99-42727, Bull. civ., V, n° 292, p.

234 ;

35 J.-E. RAY Op. Cit. ;

35 47. Jurisprudence antérieure à la loi du 18 janvier 2005. – Au-delà de cette classification générale, que la chambre sociale s’astreint à faire respecter, la distinction classique a pu être confirmée par les juges au sujet des temps de déplacement professionnel. Avant que le législateur n’intervienne37 et ne qualifie le temps de déplacement professionnel entre le domicile et le lieu d’exécution du travail, les juges en avaient été saisis et avait dû, face au vide juridique régnant sur cette question, élaborer un édifice de qualification.

Avant 2005, les juges, à l’occasion de la qualification du trajet entre le domicile et le lieu d’exécution du travail établissaient une distinction entre le temps de trajet normal entre le domicile et le lieu habituel d’exécution de la prestation de travail et le temps anormal de trajet entre le domicile et le lieu inhabituel de travail.

En ce qui concerne le temps normal, défini par ses extrémités au regard des habitudes de vie du salarié, il constituait dans tous les cas un temps de repos. En revanche, lorsque l’employeur imposait un lieu de travail inhabituel et que celui-ci augmentait le temps de trajet depuis le domicile, la fraction excédentaire devait être considérée comme du temps de travail effectif38. Tel n’était pas le cas lorsque le salarié accomplissait, entre son domicile et un lieu inhabituel de travail, un temps n’excédant pas le temps normal.

Il est à noter que seule la fraction excédentaire devait être qualifiée en temps de travail effectif et non l’intégralité du temps de trajet. Cette solution, qui n’apparaissait pas explicitement dans tous les arrêts de la chambre sociale, avait pu être explicitée dans le rapport annuel de la Cour de cassation pour l’année 2004 et aux termes duquel la portée de l’arrêt du 5 mai 2004 résidait dans le distinction « entre le temps passé pour se rendre du domicile au lieu d’activité habituel des salariés qui ne constitue pas un travail effectif et le temps de trajet dépassant ce temps normal qui doit lui être considéré comme du temps de travail effectif ».

Il ne s’agissait en réalité que d’une confirmation de l’arrêt AFPA39

, dans lequel la Cour de cassation avait censuré l’arrêt d’appel au motif que les juges du fond avaient décidé que la totalité des temps de trajet devaient être rémunérés comme du temps de travail effectif.

48. La qualification en temps de repos ou en temps de travail dépendait donc de deux facteurs : un facteur spatial dans un premier temps, et un facteur temporel dans un second temps. Ces facteurs aboutissaient dès lors sur la dualité mise en évidence sans qu’il soit

37 Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale ; 38 Cass. soc., 5 mai 2004, pourvoi no 01-43918, Bull. civ., V, n° 121 p. 110 ;

36 possible de soumettre le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail à un régime dérogatoire, sui generis, gouverné par des règles qui lui seraient propres.

49. La chambre sociale ne reconnaît donc pas, en l’état actuel du droit, de qualification mixte. Cette position, qui justifie que les temps de déplacement professionnel entrent dans l’une des deux catégories de temps que connaît le droit du travail, explique, en particulier, la raison pour laquelle, depuis 2005, le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail constitue, par principe, un temps de repos. Il est intéressant, pour juger de la pertinence de la qualification en temps de repos du temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail, de le confronter à la définition du temps de travail effectif.

Dans le document Les temps de déplacement professionnel (Page 34-37)