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SECTION II : LA FIN DE L’IMPUNITE DES CHEFS D’ETAT AFRICAINS

Paragraphe 2 : Les conséquences du rejet de l’impunité des Chefs d’Etat africains

A- Le refus de coopération exprimé par l’UA

Suite aux mandats d’arrêt lancés contre le Président soudanais Omar Al Bashir, mandats qu’ont d’ailleurs dénoncés certains pays africains455, l’UA a pris plusieurs résolutions dans

lesquelles elle invite ses Etats membres à ne pas coopérer avec la CPI relativement à la remise d’Omar Al Bashir, conformément à l’article 98-1 du Statut de Rome456 qui dispose

que : « La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une demande de remise ou d'assistance qui

contraindrait l'État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d'immunité des États ou d'immunité diplomatique d'une personne ou de biens d'un État tiers, à moins d'obtenir au préalable la coopération de cet État tiers en vue de la levée de l'immunité ». S’alignant sur la position de l’UA, des Etats

africains comme le Malawi et le Tchad ont refusé de procéder à l’arrestation d’Omar Al Bashir en visite sur leurs territoires, malgré les demandes de coopération de la Cour formulées dans ce sens.

455 Notamment le Soudan et l’Algérie dont le représentant au Conseil a dénoncé « la politique de deux poids,

deux mesures [et] une justice à deux vitesses », In : James Mouangue Kobila, « L’Afrique et les juridictions internationales pénales », African Yearbook of International Law Online / Annuaire Africain de droit international Online, Volume 17, Issue 1, 2009, p. 13-95, p. 36.

456 Conférence de l’Union africaine, « Décision sur le rapport de la commission sur la réunion des Etats africains

parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), Doc. Assembly/AU/13(XIII) », 3 juillet 2009, Assembly/AU/Dec.245(XIII)Rev.1 (« la Décision UA du 3 juillet 2009 »), par. 10 ; Conférence de l’Union africaine, « Décision sur la mise en œuvre de la Décision Assembly/AU/Dec.270(XIV) relative à la deuxième réunion ministérielle sur le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) Doc. Assembly/AU/10(XV) », 27 juillet 2010, Assembly/AU/Dec.296(XV), par. 5 et 6 ; Conférence de l’Union africaine, « Décision sur la mise en œuvre des décisions sur la Cour pénale internationale (CPI) ‐ Doc. EX.CL/639(XVIII) », 30‐31 janvier 2011, Assembly/AU/Dec.334(XVI), par. 5 ; Conférence de l’Union africaine, « Décision sur la mise en œuvre des décisions de la Conférence relatives à la Cour pénale internationale ‐ Doc. EX.CL/670(XIX) », 30 juin‐1er juillet 2011, Assembly/AU/Dec.366(XVII) (« la Décision UA du 30 juin‐1er juillet 2011 »), par. 5.

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Amenée à se prononcer sur l’attitude de ces Etats, la Cour a dans deux décisions datant de décembre 2011457 considéré que le Tchad et le Malawi avaient manqué à leur obligation de coopération telle que prévue par l’article 86 du Statut. Celle-ci est parvenue à cette conclusion car bien qu’il existe un conflit entre les articles 27-2 et 98-1, ces deux Etats et par extension l’UA, n’ont pas le droit d’invoquer l’article 98-1 pour justifier leur refus d’accéder aux demandes de coopération. Cela pour plusieurs raisons. Premièrement, l’argument tiré de l’immunité des autorités suprêmes d’un Etat devant les juridictions internationales a été maintes fois rejeté depuis la fin de la Première Guerre Mondiale. Deuxièmement, les procédures engagées contre des chefs d’Etat se sont multipliées ces dernières années458, à tel point que l’engagement de telles poursuites « est devenu une pratique largement acceptée et

reconnue »459. Troisièmement, 120 Etats ont tous accepté que les immunités dont jouissent

leurs plus hauts responsables leur soient retirées. Même des Etats non parties au Statut ont soutenu les résolutions 1593 et 1970 du CSNU qui pourtant laissent envisager que des poursuites seront engagées à l’encontre de responsables qui normalement jouiraient d’immunités devant les juridictions nationales. Quatrièmement, et c’est l’argument qui me parait le plus pertinent, le Tchad et le Malawi ayant reconnu que la Cour exerce sa compétence à l’égard des crimes les plus graves qui touchent l’humanité toute entière, il apparait incohérent que ceux-ci reconnaissent cette mission et qu’ils refusent « ensuite de lui

remettre un chef d’État poursuivi pour avoir orchestré la commission d’un génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Interpréter l’article 98‐1 de façon à justifier la non‐remise à la Cour d’Omar Al Bashir pour des raisons liées à son immunité entraverait le travail de celle‐ci et plus généralement de la justice pénale internationale d’une façon totalement contraire au but du Statut ratifié par le Malawi »460 et le Tchad.

Cette argumentation a cependant été remise en cause par James Mouangue Kobila461, plus précisément concernant l’existence d’une coutume alléguée par la CPI, en raison de la pratique des poursuites internationales engagées contre des chefs d’Etat.

457 CPI, Situation au Darfour, Le Procureur c. Omar Hassan Al Bashir, ICC-02/05-01/09, Chambre préliminaire

I, Décision rendue en application de l’article 87-7 du Statut de Rome concernant le refus de la République du Tchad d’accéder aux demandes de coopération délivrées par la Cour concernant l’arrestation et la remise d’Omar Hassan Al Bashir, 13 décembre 2011, § 13 ; CPI, Situation au Darfour (Soudan), Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Affaire n° ICC‐02/05‐01/09, Chambre préliminaire I, op.cit., §§ 36 et suiv.

458 Nous pouvons citer à titre d’exemples, les poursuites engagées contre Slobodan Milošević, Charles Taylor,

Laurent Gbagbo, Muammar Qadhafi et même Hissène Habré.

459 CPI, Situation au Darfour (Soudan), Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Affaire n° ICC‐02/05‐

01/09, Chambre préliminaire I, op.cit., § 39.

460 Ibid., § 41.

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Or selon lui, cette hypothétique coutume n’est pas opposable aux Etats africains puisqu’ils ont contesté de manière persistante « la licéité des poursuites pénales contre Omar El Béchir

et contre le Colonel Kadhafi sur le plan international (…). La coutume alléguée par la CPI n’est par conséquent rien d’autre que ce que Robert Kolb appelle une coutume postulée462

»463, à laquelle l’UA s’est fermement opposée464. De même, l’Afrique du Sud reste peu convaincue par la démonstration de la Chambre préliminaire, qui présente à ses dires quelques incohérences. Selon elle, la relation entre Etats parties et Etats non parties continuant d’être régie par le droit international coutumier qui accorde aux chefs d’État une immunité ratione personae, « si un État partie procédait à l’arrestation d’une telle personne,

conformément aux obligations que lui impose le Statut de Rome, il pourrait enfreindre d’autres obligations découlant du droit international coutumier »465.

Ces points de vue doivent néanmoins être relativisés car comme l’a rappelé la Chambre préliminaire, « il n’y a pas de conflit entre les obligations [des Etats africains] envers la

Cour et [leurs] obligations en droit international coutumier, puisque les résolutions 1593 et 1970 ont privé les autorités soudanaises et libyennes des immunités dont elles jouissaient tant sur le plan du droit coutumier qu’en vertu du droit de l’UA »466. Partant, l’article 98-1 ne

s’applique pas. L’Afrique du Sud a quand même demandé malgré cette précision que soit clarifier la nature et le champ d’application des dispositions de l’article 98 du Statut de Rome et sa relation avec l’article 27. Proposition qui a rencontré une très forte opposition « en

raison de divergences fondamentales sur la question des immunités des chefs d’État »467. D’où son retrait du Statut de Rome.

Quoi qu’il en soit, les Etats africains se sont montrés très peu enclins à exécuter les mandats d’arrêt lancés contre Omar Al Bashir, malgré les nombreuses demandes effectuées dans ce sens par le procureur. Ceux-ci craignant « une vulnérabilité future »468, ont fait preuve d’une solidarité inouïe pour éviter que l’un d’entre eux ne tombe entre « les mailles de

la CPI »469. En témoigne les nombreuses visites effectuées par ce dernier sur le continent africain, sans qu’il ne soit mis aux arrêts470. Cette volonté manifeste des chefs d’Etat africains

462 Une coutume postulée selon Robert Kolb, désigne la situation dans laquelle le juge international « affirme le

caractère coutumier d’une norme ou l’invente à partir d’un matériau existant mais insuffisant. La balle est alors renvoyée dans le camp des Etats. Si ceux-ci s’opposent fermement à la prétention du juge, la norme postulée sera avortée », Voir Kolb R., « Les influences du droit international pénal sur le droit international public », AFRI (2011), pp. 149-170 (copie de l’auteur, p. 10). Contra : Salah M.M., « Interrogations sur l’évolution du droit international pénal », JDI (Juil-Août-Sept. 2009), pp. 731-789 (spéc., pp. 772-773). Tiré de James Mouangue Kobila, « L’Afrique et les juridictions internationales pénales », op.cit., p.43.

463 James Mouangue Kobila, « L’Afrique et les juridictions internationales pénales », op.cit., pp. 40 & 43. 464 Ibid., p. 43.

465 ONU, Afrique du Sud : Retrait, Déclaration de la République sud-africaine sur la décision de se retirer du

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, C.N.786. 2016.TREATIES-XVIII.1, 19 octobre 2016, p. 2.

466 CPI, Situation au Darfour (Soudan), Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Affaire n° ICC‐02/05‐

01/09, Chambre préliminaire I, op.cit., § 43.

467 ONU, Afrique du Sud : Retrait, Déclaration de la République sud-africaine sur la décision de se retirer du

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, op.cit., p. 3.

468 Mohamed Madi Djabakaté, Le rôle de la Cour pénale internationale en Afrique, op.cit., p. 74. 469 Ibid.

470 Omar Al Bashir a effectué des visites sur les territoires tchadien, malawite, djiboutien, kenyan, ougandais

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de préserver leur impunité les a conduits à créer une « Cour pénale africaine », la CPI n’étant plus disposée à le faire.