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L’évolution du droit des immunités des Chefs d’Etat

SECTION II : LA FIN DE L’IMPUNITE DES CHEFS D’ETAT AFRICAINS

A- L’évolution du droit des immunités des Chefs d’Etat

La théorie de « l’Etat écran » a pendant longtemps fait échec en droit international à l’engagement de la responsabilité pénale du Chef de l’Etat pour les graves crimes qu’il aurait commis. Cela dans la mesure où, celui-ci agissant pour le compte de l’Etat et non pour le sien propre ne pouvait être poursuivi pour ses actes qui sont réputés être commis par l’Etat lui- même. Ainsi, les gouvernants bénéficiaient-ils d’une immunité étatique en raison de la confusion entre la personne du souverain et l’Etat, que Louis XVI résumait si bien par l’expression « l’Etat c’est moi ». Cette expression qui peut paraître très choquante aujourd’hui, traduisait à l’époque des monarchies une vérité absolue, en raison d’une forte personnalisation du pouvoir, à tel point que les actes du souverain étaient imputables à l’Etat, « à la communauté elle-même »426.

Ce principe traditionnel de l’immunité du Chef d’Etat trouve sa justification dans plusieurs facteurs427. D’abord, la théorie de la souveraineté qui supposant une absence de

425 Cet article dispose que « 1. Le présent Statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction

fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'État ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. 2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne ».

426 Salvatore ZAPPALA, La justice pénale internationale, Paris, Montchrestien, coll. Clefs, 2007, p. 12.

427 Ces facteurs ont été dégagés par Bassel Mohammad, La responsabilité pénale internationale des chefs d’Etat

pour les crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale, Thèse de doctorat de droit et science politique, Université de Poitiers, 2014, pp. 12-13.

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subordination de l’Etat à « aucune autre autorité nationale ou internationale »428 sans son

consentement, fait obstacle à la poursuite d’un Chef d’Etat par une juridiction étrangère car celui-ci est l’incarnation de cette souveraineté étatique. La Cour d’appel de Paris était du même avis puisque dans un arrêt du 23 aout 1870 demoiselle Masset, elle a estimé que faire juger un Chef d’Etat par une juridiction extérieure « serait évidemment violer une

souveraineté étrangère et blesser en cette partie le droit des gens »429. Cette position fut

également adoptée par la Cour d’appel d’Alger dans son arrêt du 22 janvier 1914430 dans

lequel elle reconnaît qu’un président de la République ne peut être jugé que par une juridiction de son Etat. Ensuite, un autre justificatif de la reconnaissance d’une immunité à l’autorité suprême d’un Etat, et qui se présente comme le corollaire du respect de la souveraineté étatique est le principe de non-ingérence. Ce principe « interdit aux États et

organisations internationales de se prononcer sur les questions internes d’un État déterminé. Il leur impose une stricte obligation d’abstention »431. Dans ces conditions, il devient alors

difficile pour la communauté internationale de faire juger un Chef d’Etat pour les crimes qu’il aurait commis, car ce faisant elle s’immiscerait dans les affaires internes de cet Etat dont la mise en accusation de son haut représentant pour violation des droits de l’homme relevait à l’époque de sa compétence exclusive. Enfin, le principe traditionnel de l’immunité du souverain trouve sa justification dans « le respect du au service public et à son bon

fonctionnement »432. En effet, le poste de président étant institué pour assurer le bon fonctionnement des services publics, la reconnaissance d’une éventuelle responsabilité de son titulaire constituerait un obstacle à l’accomplissement de ses fonctions. Toutefois, les atrocités commises pendant les deux guerres mondiales ont poussé la communauté internationale à remettre en cause le principe de l’immunité des Chefs d’Etat pour les crimes les plus graves.

A cet effet, au lendemain de la première guerre mondiale, la Commission des responsabilités des auteurs de la guerre et sanctions avait recommandé la création d’un haut tribunal devant lequel l’immunité même des Chefs d’Etat ne pourrait être invoquée433. Mais il

a fallu attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour que la responsabilité pénale individuelle des Chefs d’Etat soit explicitement affirmée notamment, dans les Statuts des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo434. Appliquant l’article 7 de son Statut, le Tribunal militaire de Nuremberg a pu juger que « Le principe du Droit

international, qui dans certaines circonstances protège les représentants d’un État, ne peut pas s’appliquer aux actes condamnés comme criminels par le Droit international. Les

428 Patrick Daillier, Mathias Forteau, Alain Pellet, Droit international public, op.cit., p. 472. 429 Cour d’appel de Paris, Delle Masset, Sirey, 1871, 26.

430 Cour d’appel d’Alger, Ben Aïad contre Bey de Tunis, JDI, 1914, p. 1290.

431 Bassel Mohammad, La responsabilité pénale internationale des chefs d’Etat pour les crimes les plus graves

qui touchent la communauté internationale, op.cit., p. 12.

432 Ibid.

433 CPI, Situation au Darfour (Soudan), Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Affaire n° ICC‐02/05‐

01/09, Chambre préliminaire I, Rectificatif à la Décision rendue en application de l’article 87‐7 du Statut de Rome relativement au manquement par la République du Malawi à l’obligation d’accéder aux demandes de coopération que lui a adressées la Cour aux fins de l’arrestation et de la remise d’Omar Hassan Ahmad Al Bashir, 13 décembre 2011, p. 12.

434 Les articles 6 &7 des Statuts de ces tribunaux admet la responsabilité pénale individuelle du Chef de l’Etat en

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auteurs de ces actes ne peuvent invoquer leur qualité officielle pour se soustraire à la procédure normale ou se mettre à l’abri du châtiment »435. Il ressort de cette décision du

Tribunal que tous les crimes n’engagent pas la responsabilité de l’autorité suprême d’un Etat, seulement ceux qualifiés de crimes internationaux sont susceptibles de faire échec à leur immunité436. C’est ainsi que le Tribunal militaire international de Tokyo a pu reconnaitre la culpabilité de l’accusé Hiroshi Oshima, ambassadeur du Japon à Berlin, en dépit de l’immunité diplomatique invoquée437.

De plus, par sa résolution 95 (I), l’AGNU a adopté les « Principes du droit international

consacrés par le Statut du Tribunal de Nuremberg et dans le jugement de ce Tribunal »438, dont conformément au principe III : « Le fait que l’auteur d’un acte qui constitue un crime de

droit international a agi en qualité de chef d’État ou de gouvernement ne dégage pas sa responsabilité en droit international ». Ce principe qui jusque-là avait une nature coutumière

a été codifié par la CDI dans son Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de

l’humanité439. L’article 7 de ce Projet de Code, intitulé « Qualité officielle et responsabilité »,

reprend quasi textuellement le principe III de Nuremberg440.

La volonté de la communauté internationale de mettre un terme à l’impunité des Chefs d’Etat s’est également traduite dans la création des TPI dont les Statuts excluent leur immunité pour les crimes les plus graves. L’article 7-2 du Statut du TPIY dispose à cet égard que « la qualité de chef d’État ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne

l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution de la peine ».

Toute chose qui a permis à ce tribunal de prononcer le 24 mai 1999, la première inculpation d’un chef d’Etat en exercice en l’occurrence le Président Slobodan Milosevic pour crimes contre l’humanité et violations des lois ou coutumes de la guerre au Kosovo441.

Toutes ces règles et jurisprudences ont conduit les rédacteurs du Statut de Rome à y inclure également une disposition, l’article 27 qui rend inefficace la qualité officielle de l’accusé et inapplicable les immunités s’y rapportant. S’il est indéniable que cet article est

435 Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, 14

novembre 1945 – 1er octobre 1946, p. 496.

436 Pour rejeter l’immunité des Chefs d’Etats, le Tribunal s’est fondé sur le chapitre 20 du Livre II de Hugo

Grotius, dans lequel il indiquait que « le souverain et les détenteurs de la puissance souveraine ont le droit d’appliquer des châtiments non seulement pour les délits dont eux-mêmes ou leurs sujets sont victimes, mais aussi pour des violations flagrantes du droit naturel et du droit des gens commises au détriment d’autres Etats ou de leurs sujets ». Cité par la Procureure Fatou Bensouda dans son discours prononcé à l’occasion du colloque de Lille, disponible à l’adresse [http://www.sfdi.org/discours-de-mme-fatou-bensouda-a-loccasion-du-colloque- de-lille/], (consulté le 29-05-17).

437 The Tokyo Judgment, In : « The International Military Tribunal for the Far East (I.M.T.F.E.) », 29 avril

1946‐12 novembre 1948, Volume I, Röling et Rüter (Dir. pub.), APA, University Press Amsterdam BV, Amsterdam, 1977, p. 456.

438 Assemblée générale, documents officiels, cinquième session, supplément N° 12, A/1316 (1950).

439 Commission du droit international, Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité,

adopté par la Commission à sa quarante‐huitième session, 6 mai‐26 juillet 1996, documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante et unième session, supplément N° 10 (A/51/10).

440 Cet article est formulé comme suit : « La qualité officielle de l’auteur d’un crime contre la paix et la sécurité

de l’humanité, même s’il a agi en qualité de chef d’État ou de gouvernement, ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution de la peine ».

441 Pour plus de détails sur cette affaire voir Bassel Mohammad, La responsabilité pénale internationale des

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opposable aux Etats parties au Statut de Rome, son opposabilité aux Etats tiers a toutefois été contestée.