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Chapitre 4. Identification des informations sur les adventices mobilisées par les

2.1. Le recueil des informations : deux séries d’enquêtes auprès des agriculteurs

Pour tenir compte du fait que les individus éprouvent des difficultés à verbaliser leur action (celle par exemple d’observer une parcelle et de prélever des informations) et qu’ils ont tendance à effacer les modalités concrètes de leurs pratiques, nous avons imaginé un dispositif d’enquêtes en deux temps et mobilisé des techniques d’entretien ouvertes. Dans un premier temps, nous avons choisi de mener des entretiens d’explicitations « en salle » pour faire expliciter aux agriculteurs leurs façons d’intervenir durant tout le cycle du blé (procédures, repères de date, règles d’action) en insistant particulièrement sur la gestion des adventices. Nous avons complété cette première phase d’enquêtes par des entretiens « dans la parcelle » avec les agriculteurs. Nous les avons donc accompagnés dans leurs parcelles pour observer comment ils prélevaient leurs informations en situation et leur faire expliciter les façons de juger de l’état de la parcelle et les conséquences qu’ils en tiraient (état d’infestation, prévision d’intervention mécanique, apport d’azote, etc.).

2.1.1. Le choix des agriculteurs

Nous avons choisi de travailler avec huit agriculteurs biologiques de la région Rhône-Alpes. Ces derniers possèdent tous des parcelles bénéficiant d’un suivi expérimental (cf. les autres travaux menés dans cette thèse aux chapitres 2 et 3), ce qui ouvre la possibilité de comparer les informations acquises par les agriculteurs sur leurs parcelles aux indicateurs proposés dans le chapitre précédent (chapitre 3).

Cet échantillon restreint s’explique par le caractère exploratoire de notre travail et se justifie par la mise en place d’un dispositif d’enquête relativement lourd (deux séries d’entretiens retranscrits en intégralité). Leurs parcelles étant suivies par ailleurs dans le cadre d’un dispositif expérimental (l’année de la réalisation des enquêtes et l’année précédente), nous avions déjà établi avec eux une relation privilégiée au moment de l’enquête, favorisant leur participation à ce dispositif supplémentaire de recherche. De plus, nous disposions déjà de données quantitatives sur leurs parcelles et notamment sur leurs infestations en adventices. L’objectif était d’appréhender a priori une certaine diversité dans les observations faites sur les parcelles. En effet, les agriculteurs retenus se trouvent dans quatre petites régions, caractérisées par des conditions pédoclimatiques différentes : le Diois (quatre agriculteurs), la Plaine de Lyon (un agriculteur), la Plaine de Montélimar (un agriculteur) et la Plaine de Valence (deux agriculteurs). De plus, ces agriculteurs recouvrent une diversité de systèmes de production : des systèmes mixtes avec élevage sur l’exploitation ou à proximité (type 1), des systèmes céréaliers intensifs (type 2) et des systèmes céréaliers extensifs (type 3) (David et al., 2007). Le tableau ci-contre donne les principales caractéristiques des agriculteurs sollicités et de leurs exploitations (Tab. 4.1.). En effet, nous faisons l’hypothèse que l’activité de prise d’information peut être influencée par le degré d’insertion des agriculteurs dans des réseaux

professionnels, par le nombre d’années de production biologique depuis leur conversion, mais aussi par leur personnalité.

2.1.2. La première série d’enquêtes : entretiens « en salle »

Pour accéder au vécu de l’action des agriculteurs, nous avons choisi de nous appuyer sur la technique de « l’entretien d’explicitation » (Vermersch, 1994). L’objectif de ce type d’entretien est de faire verbaliser à l’agriculteur l’implicite de son vécu de manière explicite, en faisant se remémorer à l’agriculteur ses actions en privilégiant la dimension procédurale, c’est-à-dire l’action dans son déroulement effectif, sans induire les réponses de celui-ci. Pour cela, l’intervieweur doit solliciter des réponses précises sans poser de questions qui induisent la réponse (Vermersch, 2004). Les questions ne doivent donc pas nommer de réalités qui n’ont pas encore été exprimées par l’agriculteur, ni utiliser de formulations qui traduisent dans le langage de l’intervieweur ce que dit l’agriculteur. Il faut donc éviter les questions fermées (auxquelles on répond par oui ou non par exemple). Pour relancer, il faut poser des questions ouvertes qui renvoient à un aspect vécu de l’expérience (Vermersch, 2004), par exemple : « qu’est-ce qui se passe pour vous au moment où vous décidez d’apporter de l’azote ? ». Cela permet de faire passer l’interviewé à un état de perception interne. Une autre technique consiste à reprendre les verbes d’action utilisés par l’agriculteur pour relancer. Par exemple : « en quoi consiste le fait de désherber ? ». L’explicitation est alors engendrée par le fait de faire spécifier l’action.

Afin de mener ces entretiens auprès des huit agriculteurs, nous avons élaboré un guide d’entretien (voir Annexe I) autour de quatre thèmes. Dans un premier temps, l’objectif était de présenter à l’agriculteur les personnes présentes à l’entretien : deux agronomes (Christine Bouchard et moi-même) et une sociologue (Nathalie Joly), pour que l’agriculteur cerne le type de chercheurs auxquels il avait affaire et se sente plus à l’aise. Ensuite, nous précisions rapidement les attentes vis-à-vis de cet entretien.

Thème 1 : Objectifs généraux de l’exploitant et objectifs visés pour la culture du blé. L’objectif de ce premier thème était d’avoir une description du système d’exploitation dans ses grandes lignes (différents ateliers, main-d’œuvre, changements récents) et de recueillir quelques informations sur la situation de l’exploitant et sa personnalité (discours sur le métier, intérêt pour l’agriculture biologique, habitudes de travail avec des agriculteurs, des conseillers ou des chercheurs). Le second objectif de ce thème était de cerner la place de la culture du blé dans le système de production d’un point de vue économique et le type de suivi réalisé sur cette culture (fréquence des visites des parcelles, connaissance des rendements et autres données spontanément fournies).

Thème 2 : Conduite de la culture en général

Pour ce second thème, le premier objectif était d’identifier l’itinéraire technique habituel, c’est-à-dire les procédures de routine de l’exploitant, « la combinaison d’outils qu’ils ont tendance à vouloir appliquer autant que faire se peut » (Cerf, 1996a). Cela supposait

Chapitre 4. Informations prélevées par les agriculteurs relatives aux adventices

85 d’accéder aux repères temporels et spatiaux qui jalonnent la culture du blé, aux phases-clés d’observation (dans le temps et l’espace), de diagnostic et d’interventions. Le second objectif était d’identifier les indicateurs de l’exploitant pour évaluer les performances de la culture et déclencher des pratiques. Il s’agissait de préciser ce qui est observé et déduit des observations, ce qui est mobilisé comme connaissances, comme informations (internes ou externes à l’exploitation). Pour nous aider sur l’exploration de ce thème, nous avons utilisé une grille reprenant les principales pratiques intervenant dans le cycle du blé (voir Annexe II) afin de les garder à l’esprit et d’éventuellement orienter l’entretien si l’une ou l’autre des pratiques étaient omises.

Thème 3 : Gestion des aléas et de situations atypiques

L’objectif ici était de soumettre des cas d’aléas ou des situations atypiques aux agriculteurs afin d’identifier les adaptations que ces cas nécessitent (recherche orientée d’informations pour établir un diagnostic, appel à des compétences externes, changement dans les modes opératoires).

Thème 4 : Echanges autour des documents de l’exploitant

L’objectif était d’identifier à grands traits la nature des informations consignées par écrit et les modes de traitement de ces informations (transfert d’un support primaire à un support secondaire, récapitulatifs, lecture simple). Ce quatrième thème n’étant pas primordial par rapport à notre problématique (puisque nous cherchions à accéder aux informations prélevées « en situation »), il n’a pas été systématiquement abordé.

Les quatre thèmes n’ont pas forcément été abordés dans cet ordre, car nous voulions éviter d’induire une rationalisation trop poussée de la part des agriculteurs. De plus, d’après Kaufmann (2004), il est important de suivre « la pente du discours » de l’interviewé pour pénétrer son raisonnement.

2.1.3. La seconde série d’enquêtes : entretiens « sur la parcelle »

L’objectif de cette seconde série d’enquêtes était de compléter les données recueillies lors de la première phase et notamment d’affiner la description des informations recueillies « en situation ». L’enquête « en salle » permettait d’accéder à l’organisation générale des pratiques et à leur logique directrice, tout au long de l’itinéraire technique mené sur le blé. Il s’agissait, dans un second temps, de placer l’agriculteur « en situation » et d’explorer plus avant sa façon d’observer, de porter un diagnostic sur l’état de la parcelle. En somme, nous espérions lever les limites de l’entretien « en salle » évoquées dans la section 1.3.

Pour cet entretien, nous avons donc proposé aux agriculteurs de les accompagner sur leurs parcelles. Se présentent alors deux cas de figure :

(i) L’agriculteur avait prévu de se rendre sur ses parcelles pour faire des observations dans les jours qui suivent dans le but de déclencher une opération. On se rapproche alors des « conditions naturelles ». On se concentre d’abord sur les préoccupations du moment,

l’agriculteur est déjà en situation, on n’a pas besoin de lui demander de se projeter artificiellement dans une prise de décision. Pour les autres pratiques, celles qui ne sont pas d’actualité à cette période, on aide l’agriculteur à se mettre en situation avec des introductions du type : « Si vous deviez… passer la herse… faire un apport d’azote…, que feriez-vous avant ? »

(ii) L’agriculteur n’avait pas prévu de se rendre sur ses parcelles au moment de notre venue. On se place dans une situation pédagogique (« si j’étais votre stagiaire, comment m’expliqueriez-vous ce que vous êtes en train de faire ? ») et/ou dans une simulation de situation de travail. Pour cela, on a recours à des questions du type : « Quelle sera votre prochaine intervention ? Si vous deviez passer la herse, que feriez-vous ? Si vous deviez m’apprendre à décider de déclencher telle intervention, que dois-je savoir/regarder pour prendre la décision ? »

Pour préparer ces entretiens, nous avons repris les données recueillies lors de la première phase afin de préparer une fiche adaptée pour chaque agriculteur. Ces fiches contenaient une liste d’observations que l’agriculteur avait déclaré réaliser lors de l’entretien précédent. Elles nous ont donc servi de pistes de relances pour mener l’entretien. Pour inviter l’agriculteur à davantage expliciter sa façon d’observer et ses décisions, nous avons parfois eu recours à la comparaison entre parcelles : « Pour vous, quelle est la différence entre ces parcelles du point de vue des adventices ? ». Notons enfin, que certaines interventions ne pouvant avoir lieu à n’importe quel moment du cycle, nous avons été contraintes de demander aux agriculteurs de se placer dans la situation où ils auraient eu à décider d’une intervention (par exemple, pour la fertilisation ou le désherbage) alors que ce n’était pas le bon moment dans le cycle.